Couple franco-allemand : les raisons d’un dialogue de sourds

En France, ceux qui considèrent que Hollande a dû manger son chapeau le font parfois avec une telle joie mauvaise (en allemand : schadenfreude) qu’on se demande si voir non seulement un président socialiste, mais leur pays humilié ne leur fait pas secrètement plaisir. Tel n’est pas le cas de Jacques Sapir qui pense que les 130 milliards de crédits de relance « obtenus » par le président français, sont largement de la poudre aux yeux car dans cette somme déjà faible (1 % du PIB européen), on ne compte que 30 milliards de crédits réellement nouveaux.
En Allemagne, au sein de la majorité et en dehors, le ton est différent : dans un premier temps on a vociféré avec la brutalité propre à la politique de ce pays pour dire que Angela Merkel avait fait trop de concessions, avant de reconnaitre que ces concessions étaient somme toute limitées.

 

 

959275-1134793Les commentateurs n’ont pas manqué de se diviser des deux côtés du Rhin pour savoir si, lors du dernier sommet de Bruxelles des 28 et 29 juin 2012, c’était Hollande ou Merkel qui s’était, de fait, incliné. Pour notre chroniqueur associé Roland Hureaux, ce débat n’a pas de sens puisque les objectifs des dirigeants sont les mêmes. En revanche ce qui est en jeu c’est la sensibilité des deux opinions publiques, au coeur d’un dialogue biaisé.

 

En France, ceux qui considèrent que Hollande a dû manger son chapeau le font parfois avec une telle joie mauvaise (en allemand : schadenfreude) qu’on se demande si voir non seulement un président socialiste, mais leur pays humilié ne leur fait pas secrètement plaisir. Tel n’est pas le cas de Jacques Sapir qui pense que les 130 milliards de crédits de relance « obtenus » par le président français, sont largement de la poudre aux yeux car dans cette somme déjà faible (1 % du PIB européen), on ne compte que 30 milliards de crédits réellement nouveaux.

En Allemagne, au sein de la majorité et en dehors, le ton est différent : dans un premier temps on a vociféré avec la brutalité propre à la politique de ce pays pour dire que Angela Merkel avait fait trop de concessions, avant de reconnaitre que ces concessions étaient somme toute limitées. Si les aides aux Etats en difficulté comme l’Italie et aux banques espagnoles demeurent plafonnées, rien ne dit que ces plafonds (qui ne sont pas loin d’être atteints), ne seront pas révisés ; la vertu budgétaire généralisée à laquelle Berlin veut contraindre ses partenaires demeure une perspective bien aléatoire. Sa promesse est d’abord nécessaire à Angela Merkel pour faire accepter chez elle les mesures de sauvetage.

Un dialogue paradoxal

Mais ce qu’on ne dit pas, dans ces polémiques, c’est que ce débat pour savoir qui a gagné est largement illusoire. D’abord parce que, on ne saurait le répéter, on ne se trouve pas dans un schéma de négociation classique où il s’agirait de négocier le partage de tel ou tel avantage dans un jeu à somme nulle où ce que l’un gagne, l’autre le perd. Les deux parties considèrent en effet, à tort ou à raison (à tort selon nous) qu’elles ont également intérêt à préserver l’euro. Toute mesure qui tendrait à cela serait donc dans leur intérêt commun, ce ne serait pas une victoire de l’une sur l’autre.

Mais les deux parties ont aussi intérêt à la relance de la croissance. A entendre les commentateurs, seule la France et les pays méditerranéens y auraient intérêt. Bien entendu l’Allemagne y a également un intérêt objectif, même si elle ne le met pas en avant, d’abord pour elle-même et sa population, mais aussi pour les pays qui constituent ses marchés et où elle ne fera plus d’affaires si, au sein de la zone euro ou en dehors, ils deviennent exsangues. C’est même le monde entier qui a intérêt à une telle relance : c’est la raison pour laquelle Obama, par ailleurs attaché à la sauvegarde de l’euro, semble appuyer les efforts de Hollande. Le Prix Nobel d’économie Paul Krugman suggère même à l’Allemagne de faire un peu d’inflation, à la fois pour relancer sa propre croissance et pour relâcher la contrainte qui s’exerce sur ses partenaires. Sachant ce que pensent les Allemands sur ce sujet, on imagine combien il a de chances d’être entendu !

En fait ce qui est en jeu, ce ne sont pas des intérêts objectifs, ce sont des considérations purement subjectives : chaque partenaire gère non point les intérêts de son économie, mais la sensibilité particulière de son opinion publique : plus sensible au risque d’inflation en Allemagne, plus sensible au risque de récession en France (surtout avec la nouvelle majorité). Mais si, autre paradoxe, le jeu franco-allemand n’est pas un jeu à somme nulle, l’alternative réduction des déficits/relance, elle, l’est largement. On ne voit pas comment relancer les économies européennes sans dépenses publiques supplémentaires et comment engager ces dépenses sans aggraver encore les déficits (sauf à augmenter les impôts, ce qui étoufferait parallèlement la croissance).

S’il est vrai en effet que tout déficit ne relance pas l’économie, il n’y a pas, dans la perspective keynésienne qui est celle du gouvernement français, de relance sans déficit. Tout déficit n’est pas profitable : en régime de libre échange, la relance de la consommation profite désormais aux pays tiers dont on importe les marchandises, seuls les investissements publics étant dépensés sur place ; pas de relance en revanche sans déficit, sauf à enlever immédiatement à l’économie réelle ce qu’on prétend y injecter.

Aucune chance de succès

Le dernier paradoxe de l’actuel dialogue franco-allemand, qui n’est pas le moins violent, est qu’aucun des partenaires n’a la moindre chance d’atteindre ses objectifs. A supposer que François Hollande obtienne tout ce qu’il veut en termes de relance (mais qu’a-t-il demandé au juste ?), il n’ y aura pas de relance : on a déjà rappelé combien ce qui a été concédé était peu au regard du PIB européen. Joseph Stilgitz va jusqu’à dire que ce qui est envisagé en Europe pour enrayer la récession qui s’annonce est comparable à «un pistolet à eau face à un rhinocéros qui charge». D’ailleurs Hollande a-t-il demandé plus que des mesures symboliques – et comment pourrait-il demander plus puisqu’il veut lui aussi, comme Angela Merkel, sauver l’euro et donc contenir les déficits ?

Mais s’il s’agit de sauver l’euro et non plus de promouvoir la croissance, on peut dire exactement la même chose : à supposer que la chancelière obtienne tout ce qu’elle demande, soit l’équilibre strict des finances publiques, sous le contrôle de Bruxelles et donc de Berlin, dans toute l’Europe (et elle n’est pas près d’y arriver), cela ne sauvera pas l’euro. D’abord parce que le succès de telles politiques plongerait l’Europe du Sud dans la spirale récessive (restrictions publiques, effondrement des revenus, effondrement de la consommation, effondrement des recettes fiscales, nouvelles restrictions etc.) et ne résoudrait donc nullement la question. C’est déjà ce qui se passe en Grèce. Ensuite parce que, même si les déficits publics se trouvaient réduits à zéro (on peut toujours rêver), le fond du problème de l’euro ne serait pas réglé pour autant, car ce problème n’est pas d’abord le déficit des budgets publics mais celui des balances commerciales. Ce dernier déficit résulte lui-même du différentiel de hausse des coûts de production depuis le lancement de la zone euro il y a douze ans. Et pour régler ce problème, il ne suffirait même pas que, dans les années qui viennent, les fourmis deviennent cigales et les cigales fourmis (ce qui ne s’est jamais vu !), il faudrait que le niveau des coûts soit inversé immédiatement. On peut rêver! Or faute que cela se fasse, les déséquilibres commerciaux vont continuer à s’aggraver. Seule une modification des parités et donc la fin de l’euro pourront y remédier.

Mme Merkel veut imposer l’austérité partout en Europe mais cette austérité ne réglerait rien du problème de l’euro. On dit aussi, signalons-le au passage, qu’elle veut imposer le «fédéralisme» budgétaire – or le fédéralisme consiste à laisser les entités fédérées entièrement libres de leurs finances publiques, comme peut l’être par exemple la Californie aujourd’hui !

Redisons-le : M.Hollande et Mme Merkel sont d’accord sur les objectifs qu’ils veulent atteindre, mais comme ces objectifs sont rigoureusement contradictoires, ils ne proposent que des demi ou des quart de mesures qui ne permettront de réaliser, on le sait à l’avance, aucun de ces objectifs. Confrontés à la même contradiction, à la même équation insoluble, le président français et la chancelière allemande ne songent qu’à gagner du temps et ils ne diffèrent que sur leur stratégie de communication, reflet d’opinions aux sensibilités différentes.

 

Consultez les autres articles de Roland Hureaux sur son blog.

3 commentaires sur Couple franco-allemand : les raisons d’un dialogue de sourds

  1. Cher Jean-Claude Gentil,
    Roland Hureaux a certainement beaucoup de talent mais cruel est le constat que les opinions publiques qu’il met en évidence de son analyse: « En revanche ce qui est en jeu c’est la sensibilité des deux opinions publiques, au coeur d’un dialogue biaisé », ne veulent rien dire. Avec un taux d’abstention de plus en plus élevé dans tous les pays membres de l’UE, l’opinion publique c’est le « machmalo » des profiteurs de la démocratie !!!!!!.
    Quant à la sinistralité intellectuelle qui sévit un peu partout en France, Jean-Claude Gentil a raison , les élites ne sont que relatives à une base qui s’enfonce !!!!!! Alors que faire sinon attendre le pire ?
    Charles de Gaulle , l’avait compris avec des veaux on ne fait rien de bon…..attendons donc qu’un nouveau Charles prenne le pouvoir et faisons confiance à l’Histoire qui a horreur du vide !!!!!!!!!

  2. Jean Claude GENTY // 24 juillet 2012 à 18 h 39 min //

    Si je comprend bien, les deux responsables qui nous maintiennent dans ce contexte économique effroyable,
    ne songent qu’à ménager leur opinion et à gagner du temps.
    Gagner du temps, pour quoi en faire ? Se maintenir au pouvoir, quitte à présider un champ de ruines politique, économique et social.
    Et on parle de ces gens-là en employant le mot « d’élites ».
    De qui se moque-t-on, et cela depuis si longtemps ?

  3. Claude Trouvé // 24 juillet 2012 à 9 h 26 min //

    On ne peut qu’adhérer à ce constat qui montre que seules deux solutions cohérentes existent. La première est l’Europe fédérale et non le fédéralisme budgétaire, c’est-à-dire une Europe unie sous un même chef et un même drapeau avec une politique financière, économique, extérieure et monétaire commune. L’euro s’impose alors à tous, y compris au Royaume-Uni. La seconde est la maîtrise de leur monnaie redonnée aux peuples européens permettant à chacun de s’adapter au mieux à la mondialisation et d’en réguler les excès par un protectionnisme ciblé et le contrôle des mouvements de capitaux. L’euro pourrait valablement subsister, avec les monnaies nationales, comme monnaie commune et non unique. Nous sommes actuellement dans une solution bâtarde qui est mise en lumière dans cet article.

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