Tian’anmen, un passé de massacres qui ne passe pas…
Mardi 5 Juin 2012 – RÉGIS SOUBROUILLARD – MARIANNE
Près d’un quart de siècle après les évènements de la place Tian’anmen, le Département américain a demandé à Pékin de libérer tous les manifestants qui purgent encore des peines de prison. Une admonestation qualifiée d’ingérence par des autorités chinoises sous tensions, qui ont multiplié les actes de censure et de répression en ce jour de sinistre anniversaire. Des cadres du Parti commencent néanmoins à donner leur version des faits.
Il est des bougies qu’à Zhongnanhai -le siège du gouvernement de la République Populaire de Chine- on se passerait bien de souffler. Pour le 23ème anniversaire des manifestations prodémocratiques de la place Tian’anmen, le département d’Etat américain a choisi de marquer le coup demandant dans un communiqué au « gouvernement chinois de libérer tous ceux qui purgent encore des peines de prison pour leur participation aux manifestations du 4 juin 1989».
C’est peu dire que Pékin a mal pris ce paquet cadeau empoisonné dénonçant immédiatment une ingérence « dans les affaires intérieures de la Chine et des accusations infondées contre le gouvernement chinois », selon Liu Weimin, porte-parole de la diplomatie chinoise.
C’est d’une toute autre manière que les dirigeants chinois ont l’habitude de « célébrer » ce qui reste une tâche sombre de l’histoire chinoise moderne. Par le déni, l’amnésie et la répression. Déploiement de policiers sur la place, censure des réseaux sociaux (le China Digital Times révèle l’ensemble des caractères interdits sur weibo, le twitter chinois) , surveillance accrue des dissidents, dispersion de tout embryon de commémoration.
A l’approche de l’anniversaire des manifestations Tian’anmen, près d’un millier de pétitionnaires et de militants des droits civiques ont été interpellés à Pékin et renvoyés dans leurs provinces d’origine, a indiqué l’un d’entre eux à l’AFP.
Sur Internet, toute recherche en rapport avec l’événement était bloquée. Le gouvernement s’efforce d’empêcher toute discussion publique, reste indifférent aux appels des familles qui réclament des informations sur la disparition de leurs enfants et le sujet reste complètement tabou pour les médias officiels.
Selon un article repris par Courrier International, « les enfants dont les parents ont manifesté sur la place Tian’anmen en 1989 et persistent dans leurs positions sont obligés de changer de nom pour pouvoir grandir tranquillement ».
Mais l’histoire n’en finit pas de repasser les plats. Avec une certaine malice. Le 4 juin
2012 dans la Chine ultra-libérale qu’a forgé Deng Xiaoping, l’indice composite de la Bourse de Shanghaï, le CAC40 chinois, chutait de 64,89 points. « 6489 » code secret et chiffre symbole du 4 juin 1989 sur les réseaux sociaux. La main invisible du marché n’a pas tremblé…
TENSIONS À TOUS LES ÉTAGES DU PARTI
Selon un document officiel récemment publié par le gouvernement provincial du Hunan (centre-sud) et diffusé par la fondation Duihua dont le siège est aux Etats-Unis, un total de 1.602 personnes à travers la Chine ont été condamnées à des peines de prison pour leurs activisme durant le mouvement de 1989 à Pékin et dans le reste du pays, rapporte encore cette fondation.
Une dizaine de protestataires seraient encore emprisonnés pour leur participation aux manifestations 23 ans après les faits.
Le télégramme de Washington est d’autant plus étonnant au regard de l’état de tension diplomatique entre les deux pays notamment depuis l’exil obtenu par le dissident Chen Guangcheng après des négociations difficiles entre les deux pays.
La nervosité des autorités chinoises est d’autant plus grande que sur le plan intérieur d’âpres luttes pour le pouvoir se font jour avant le 18e congrès du Parti communiste chinois (PCC) qui aura lieu cet automne.
Bo Xilai, l’ex-secrétaire général de la mégalopole Chongqing, star du Parti qui devait être investi « tzar de la sécurité » au sein du comité permanent du Politburo en a déjà fait les frais. Accusé de « violations à la discipline interne du Parti », ce baron du régime a été limogé pour des raisons qui restent encore largement obscures, et pourraient bien le rester très longtemps, sinon l’évidence d’un règlement de compte politique.
UNE TRAGÉDIE QUI AURAIT PU ÊTRE ÉVITÉE, ESTIME UN FAUCON DU RÉGIME
Preuve qu’au sein du Parti les couteaux sont tirés, certains éminents acteurs de Tian’anmen se soucient désormais moins de la ligne politique du Parti que de la trace historique qu’ils laisseront.
Ainsi dans un livre récemment paru à Hong-Kong, Chen Xitong, l’ancien maire de Pékin en poste au moment du soulèvement démocratique du 4 juin 1989, proche de Deng Xiaoping et considéré comme l’un des durs du régime, explique que le massacre de Tian’anmen est une«tragédie regrettable, qui aurait pu être évitée. Personne n’aurait dû mourir ce jour-là, si l’affaire avait été traitée de manière appropriée». A 81 ans, Chen Xitong en profite également pour se dédouaner à bon compte en expliquant n’avoir été qu’une « petite main », niant par ailleurs toute responsabilité dans la répression des manifestants: « J’ai répondu à un ordre de Deng Xiaoping d’autoriser les chars à pénétrer sur la place Tian’anmen ».
Un point de vue qu’est loin de partager le sinologue Jean-Philippe Béja – , « à l’époque, tous les témoins affirmaient qu’il avait brossé un tableau dramatique de la situation dans la capitale qui avait largement pesé dans la décision de Deng Xiaoping d’envoyer l’Armée. Du reste, son rapport sur le 4 juin selon laquelle cette décision était « correcte » et « inévitable » montre qu’il était totalement favorable à la répression ».
C’est néanmoins la première fois qu’un cadre de 1989 propose une telle lecture de ces événements et amorce publiquement quelques regrets sur le sujet…près d’un quart de siècle après un massacre dont le nombre de morts reste inconnu, estimé de 1.500 à plus de 10.000, selon les sources. Une voie que d’autres cadres du Parti en fin de carrière pourraient être tentés de suivre. Un acte capital compte tenu de l’importance du contrôle et de la réécriture de l’histoire politique chinoise et ses variations au gré des accès de paranoïa et de répression du Parti, aux seules fins d’effacement de ces sinistres épisodes de toute mémoire collective.
Eminent spécialiste de la Chine, auteur du livre Les habits neufs du président Mao, Simon Leys en fait l’amer constat dans son dernier ouvrage Le Studio de l’inutilité: « Le massacre de Tian’anmen a été entièrement effacé de la mémoire de la nouvelle génération, cependant qu’un nationalisme grossier se trouve périodiquement excité, afin de détourner le mécontentement de la population dans une direction qu’il est plus aisé de contrôler ». D’où l’utilité de piqûres de rappels.
Certes, ce qui s’est passé Place Tien-An-Men en juin 1989 est dramatique et le régime chinois actuel n’est peut-être pas un modèle de démocratie. Mais les USA sont-ils les mieux placés pour « exiger » quoi que ce soit ?
En fait, il appartient au peuple chinois et à lui seul de déterminer la politique qui lui semble être la meilleure pour lui.
Or (et M. Soubrouillard le souligne fort judicieusement), à l’automne prochain se tient le 18ème congrès du Parti Communiste Chinois.
Au-delà des luttes internes pour le pouvoir, va également se poser une question de fond : comment répartir les fruits de la croissance ? Car le discours selon lequel il faut favoriser la compétitivité économique pourrait bien finir par tourner à vide si le peuple ne profite pas des richesses accumulées par les entreprises chinoises.
On imagine aisément les remous que peut provoquer ce type de débat … notamment au sein d’un Parti Communiste !!!
Pourtant cet aspect est peu traité en Occident par tous nos « vertueux défenseurs » des droits de l’homme (je ne mets pas M. Soubrouillard dans ce sac) ! L’Egalité (notamment en matière économique) serait-elle moins importante que la Liberté ? Aurait-elle cessé d’en être la réciprocité ?
A moins que la fausse indignation par rapport aux massacres de 1989, n’ait qu’un but : occulter la lutte pour le triomphe de l’Egalité et dons de la Liberté car il ne saurait y avoir de Liberté sans Egalité et vice-versa.