Le débat Guaino-Mailly : Bonapartisme social ?

 

 

  • Par Sophie Dufau, Christophe Gueugneau et Mathieu Magnaudeix (www.mediapart.fr)

guaino_uneC’est devenu le leitmotiv de Nicolas Sarkozy pendant cette campagne : fustiger les « corps intermédiaires », en appeler à la « France silencieuse », dans une sorte de remake* du de Gaulle de 1968. Premiers visés : les syndicats de salariés. Alors qu’il avait intensément discuté, voire dealé avec eux entre son arrivée à l’Elysée et la réforme des retraites, le président de la République a multiplié dans cette campagne les attaques contre la CGT, qui a appelé – fait rare pour un syndicat – à le faire battre, ou encore contre les « permanents de la CFDT » d’ArcelorMittal en Lorraine qui ont manifesté mi-mars devant son QG de campagne.
Pourquoi Nicolas Sarkozy s’en prend-il ainsi aux syndicats ? Le président sortant a-t-il vraiment un programme social ? Mediapart a voulu organiser un débat entre Henri Guaino, conseiller du chef de l’État, et le dirigeant d’une grande confédération syndicale. Bernard Thibault a refusé. François Chérèque aussi. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, a accepté. Ils ont échangé pendant plus d’une heure dans les locaux de Mediapart.

Henri Guaino, Nicolas Sarkozy s’en prend dans cette campagne aux « corps intermédiaires » – en particulier les syndicats – , qui feraient, à l’entendre, écran entre lui et le peuple. Qu’est-ce qui lui prend ?

HENRI GUAINO. Il y a deux questions différentes. La première concerne l’engagement politique de certains syndicats. Ça ne concerne pas FO mais d’autres syndicats, en particulier la CGT. À partir du moment où un syndicat décide d’entrer dans l’arène politique, de participer à une campagne, de soutenir un candidat, il est normal qu’il soit critiqué comme n’importe quelle force politique.

Quel candidat la CGT soutient-elle ?

HG. J’ai vu monsieur Thibault à un meeting du Front de gauche apporter le soutien de la CGT à monsieur Mélenchon. J’ai vu la CGT prendre des positions très politiques à travers son secrétaire général. Ce n’est pas illégitime de prendre des positions politiques, mais il faut s’attendre en retour à être critiqué. Soit les syndicats font du syndicalisme, défendent les intérêts de leurs mandants et ne participent pas à une campagne présidentielle. Ils sont alors l’abri des critiques, à l’abri du débat politique. Ou bien ils décident de faire campagne, et il ne faut pas s’étonner qu’ils soient attaqués à leur tour.

Nicolas Sarkozy considère-t-il la CGT comme un opposant ?

HG. La CGT s’est définie dans cette campagne comme une force d’opposition. J’ai entendu des critiques qui n’avaient rien à voir avec le travail d’un syndicat.

Nicolas Sarkozy s’en prend souvent aux « permanents » de la CGT. Au risque des exagérations, voire des mensonges, lorsqu’il a dit que les ouvriers du livre de Ouest-France ont empêché la diffusion de son entretien, alors qu’en réalité ils ont empêché la diffusion sur un seul département dans le cadre d’un mouvement social national qui n’avait pas de rapport avec la campagne.

HG. On peut trouver toutes les excuses qu’on veut, il se trouve que ce jour-là, Nicolas Sarkozy faisait une réunion publique et une de ses interviews était publiée. Et ce jour-là, comme par hasard, le journal n’a pas pu sortir. La CGT aurait très bien pu attendre le lendemain, par souci démocratique. Chacun en tirera l’interprétation qu’il veut, mais il n’y a pas de mensonge. Les faits sont les faits.

Le président de la République a aussi dit que Bernard Thibault est toujours membre du bureau politique du parti communiste, ce qui n’est plus vrai depuis onze ans.

HG. On va dire qu’il est membre fantôme. Il est toujours très proche du parti communiste, toujours membre du parti communiste mais le problème majeur, c’est sa prise de position en tant que secrétaire général de la CGT dans le débat politique. Il faut qu’il assume.

Jean-Claude Mailly, les attaques du président contre la CGT, mais aussi contre la CFDT, à Florange par exemple, où certains de vos militants sont mobilisés en ce moment, sont-elles exagérées ?

JEAN-CLAUDE MAILLY. Ce n’est pas utile d’attaquer bille en tête les organisations syndicales. La CGT a fait le choix de prendre parti dans une campagne politique. Il y a longtemps que ce n’était pas arrivé. Je n’ai pas entendu de consignes de vote directes, mais au moins une consigne de vote indirecte : ne pas voter pour. C’est une prise de parti politique…

HG. Et une consigne de vote.

JCM. C’est le choix de la CGT, au moins ses dirigeants. À partir de là, ils rentrent effectivement dans une campagne. Ceci étant, fallait-il réagir ? Je n’en suis pas sûr.

La CGT estime que réélire Nicolas Sarkozy « ouvrirait, à coup sûr, une nouvelle séquence de lourds reculs sociaux ». M. Mailly, êtes-vous d’accord ?

JCM. Je ne dis pas que ça n’arrivera pas demain si Nicolas Sarkozy est réélu. Je ne dis pas que si un autre candidat est élu il n’y aura pas de programme d’austérité. Moi, c’est ma plus grande inquiétude. Quel que soit le résultat de l’élection.

Cela dit, ne pas donner de consigne de vote, n’est-ce un peu hypocrite ? Après tout, on sait que vous êtes proche du PS.

JCM. Je ne l’ai jamais caché… Parmi les salariés, il y a vraiment de tout. Dans les adhérents FO – et l’on ne fait pas de statistiques, moi je ne veux pas savoir –, vous avez des socialistes, des UMP, des trotskystes, des anarchistes, des anarcho-syndicalistes, des MoDem…

Des gens qui peuvent adhérer aux idées du Front national aussi…

JCM. Qui votent FN en tout cas, oui, ça peut arriver. Mais si on veut être efficace demain, quel que soit le gouvernement en place, il faut aussi que nous ayons un comportement d’indépendance. L’indépendance, c’est notamment de ne pas donner de consignes de vote, directes ou indirectes, dans une élection à caractère politique. Quand les citoyens et les citoyennes votent dans l’isoloir, ils n’ont pas besoin d’un tuteur ou d’un directeur de conscience. Nous ne sommes pas muets pour autant : nous défendons nos positions, nos revendications, nous avons tiré un document à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires pour les expliquer.

Le 15 mars, des salariés de Florange ont voulu protester devant le QG de campagne de Nicolas Sarkozy. Ils ont été dégagés par des gaz lacrymogènes, et Nicolas Sarkozy les a ensuite traités de « casseurs ».

JCM. Je ne pense pas, loin s’en faut, que les militants – dont des militants FO – qui sont venus, avaient la volonté de « casser ». Nous assistons à une campagne présidentielle “punching-ball”, avec des mots qui n’auraient pas dû être utilisés, c’est évident. Personne ne gagne dans ce genre de confrontation. Il y a eu des mots très forts, qui ont heurté nos militants de Florange.

HG. Un rendez-vous était prévu avec le président de la République. Les syndicats nous ont fait savoir qu’ils veulent aller au QG de campagne de Nicolas Sarkozy, on leur a répondu qu’il ne serait pas là. Ils viennent quand même, ils s’étonnent de ne pas être reçus, ils font du scandale. Il y a quand même une part aussi de gesticulation et de provocation.

Cela justifie-t-il d’utiliser des gaz lacrymogènes ?

HG. Tout cela est très dommageable. On peut discuter des responsabilités des uns et des autres mais, quand même, tout cela n’est pas arrivé par hasard. Il y avait aussi une volonté de provocation. Et voilà, il y a eu un incident et il est parfaitement regrettable.

Ils ont voulu qu’on parle d’eux parce que le dossier n’est pas réglé…

HG. On a parlé d’eux, c’est une réussite.

JCM. Mais il y a des emplois en jeu !

HG. Oui, mais ce n’est pas nécessaire de procéder ainsi pour faire parler de soi.

En 2008, Nicolas Sarkozy s’était engagé à trouver un repreneur, puis à revitaliser le site. Un certain nombre de promesses n’ont pas été tenues.

HG. Nicolas Sarkozy n’est pas arrivé, parce qu’on arrive pas toujours à tout, à faire en sorte que l’unité de production ne ferme pas. Mais il n’y a pas eu un seul licenciement, tous les salariés ont été reclassés, beaucoup d’investissements ont été faits pour réindustrialiser le site. Tout n’est pas non plus négatif.

Deux centrales au gaz devaient être construites, elles ne l’ont pas été.

HG. Oui d’accord, rien n’est parfait sans doute, mais dire que Nicolas Sarkozy a laissé tomber ce dossier n’est pas exact. On peut me dire “il fait naître de faux espoirs”, mais quand on ne s’engage sur rien et qu’on ne tente rien, évidemment on ne fait pas naître d’espoir, et d’ailleurs on n’obtient rien non plus. Il y a quand même eu des résultats. Quant à Florange, le président de la République a convoqué monsieur Mittal qui a pris des engagements très fermes.

Mittal ne s’est pas engagé à ce que le site ne ferme pas… Il dit que cela dépendra de la situation économique.

JCM. Mittal ne veut pas prendre un engagement de maintien du site, c’est ça qu’on demande, nous…

HG. Aucun chef d’entreprise au monde ne peut prendre d’engagement qui ne soit pas conditionné par l’évolution de la conjoncture, de la croissance et de son marché.

Aujourd’hui, êtes-vous en capacité de dire aux salariés d’ArcelorMittal, qui ont défilé encore jusqu’à Paris vendredi dernier, que l’usine de Florange ne fermera pas ?

HG. Ça ne fermera pas, sauf s’il y a un problème économique majeur. Personne ne peut prendre d’engagements autres que ceux-là.

Henri Guaino, Nicolas Sarkozy a beaucoup discuté avec les syndicats au début de son quinquennat. Les réformes des régimes spéciaux et du service minimum dans les transports ferroviaires ont été négociées avec la CGT. Que s’est-il passé depuis ?

HG. D’abord, c’est normal que le président discute avec les syndicats, c’est normal qu’il y ait des négociations, c’est normal qu’il y ait du dialogue social.

JCM. Il y a quand même eu une première période de “coproduction” entre la CGT et l’Élysée…

Jean-Claude Mailly, vous vous sentiez d’ailleurs plutôt exclu pendant cette période…

JCM. Je ne veux pas être coproducteur avec l’État ! On peut trouver des accords ponctuels sur des dossiers – je me souviens de discussions avec le président sur Airbus et nous avons trouvé un point d’accord sur le dossier. Il y a eu la loi sur la représentativité des syndicats que certains considèrent comme une des grandes réformes sociales du quinquennat, moi je suis contre pour des raisons de fond… Eh bien, on ne peut pas dire qu’il y a eu une coproduction de l’Élysée et de FO sur cette loi ! Avec d’autres peut-être en revanche… Il y a aussi eu une concentration du pouvoir à l’Élysée, c’est évident. Est-ce que c’est lié à la personnalité, est-ce que c’est lié au quinquennat ? En tout cas, beaucoup de dossiers se traitaient plus à l’Élysée que dans les ministères, et ça, c’est quand même un problème de fonctionnement.

Nicolas Sarkozy promet des référendums en matière sociale, sur les chômeurs notamment. Ça promet un quinquennat sportif s’il est réélu, non ?

JCM. Il faut toujours faire la part des choses entre des propos de campagne et la gestion des choses.

Vous voulez dire que Nicolas Sarkozy ne ferait pas son référendum sur le chômage ?

JCM. Je n’en sais rien. Mais sur ce référendum sur le chômage, il y a un véritable problème. On nous dit “ou vous trouvez un accord patronat-syndicat qui correspond à ce que je demande, ou si vous ne trouvez pas je passe par un référendum”. Je le dis clairement : ce n’est pas acceptable. Cela signifie un court-circuitage du rôle des organisations syndicales. Je ne dis pas “corps intermédiaires” car c’est une expression que je n’aime pas. Le corps intermédiaire, c’est celui qui se situe entre le souverain et le peuple, c’est une référence à la doctrine sociale de l’Église. Moi, je suis chargé des intérêts des salariés.

Alors ça vient d’où cette idée de référendum sur le chômage ?

HG. Cette problématique des corps intermédiaires n’est pas nouvelle. Personne ne dit qu’il faut supprimer les syndicats, personne ne dit qu’il faut passer systématiquement outre. Cette idée de soumettre à référendum les questions économiques et sociales, ce n’est pas Sarkozy qui l’a eue, c’est Jacques Chirac qui l’a inscrite dans la Constitution. Du reste, personne n’a proposé de faire un référendum sur le chômage.

Sur la formation des chômeurs…

HG. Nicolas Sarkozy dit “je veux instaurer un droit à la formation des chômeurs pour ceux qui sont très éloignés du marché du travail à cause de leurs qualifications. On va donc leur proposer des formations. Ils auront une formation qualifiante, ils seront rémunérés pendant ces formations, et à l’issue de ces formations, on va leur proposer un emploi correspondant à cette formation – pas n’importe quel emploi – et ils seront obligés de l’accepter”. Cela concerne une partie des chômeurs et ça nécessite de remettre à plat la formation professionnelle, de changer un certain nombre de choses dans notre conception de l’indemnisation du chômage. On va discuter avec les partenaires sociaux, on va essayer de trouver un accord. Si on n’arrive pas à trouver un accord, eh bien, ce sera au peuple de trancher. Où est le scandale ?

JCM. Je ne suis pas d’accord…

HG. Où est le scandale ? Les corps intermédiaires n’ont pas à avoir forcément le dernier mot. Personne n’a dit qu’on allait supprimer les corps intermédiaires ni le dialogue social. Ces cinq dernières années, on a réussi à faire passer la plupart des réformes, mais parfois il a fallu dépenser une énergie folle…

JCM. Je ne suis pas d’accord avec Henri Guaino. D’abord, le référendum n’est pas le meilleur outil démocratique, parce qu’il y a une logique binaire dans un référendum et pour que ce soit un outil démocratique, cela supposerait que chaque citoyen soit au même degré d’information, ce qui est quasiment impossible.

HG. Oui, mais c’est vrai pour toutes les élections…

JCM. Ensuite, l’assurance chômage, l’emploi et la formation professionnelle, ce sont des thèmes qui relèvent de la négociation collective. On court-circuite la négociation collective. Ce référendum, c’est un mauvais outil et un danger.

HG. La liberté de négociation n’est pas infinie non plus. C’est le peuple qui a le dernier mot. Tout est décidé à la fin au nom du peuple. Toutes les prérogatives que les organisations syndicales détiennent dans le cadre du paritarisme, elles le détiennent parce qu’un jour le peuple souverain leur a donné ce mandat.

JCM. Mais alors, ça veut dire qu’on fonctionne en permanence par référendum, ce n’est pas possible !

HG. Le général de Gaulle ne convoquait pas des référendums sans arrêt, il faut savoir l’appliquer à des cas précis…

JCM. Eh bien, en l’occurrence, ce n’est pas le bon cas !

HG. Je considère que c’est essentiel : le peuple pourra trancher s’il y a un blocage.

Henri Guaino, quel mot préférez-vous quel pour décrire cette doctrine ? “Bonapartisme” ? “Autoritarisme” ? “Populisme” ?

HG. Chaque fois qu’on est en désaccord avec quelqu’un, il faut pas se croire obligé de caricaturer sa position ou de l’insulter. Une partie de la gauche et les bien-pensants traitent systématiquement de populistes ceux avec qui ils sont en désaccord. C’est un peu facile, mais à la fin, ça dessert la cause qu’on prétend défendre. Il n’y a aucun populisme là-dedans. Du temps du général de Gaulle on parlait de Césarisme. Bonapartisme social ? Oh !, mais si vous voulez ! Sauf que nous ne sommes pas sous le Consulat, le président de la République n’a pas les moyens du premier consul, on n’est pas sous l’Empire ou la monarchie.

JCM. C’est de l’autoritarisme social.

HG. Que le peuple décide, c’est de l’autoritarisme ? Mais on est où ? On marche sur la tête ! On a fini par devenir tellement anti-républicain et tellement anti-démocrate qu’on ne peut plus donner la parole au peuple ? Ça me rappelle les juges qui n’aimaient pas que l’on mette des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels. Mais enfin c’est une blague ! Ça me rappelle ces notables de la IVe République qui étaient encore là au début de la Ve et parlaient de Césarisme et de Bonapartisme à l’idée que le président de la République soit élu au suffrage universel. C’est grotesque !

En 2007, Nicolas Sarkozy avait un programme social cohérent, le “travailler plus pour gagner plus”. Cette remise en cause des corps intermédiaires ne lui sert-elle pas cinq ans plus tard à masquer cette fois une absence de discours d’ensemble sur le social ?

HG. Je ne vois pas en quoi le discours est incohérent. Les valeurs sont les mêmes mais on vient de passer quatre ans de crise. On observe des dérives ravageuses du système économique mondial. Cette crise n’est pas terminée, et elle s’imposera à tout le monde. Sans doute l’ultralibéralisme y est-il pour quelque chose, mais il n’a pas été l’apanage d’un parti ou d’un camp. La financiarisation de l’économie française, c’est sous Bérégovoy ministre des finances de Mitterrand. La concurrence comme alpha et oméga des politiques européennes, c’est l’acte unique, négocié par la gauche, ratifié par la droite quand M. Delors était président de la Commission européenne. Toute une époque arrive à son terme. (…) Cette crise terrible, mondiale et européenne, ne vous autorise pas de parler comme en 2007. La vie est plus difficile aujourd’hui. L’est-elle parce que Nicolas Sarkozy a fait une mauvaise politique ? Ou parce qu’il y a une crise planétaire ? La réponse est : parce qu’il y a une crise planétaire. Les résultats enregistrés en France sont plutôt meilleurs que la plupart de nos partenaires. Nous n’avons pas diminué les pensions de retraites ou les salaires des fonctionnaires. Quand vous regardez la situation aux États-Unis, en Angleterre, Espagne, au Portugal, en Irlande, en Italie, en Grèce, on est plutôt content d’être en France. Je ne dis pas que tout a été parfait, mais la politique du gouvernement y est pour quelque chose.

Donc, il y a un programme social cohérent ?

HG. Oui ce sont toujours les mêmes valeurs : le mérite, le travail. La vie est plus difficile qu’il y a quatre ans et vous ne pouvez pas dire aujourd’hui très facilement “travailler plus pour gagner plus”. On a le choix entre s’ajuster par la baisse du niveau de vie, l’austérité, la déflation, comme dans les années 1930, ou bien s’ajuster en travaillant davantage, et c’est la solution choisie par Nicolas Sarkozy.

JCM. Les Français attendent beaucoup de leurs responsables politiques. Il y a une contradiction entre le volontarisme affiché – “je vais redonner au politique sa puissance” – et en même temps une perte d’influence des politiques, volontaire au fil des années, et je ne parle pas que des dernières années : on a transféré, sans toujours respecter le vote des Français, des responsabilités au niveau européen, et le volontarisme en a pris un coup. Par exemple, je ne suis pas certain que le mécanisme européen de stabilité voté par le Parlement ne conduit pas à un transfert de souveraineté : les pays qui percevront une aide demain devront accepter les conditions imposées. En Italie comme en Grèce, ce ne sont même plus les peuples qui ont choisi leurs dirigeants, ce sont les marchés.

Quel bilan tirez-vous du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?

JCM. D’abord, je suis en désaccord sur les retraites. C’était une contre-réforme, motivée par la situation des marchés financiers. Les gens l’ont bien compris ! Ils attendent des politiques de s’affronter à l’Europe sur certains thèmes. Par exemple, je ne suis pas contre un débat sur le protectionnisme européen. Ce n’est pas un gros mot. Mais ce qui me révolte le plus, c’est la révision générale des politiques publiques. On peut avoir un débat sur le rôle et les missions du service public – nous l’avions demandé –, mais là on n’a pas seulement réduit les services publics, on a aussi cassé des missions de service publics ! La République sociale repose d’abord sur des services publics qui fonctionnent. Quand vous supprimez 10 % des effectifs dans les services vétérinaires, il ne faut pas s’étonner qu’ils ne puissent plus contrôler les abattoirs. Résultat, le gouvernement a récemment passé un décret en février qui stipule qu’ils vont désormais s’autocontrôler. La République sociale repose ensuite sur les régimes de solidarité et de protection sociale. Troisième pilier, la manière dont on négocie. La France, malgré ce qu’on peut raconter sur les taux de syndicalisation faibles et qui m’énerve…

Mais c’est vrai…

JCM Et alors ? La situation d’un travailleur français aujourd’hui est-elle moins bonne qu’un travailleur espagnol, italien, américain ?

On peut donc se contenter d’avoir 8 % de syndiqués dans le privé ?

JCM. La syndicalisation de masse en France, ça a eu lieu deux fois, en 1936 et en 1945, et ça n’a pas duré. C’est aussi parce qu’on a des statuts dans le public, et des accords interprofessionnels nationaux dans le privé, grâce à notre système de négociation collective. La France est le premier pays au monde en termes de couverture conventionnelle ou statutaires des salariés : plus de 90 % ! Dans les pays à fort taux de syndicalisation, c’est parfois seulement 30 à 35 %.

Ce système social est très complexe à comprendre pour les électeurs. Nicolas Sarkozy semble vouloir le remettre en cause, au profit d’une relation directe avec le peuple.

HG. On peut ne pas considérer qu’un système est absolument immuable et ne peut pas être amélioré…

Mais Nicolas Sarkozy ne l’a guère modifié, ce système qu’il dénonce aujourd’hui…

HG. Oui, on n’a pas tout changé en cinq ans, car en cinq ans il y a eu quatre ans de crise et on ne peut pas faire tout ce qu’il y a à faire sur les cinquante prochaines années. Oui, on n’a pas tout fait. Qu’il faille simplifier ce système, c’est vrai aussi. Il faut aussi remettre les syndicats dans l’entreprise car il doit y avoir du dialogue social dans l’entreprise. C’est l’idée des accords compétitivité-emploi.

Nicolas Sarkozy a lancé une discussion sur ces accords juste avant l’élection, mais la négociation patine complètement…

HG. Que les syndicats habitués à des négociations nationales et de branche soient plus réticents à partager la responsabilité dans les entreprises, je peux le comprendre, c’est un changement culturel important, mais faut-il ne pas en discuter au motif que ça ne serait pas dans la tradition française ? Je ne le pense pas. Tenter de trouver des accords entre les syndicats et le patronat en fonction de la situation de l’entreprise ne me paraît pas absurde…

JCM. Dans les grandes entreprises, les syndicats sont présents. Le problème se situe dans les PME, sans parler des TPE. Là-dessus, on est dans un pays de liberté syndicale théorique, car il y a des seuils qu’il faudrait supprimer.

La majorité a refusé qu’il y ait un dialogue social digne de ce nom dans les petites entreprises en 2010…

HG. Oui, c’est très compliqué. Il ne faut pas non plus décourager tous les gens qui créent quelques emplois, tuer toutes nos petites entreprises.

JCM. Mais dans les TPE, ce ne serait pas très compliqué, il faut juste que leurs salariés puissent avoir accès à de la prévoyance complémentaires, des chèques-restaurant et vacances, il suffit de le négocier au niveau de la branche et ça s’appliquera. Mais, au-delà, il y a les PME, dans beaucoup il n’y a pas de comités d’entreprise.

HG. Pendant quatre ans, le président n’a pas baissé les bras. Mais les sujets sur la table, c’était d’abord faire face à la crise. Il n’y a pas eu de renoncement. Jean-Claude Mailly dit : “On est à la remorque des marchés financiers, on a fait la réforme des retraites pour ça.” Quand on n’a pas assez d’argent pour se financer, on emprunte, et on est obligé de tenir compte de l’avis de ceux qui vous prêtent de l’argent, sinon ils ne vous prêtent pas.

Tout ce dont on parle là ne va-t-il pas être balayé dans quelques jours par le président de la République, qui va nous faire une campagne d’entre-deux tours très au centre ?

HG. Le fait de rendre la parole au peuple, ça, il le dira aussi entre les deux tours.

Il poursuit quand même une stratégie très à droite…

HG. Mais en quoi le référendum est-il de droite ? Etre de gauche, est-ce pour que le peuple n’ait jamais la parole ? Ce n’est pas autoritariste de demander son avis au peuple. C’est du gaullisme ! Je suis contre le communautarisme, contre les minorités, contre le fait que les corps intermédiaires puissent complètement confisquer la parole du peuple…

JCM. Ça n’a jamais été le cas !

D’ailleurs, qui sont les “corps intermédiaires”, Henri Guaino ?

HG. Le général de Gaulle avait une bonne formule qui résume toute l’histoire de France : « Les féodalités n’aiment rien moins qu’un État qui fait réellement son métier et qui, par conséquent, les domine.» Ce mot de féodalités, je le préfère d’ailleurs au mot “corps intermédiaires”. Il disait, les féodalités aujourd’hui ne sont plus dans les donjons mais dans les syndicats, les partis, certains intérêts économiques. C’est toujours pareil.

Mais qui est-ce ? Des exemples !

HG. Mais c’est tout ce qui est entre le peuple et le souverain. Les autorités indépendantes, le Parlement, les syndicats, les partis, les représentants des organisations professionnelles. Tout ceux qui font le lien entre la société et, on va dire, le souverain, l’État. Bien sûr il en faut ! Bien sûr, c’est une nécessité ! Aucune société ne peut marcher sans ces corps intermédiaires ! Mais à certains moments de notre histoire, les corps intermédiaires prennent trop de place, trop de pouvoir et à ce moment-là il faut passer par-dessus.

JCM. En fait, ce sont tous ceux qui ne sont pas d’accord avec le souverain !

Le président parle beaucoup des syndicats. Mais le récent rapport Perruchot a aussi montré qu’il y avait de gros problèmes au niveau du financement des syndicats patronaux. Notamment agricoles, que Nicolas Sarkozy prend soin de ménager…

HG. Il y a des problèmes de financement du syndicalisme en France depuis 1945. Tous les régimes qui se sont succédés depuis ont bricolé pour trouver des solutions. Tous les syndicats de salariés, d’agriculteurs, les organisations patronales ont ce problème-là. Il y avait auparavant des problèmes avec le financement des partis, on a mis peu à peu de l’ordre. Qu’il faille mettre de l’ordre dans le financement des syndicats, c’est absolument nécessaire, mais faisons cela sans stigmatiser personne.

De nombreux dysfonctionnements ont été mis au jour à Marseille, où Force Ouvrière est très implanté. Mediapart a d’ailleurs consacré deux longues enquêtes à ces dérives (ici et ). Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas beau jeu de vous attaquer sur de tels cas, qui semblent de fait assez peu défendables ?

JCM. Les organisations syndicales ont des comptes certifiés par des commissaires aux comptes, qui doivent déférer au procureur s’ils remarquent des irrégularités. Sur Marseille, je veux bien entendre tout ce qu’on veut. J’ai lu votre article, et j’ai rien appris d’ailleurs, je veux vous le dire.

Il montre que plusieurs responsables ont été mis en examen, que l’ancien secrétaire général de FO-Territoriaux a dû partir à cause de l’affaire Guérini…

JCM. C’est vous qui le dites ! Vous êtes marrant ! C’est vous qui le dites. Quand un syndicat fait autour de 60 % dans les élections, ça veut dire qu’il fait son boulot.

La réalité, c’est qu’il cogère la ville.

JCM. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire définir les postes…

JCM. Mais je fais ça tous les jours ! Non pas de cogérer la ville. Mais quand vous êtes responsable syndical, secrétaire de syndicat, secrétaire général d’une fédération ou d’une confédération, si quelqu’un cherche un logement, si vous pouvez l’aider à chercher un logement, ce n’est pas du clientélisme, c’est du travail syndical.

Quand c’est à une échelle plus importante, ça devient un système…

JCM. Mais non. Arrêtons de voir des trucs là ou il n’y en a pas. Si les agents (mais c’est pareil à Eurocopter et c’est le privé) votent majoritairement FO, c’est que le syndicat fait son travail. Et s’ils ont besoin d’un coup de main en avancement, si on peut les aider à obtenir un logement, eh bien, on le fait et c’est tout à fait logique. Un élu politique me disait un jour “quand les citoyens veulent me voir, c’est pour faire sauter un PV, trouver un boulot pour le gamin, aider à trouver un logement”. Le rôle d’un élu, c’est aussi — dans les règles — de répondre à tout ça. Ça fait partie de la vie. Rien n’est jamais parfait, mais il faut arrêter les fantasmes.

* de mauvaise qualité (Alain Kerhervé, Gaullisme.fr)

1 commentaire sur Le débat Guaino-Mailly : Bonapartisme social ?

  1. Dehors la France pétainiste ! Travail Famille Patrie, Messieurs du Fouquets, allez bossez arrêtez de parler de ce que vous ne connaissez pas.

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