Vers la renaissance de l’état-nation

 

  • Par Dani Rodrik,
    professeur en économie politique internationale à l’Université de Harvard
    La Tribune.fr

Copyright ReutersL’un des mythes fondateurs de notre ère est que la mondialisation a relégué l’État-nation au rang de figurant. Les frontières se seraient volatilisées, dit-on, en raison des bouleversements du transport et des communications qui auraient rétréci le monde. Les nouveaux modes de gouvernance, s’étalant des réseaux transnationaux de régulateurs aux organismes de la société civile internationale en passant par des institutions multilatérales, transcendent et remplacent les législateurs nationaux. Dés lors, pour beaucoup d’observateurs, les décideurs politiques des nations seraient en grande partie impuissants devant les marchés mondiaux.

La crise financière mondiale a démonté ce mythe. Qui donc a remis à flot les banques, réamorcé la pompe des liquidités, pris le virage de la relance budgétaire et donné aux chômeurs un filet de sécurité empêchant ainsi que tout ne vire à la catastrophe ? Qui est en train de réécrire les règles de surveillance et de règlementation des marchés financiers afin d’éviter que cela ne se reproduise ? Qui est le plus souvent tenu responsable de tout ce qui ne tourne pas rond ? La réponse est la même partout : les gouvernements nationaux. Le G-20, le Fonds monétaire international et le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire n’étant en majeure partie que des spectacles d’apparat.

Même en Europe, où les institutions régionales sont relativement fortes, c’est l’intérêt national et les décideurs publics nationaux, incarnés principalement par la chancelière allemande Angela Merkel, qui domine le processus de formulation des politiques. Si Merkel était moins entichée des mesures d’austérité pour les pays européens surendettés et si elle réussissait à convaincre l’électorat de son pays de la nécessité d’une autre approche, la crise de la zone euro se déroulerait de façon bien différente.

La fin du laisser-faire

Pourtant même si l’État-nation perdure, sa réputation est en piètre condition. Le concept fait l’objet d’attaques théoriques sur deux plans. La première critique provient d’économistes qui jugent que les gouvernements font obstacle à la libéralisation des échanges commerciaux, des flux des capitaux et des mouvements des populations dans le monde entier. D’après eux, la restriction des interventions règlementaires et tarifaires des instances nationales permettra aux marchés mondiaux de s’ajuster, créant du même coup une économie mondiale plus intégrée et plus efficace.

Mais qui dictera les règles et règlements de marché, sinon les États-nations ? La politique du laissez-faire est une recette idéale pour répéter les crises financières et amplifier les répercussions politiques. Il faudrait par ailleurs confier la politique économique aux mains de technocrates internationaux, isolés comme ils le sont des tractations quotidiennes de la politique, une position qui limite sérieusement la démocratie et la responsabilité politique.

Bref, l’idéologie du laissez-faire gérée par des technocrates internationaux ne constitue pas une alternative plausible à l’État nation. En fait, ultimement, les échanges commerciaux ne profiteront pas de l’érosion de l’État-nation tant que des mécanismes viables de gouvernance internationale ne sont pas en place.

La fin des frontières ?

La deuxième critique provient de certains éthiciens internationalistes qui jugent artificielles les frontières nationales. Comme le philosophe Peter Singer l’a énoncé, la révolution des communications a engendré un « auditoire planétaire » qui construit l’assise d’une « éthique mondiale ». Lorsque les personnes s’identifient à la nation, leur code moral demeure national. Mais, s’ils tissent des liens de plus en plus serrés avec ce vaste monde, leur attachement aux valeurs internationales croîtra également. De son côté, Amartya Sen prix Nobel d’économie parle d’identités multiples – ethniques, religieuses, nationales, régionales, professionnelles et politiques, la plupart d’entre elles traversant les frontières des pays.

Il y a quelques années, une grande enquête mondiale sur les valeurs a fait un sondage dans un grand nombre de pays à propos des liens que les gens entretiennent à l’échelle régionale, nationale et mondiale. Sans surprise, ceux qui se considéraient comme citoyens nationaux dépassaient de beaucoup ceux qui se voyaient comme des citoyens du monde. Un résultat encore plus surprenant, l’identité nationale a même éclipsé l’identité régionale aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Chine et dans bon nombre d’autres pays.

Les mêmes sondages montrent que les personnes les plus jeunes, les plus éduquées et celles qui disent appartenir aux classes supérieures tendent plutôt à tisser des liens avec le monde entier. Néanmoins, il est difficile de trouver un segment démographique pour lequel l’attachement à la communauté internationale l’emporte sur l’amour de la patrie.

Malgré leur amplitude, les baisses des coûts du transport et des communications n’ont pas fait disparaître la géographie. En général, les activités économiques, sociales et politiques se regroupent sur la base de préférences, de besoins et de trajectoires historiques qui varient selon les régions du monde.

La distance géographique est un facteur déterminant des échanges économiques qui importe autant qu’il y a cinquante ans. Il semble même que l’Internet ne soit pas si cosmopolite qu’on le pense : une étude a démontré que les Américains sont plus enclins à consulter des sites Web de pays qui sont physiquement proches que de régions éloignées, même en tenant compte de la langue, du revenu et d’une longue liste d’autres paramètres.

Une nouvelles conscience planétaire

Le problème est que nous sommes encore sous l’emprise du mythe du déclin de l’État-nation. Les dirigeants politiques se disent impuissants, les intellectuels inventent des plans de gouvernance mondiale peu plausibles et les perdants du système jettent de plus en plus le blâme sur l’immigration ou les importations. Toute proposition pour redonner le pouvoir d’intervention à l’État-nation fait généralement fuir les gens respectables, comme si elle pouvait ramener la peste au pays.

Il est certain que la géographie des liens et des identités n’est pas immuable ; elle a en fait évolué au cours de l’histoire. Ce qui signifie qu’il ne faut pas rejeter d’emblée l’avènement possible d’une véritable conscience planétaire accompagnée de communautés politiques transnationales.

Mais il est impossible de faire face aux enjeux contemporains avec des institutions qui n’existent pas (encore). Pour l’instant, les gens doivent se tourner vers leurs gouvernements nationaux pour des solutions, ce qui demeure l’action collective la plus porteuse d’espoir. L’État-nation est sans doute un anachronisme hérité de la Révolution française, mais c’est le seul instrument dont nous disposons.

(*) Dani Rodrik, professeur en économie politique internationale à l’Université de Harvard, est l’auteur de The Globalization Paradox: Democracy and the Future of the World Economy (Le Paradoxe de la globalisation : démocratie et avenir de l’économie mondiale).

2 commentaires sur Vers la renaissance de l’état-nation

  1. Le système centralisé est archaïque et doit disparaître. Il y a une différence monstre entre les Régions et la capital Paris qui à tout pris aux Régions ! Un fossé s’est creusé. Le fédéralisme intérieur laisse aux Régions une plus grande liberté qui leur permettra d’élaborer leur stratégie afin de ce développer, eux, leurs économies et leurs cultures. Le fédéralisme n’empêche pas l’Allemagne d’être le premier pays européen, et les Etats-Unis le premier mondial. Le centralisme parisien prive les régions de moyens, les faisant mourir. Des Régions morte, c’est une France morte. Dîtes-vous bien que Paris n’a pas toujours été la capitale.

    Pourquoi Paris devrait-elle avoir des moyens énormes, mondiales, et les Régions n’auraient rien ??? C’est du racisme culturel ! Le centralisme mérite de disparaître !!! Et il disparaîtra d’une manière ou d’une autre.

  2. HADJADJ Robert // 18 février 2012 à 11 h 49 min //

    Sur la question des territoires et de leur gestion. Le jacobin de la République une et indivisible que je suis, en lutte depuis les lois PS de décentralisations de 1981 et de la droite jusqu’a ce jour, contre toute forme de fédéralisme intérieur, je ne puis accepter la vision de collectivités territoriales opposées, sur le principe d’une autonomie, a celui de l’Etat représentant l’ensemble du peuple français.
    Avec toutes mes critiques et mon opposition aux institutions actuelles, tant qu’une Assemblée Nationale Constituante élue par le peuple au suffrage universel direct n’aura rédigé une nouvelle Constitution pour la République et des institutions approuvées par le referendum du peuple, les institutions de la Vème République demeurent la volonté et la seule loi des français !
    Toute collectivité est donc soumise a l’exécutif qui en émane, qu’il soit présidentiel ou gouvernemental.
    Aussi comparer le déficit de la Nation a celui de l’ensemble des collectivités territoriales, en laissant croire a une gestion autonome salutaire, me parait relever d’une politique contraire a celle de la vision de la République.
    Ce fut un non-sens de laisser nos collectivités territoriales lever l’impôt et d’endetter les budgets de nombres de communes et de départements, sans la sanction de l’autorité publique. La responsabilité incombe autant a la droite qu’a la gauche en votant tous les traites européens qui ont places nos finance publique a la merci des marches financiers.
    Le rôle de l’Etat doit être de redistribuer, au fonctionnement des territoires de la Nation, les moyens de la collectivité nationale

    Robert HADJADJ president du Mouvement Republicain de Salut Public MRSP, Animateur du Cercle de Montpellier pour une Constituante.

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