Triple A : une dégradation déflagration
C’est tout sauf une surprise. Depuis deux mois, la France vit dans l’attente du jour où Standard & Poor’s annoncera sa dégradation et la perte du fameux triple A. Sans attendre le communiqué officiel de l’agence de notation, le gouvernement français a préféré prendre les devants et faire fuiter l’annonce lui-même au milieu de l’après-midi de vendredi. Parmi les pays de la zone euro mis sous surveillance, la France et l’Autriche sont donc appelées à être dégradées d’un cran pour être notées AA+. Les notations de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg, tous trois notés triple A, restent inchangées, tout comme celle de la Belgique, notée AA.
Après avoir soutenu pendant un an qu’il fallait tout faire pour sauver le triple A, « notre trésor national » selon l’expression d’Alain Minc, et justifié notamment la réforme des retraites au nom de la sauvegarde de cette notation, Nicolas Sarkozy a minimisé l’importance de cette dégradation à partir du moment où elle lui semblait inévitable. « Ce serait une difficulté supplémentaire mais ce ne serait pas insurmontable », avait déclaré le chef de l’Etat début décembre dans un entretien au Monde. Une façon de banaliser l’événement, avant même qu’il ne survienne.
En appui de la démonstration, François Baroin et Valérie Pécresse, respectivement ministre des finances et du budget, insistaient sur la quasi-insignifiance de la décision de Standard & Poor’s. La même agence de notation n’avait-elle pas dégradé les Etats-Unis en juillet ? Pourtant, jamais le gouvernement américain ne s’est financé avec des taux aussi bas depuis, ont-ils expliqué à plusieurs reprises. Ils omettaient juste de souligner que les Etats-Unis, première puissance mondiale, restaient le dernier refuge dans un monde totalement déstabilisé par la crise de la zone euro.
« Ceux qui prétendent qu’il ne se passera rien le jour où la France perdra son AAA se trompent complètement », avait pourtant averti Philippe Mills, directeur général de l’agence France Trésor, dans un entretien aux Echos en novembre. La mise en garde de cet acteur clé, chargé de gérer au jour le jour la dette française, portait sur les conséquences économiques. Mais les répercussions politiques risquent d’être tout aussi importantes (lire l’analyse de François Bonnet), tant sur le plan intérieur que sur le plan européen. Même si Standard & Poor’s reste pour l’instant la seule agence à dégrader la France, le mal est fait.
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Les finances françaises sous tension
Dans une position un peu délicate, après avoir assuré en juillet dernier que la notation de la France ne serait pas remise en cause « pendant deux ans au moins », un des responsables de Standard & Poor’s a justifié par avance la décision d’abaisser sa notation : les marchés avaient devancé l’agence de notation. « La France emprunte à des taux d’un pays noté BBB + », avait-il expliqué. Depuis trois mois, les taux auxquels emprunte la France se sont en effet sensiblement tendus : la dernière adjudication, le 5 janvier, s’est faite à 3,40 % pour des emprunts à dix ans. Plus grave, la différence (le spread) entre les taux allemands et les taux français est ancrée. Elle est désormais à plus de 1,3 %.
Jusqu’alors, le gouvernement pouvait espérer que ces tensions seraient passagères et que tout reviendrait à la normale si la crise de la zone euro se résolvait. Désormais, tout espoir est vain : la France est condamnée à emprunter durablement à des taux plus élevés. Il faut du temps pour retrouver la meilleure notation. « Au moins dix ans », disent les économistes.
Un 1 % qui coûte l’équivalent du budget de la culture
L’addition va s’alourdir dès cette année : le gouvernement a prévu d’emprunter quelque 180 milliards d’euros en 2012. « 120 à 150 points de base de plus (1,2 à 1,5 %), cela représente 2,5 à 3 milliards de plus par an », prévenait toujours le directeur de l’agence France Trésor. Soit l’équivalent du budget du ministère de la culture. L’économiste Thomas Chalumeau parvient à peu près au même calcul, dans une étude publiée par Terra Nova. « L’impact de ce point d’intérêt supplémentaire sur nos charges d’intérêts annuelles serait très conséquent, et ce rapidement : de l’ordre de 2,5 à 3 milliards d’euros annuels à l’horizon de 12 à 18 mois, avant d’atteindre possiblement près de 15 milliards d’euros par an à l’horizon 2017, une fois répercuté sur l’ensemble de notre stock de la dette publique, dont la maturité est proche de 5 ans. 15 milliards, soit l’équivalent de deux points de TVA, ou encore de la somme des budgets alloués au ministère de la culture, de l’agriculture, des affaires étrangères, de l’écologie et des transports… »
Alors que la charge de la dette représente déjà 48 milliards d’euros, soit le troisième poste de dépenses budgétaires, une remontée durable des taux d’intérêts va encore l’alourdir. Si les taux dérapent, l’objectif de réduction de déficit à 4,5 % du PIB, déjà jugé très optimiste, risque d’être totalement inatteignable. La suite est malheureusement connue : pour respecter les engagements pris au nom de la discipline dans la zone euro, de nouvelles coupes budgétaires, de nouvelles réductions de crédits, de nouveaux impôts et taxes vont s’imposer. Pour rassurer les marchés, la France risque d’être soumise à son tour à la recette amère connue d’une austérité généralisée, d’une déflation sociale, puisque c’est la ligne qu’a adoptée l’Europe. C’est la première conséquence prévisible de la dégradation.
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Le secteur public attaqué
La dégradation de la notation de la France va entraîner des révisions en cascade. Tous les groupes publics qui bénéficient de la garantie de l’Etat vont se retrouver exposés. Sans attendre la notification officielle de la dégradation française, Standard & Poor’s a donné, dès la semaine dernière, toute une liste d’entreprises publiques « mises sous surveillance négative ». Y figurent notamment la Cades, Réseau ferré de France, la SNCF, EDF, Aéroports de Paris, RTE, la Caisse nationale des autoroutes, et même la Caisse des dépôts. Pour ces entreprises, souvent sous-capitalisées, et largement dépendantes des emprunts, cela va se traduire par une hausse de leur coût de financement. D’autant que toute une partie des investisseurs qui acceptaient auparavant de leur prêter de l’argent les yeux fermés vont se défausser, car ces émetteurs publics n’offriront plus les garanties – qui sont parfois statutairement exigées – suffisantes pour certains créanciers.
Cela va immanquablement se répercuter pour les uns par une hausse des tarifs demandés aux usagers, pour les autres par une diminution de leurs prestations. Les paris sont ouverts : combien de temps va-t-il s’écouler avant que la nécessaire privatisation de certains de ces organismes ne soit évoquée, par les éminents libéraux ?
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Les collectivités locales fragilisées
Les collectivités locales n’avaient pas besoin de cela. Depuis la faillite de Dexia, elles ont déjà le plus grand mal à trouver des crédits. Le gouvernement a dû débloquer en urgence une ligne de crédit de 4 milliards d’euros à la fin de l’année pour leur permettre d’assurer leur financement. La dégradation de la France va encore compliquer la situation.
Paris et la région Ile-de-France ont déjà été placés sous « surveillance négative », dès mercredi. Leur dégradation paraît inévitable, aux dires de Standard & Poor’s. Même si le nombre de collectivités territoriales notées est assez restreint, une trentaine environ, les répercussions vont se faire sentir sur l’ensemble. Les emprunts des villes, déjà difficiles à obtenir, vont être examinés à la loupe et pour beaucoup refusés. Taxes, impôts en tout genre risquent de fleurir pour équilibrer les budgets.
François Fillon va être content. Le premier ministre, qui demandait que les collectivités locales se mettent au régime sec, va enfin avoir gain de cause, et même au-delà. Plus tard, le chef du gouvernement réalisera peut-être les conséquences de ce qu’il demandait : 70 % de l’investissement public est réalisé par les collectivités territoriales. C’était le dernier petit souffle pour soutenir la croissance en France.
La sanction de la gestion Sarkozy
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Dégradation politique
C’est un tournant majeur dans la campagne présidentielle. Même si Nicolas Sarkozy fait tout pour éviter le débat, il ne le pourra pas : cette dégradation est celle de sa gestion, de sa politique. Entre cadeaux fiscaux et autres libéralités d’un côté, et dépenses incontrôlées masquées sous une discipline apparente, son quinquennat a conduit la France à la faillite. En 2007, à son arrivée, l’endettement de la France s’élevait à 900 milliards, soit 65 % du PIB. En 2012, l’endettement prévu est de 1 600 milliards d’euros, soit 82 % du PIB. 700 milliards d’euros de dettes supplémentaires en cinq ans, qui dit mieux ? En un mandat, Nicolas Sarkozy aura réussi l’exploit d’accumuler autant de dettes à lui seul que ses quatre autres prédécesseurs.
La Cour des comptes a déjà donné la lecture qu’il fallait faire de ces chiffres : la crise, argument avancé inlassablement par le gouvernement, n’est responsable qu’à hauteur d’un tiers de cette dérive financière. Tout le reste est issu des choix politiques faits par le gouvernement Sarkozy.
Ce bilan va bien devoir être assumé dans la campagne présidentielle. D’autant qu’il se double d’une autre débâcle politique : celle de la gestion néo-libérale de la crise de la zone euro. Si les agences de notation, et le monde financier en général, se retrouvent exercer un tel pouvoir sur les pays, avec un droit de veto sur les décisions démocratiques, alors qu’elles étaient au cœur du scandale des subprimes et de la crise de 2008, c’est parce que les gouvernements n’ont rien entrepris pour les remettre à leur place. Nicolas Sarkozy a beau eu dire, dans son discours de Toulon de septembre 2008, « les agences de notation irresponsables, c’est fini », en tant que président du G8 et du G20 pendant un an comme en tant que président d’un des pays influents de l’Europe, il n’a rien fait. Au contraire, il a livré la France pieds et poings liés à la finance.
Ironie de l’histoire : dans les arguments pour justifier l’abaissement de la note française, Standard & Poor’s avance l’extrême poids des banques dans l’économie française et les risques qu’elles font peser sur les finances publiques. Ces banques, justement, qui ont dicté ligne à ligne le plan de sauvetage en 2008, avant de souffler la politique économique, et la gestion de la crise de la zone euro, au gouvernement. Les mêmes qui se sont opposées de toutes leurs forces à la moindre réforme, au moindre changement de leurs usages. Tandis que Londres a engagé un processus de séparation entre les banques de dépôts et les banques d’investissement, Nicolas Sarkozy continue de défendre les mérites du « modèle français de la banque universelle », et de nos géants bancaires. Ce choix fait aussi partie de l’addition qui va être présentée aux Français.
Enfin, ultime dégradation : la gestion de la crise de l’euro. Mise en images à tout instant par l’Elysée avec ses rendez-vous pour illustrer l’entente franco-allemande, elle vient aujourd’hui trouver sa sanction. En dégradant la France et l’Autriche, Standard & Poor’s estampille la politique « Merkozy » de la mention « non crédible ». Plus grave, même si Berlin y met encore un peu les formes pour préserver les apparences, un coin est désormais officiellement enfoncé entre la France et l’Allemagne : les deux pays ne sont plus sur un pied d’égalité. La présidence de Nicolas Sarkozy, qui avait commencé par une débauche d’argent et de mauvaises manières, se termine par une faillite économique, politique et diplomatique. Comme pour le triple A, il faudra au moins dix ans pour retrouver le statut perdu.
Standard and Poor’s n’a pas focément raison sur tout. Terra Nova et Chalumeau non plus. Hier, 16 janvier, l’émission du trésor s’est réalisée à des taux inférieurs à ceux d’avant la perte du triple A.
Lire ici : http://www.gaullisme.fr/2012/01/17/la-perte-du-triple-a/