Zone euro : l’Italie est arrivée à un point de non-retour
Par Martine Orange (Médiapart.fr)
Les digues que l’Europe n’a même pas eu le temps d’achever sont tombées. Ni le sommet européen, ni le G-20, ni la mise sous tutelle de la Grèce, ni la démission annoncée de Silvio Berlusconi n’ont réussi à prévenir le danger que tous les dirigeants redoutent: l’Italie, troisième puissance économique de la zone euro, est à son tour prise dans les filets du déchaînement financier.
En dépit de l’intervention massive de la banque centrale européenne, les rendements sur la dette publique italienne à dix ans ont dépassé mercredi les 7% pour grimper jusqu’à 7,42%, avant de retomber à 7,25%. En moins d’une journée, ceux-ci ont progressé de 70 points de base, soit 0,7%. Du jamais vu dans l’histoire de la zone euro.
« L’Italie est arrivée à un point de non-retour », affirme une étude de la Barclay’s. Le seuil de 7% est considéré comme fatidique par les économistes. Au-delà, estiment-ils, les pays ne peuvent plus se financer. Lors des précédents sauvetages de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, les mécanismes d’exclusion de ces pays se sont mis en œuvre à partir du moment où les taux sur leurs dettes souveraines ont atteint ce niveau.
Mais l’Italie n’est pas la Grèce. Elle est trop grosse pour tomber, trop grosse pour être sauvée. Aucun des mécanismes imaginés par l’Europe n’est capable de venir au secours de la troisième puissance européenne, et dont la chute menace l’ensemble du système financier international.
Les responsables politiques et financiers le savent. Pris de vertige, ils ont tenté de dresser un ultime pare-feu lors du sommet du G-20. Emmenés par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, soutenus par Barack Obama, les dirigeants européens ont imposé lors d’une réunion surprise jeudi soir la mise sous surveillance de l’Italie par le FMI et la Commission européenne, précipitant de façon intentionnelle la chute de Silvio Berlusconi (Photo).
Mais le départ annoncé du premier ministre italien totalement décrédilisé et la mise en place espérée d’un gouvernement technocratique, comme en Grèce, censé rassurer les investisseurs, n’ont pas suffi.
Au lendemain de la démission de Silvio Berlusconi, la spéculation s’est déchaînée sur la dette italienne. Le prétexte ? Un changement dû à une des chambres de compensation, LCH.Clearnet, qui a augmenté le montant des appels de marge exigés sur la dette italienne, la jugeant désormais trop risquée.
Ce n’était que l’alibi pour alimenter un mouvement à l’œuvre depuis l’été et qui, après quelques accalmies, est reparti depuis la mi-octobre.
Cherchant à juguler la panique, le gouverneur de la banque centrale d’Italie a multiplié les propos apaisants. « L’Italie peut tout à fait se financer avec de tels taux », a-t-il soutenu, sans vraiment convaincre. Les responsables politiques cherchent à se rassurer, en pensant qu’il ne s’agit que d’une ultime poussée de fièvre. Pour les dirigeants de la zone euro, tout devrait rentrer dans l’ordre, une fois que la situation politique se sera éclaircie en Italie, et que le gouvernement mettra en œuvre le fameux plan d’austérité, alpha et oméga de la politique européenne « pour rassurer les marchés ».
La dette italienne marquée au fer rouge
« Le problème est que même si les taux italiens rebaissaient, cela ne changerait pas grand-chose. Les investisseurs ne veulent plus de la dette italienne », note un analyste de Merrill Lynch, cité par Bloomberg. Pour les banques, la dette italienne est marquée au fer rouge, comme celles de la Grèce, du Portugal ou de l’Irlande. La BCE a beau acheter à tour de bras les obligations des pays en difficulté, les établissements financiers ne veulent pas revenir.
Au contraire, ils cherchent à s’en défaire à toute vitesse, en les refourguant par tombereaux entiers à la BCE pendant qu’il est encore temps.
Le précédent de la dette grecque les a instruits : un pays de la zone euro peut faire défaut au moins partiellement. Les banques françaises, en tout cas, ont retenu la leçon. Se conformant aux recommandations des responsables européens, elles ont gardé leurs créances grecques, persuadées que tout allait s’arranger, pendant que leurs homologues allemandes s’empressaient de les vendre. La Deutsche Bank, en quelques mois, a ainsi diminué son exposition à la dette grecque de près de 70%.
Dans leurs comptes du troisième trimestre, les banques françaises ont commencé à mener une opération vérité sur leur exposition grecque. Cela s’est traduit par une provision supplémentaire de 1,4 milliard d’euros pour BNP Paribas, 2,4 milliards pour Dexia, 333 millions pour la Société générale.
Très présentes sur le marché de la dette italienne, les banques françaises ont commencé à se délester massivement de leurs titres, comme toutes les autres banques.
Ces ventes sont à l’origine de la panique du moment. La prophétie devient une fois de plus auto-réalisatrice : fuyant un marché considéré comme risqué, la finance crée elle-même le risque et l’effondrement. Le cercle vicieux entre dettes étatiques et système bancaire se referme à nouveau.
Mais ce qui se passe sur la dette italienne est en train de diffuser partout. N’ayant pas nettoyé leur bilan des produits toxiques, qu’elles portent encore en masse, malgré ce qu’elles soutiennent, ayant un besoin de renforcer leurs fonds propres, les banques ont engagé des cessions et des mouvements massifs de rapatriement de capitaux.
Tout ce qui est à la périphérie de leur zone d’influence naturelle, tout ce qui ne relève pas de leurs activités premières, est liquidé dans la précipitation. La Société générale a ainsi affirmé avoir cédé plus de 10 milliards d’euros d’actifs entre le 1er juillet et le 1er novembre. Les crédits sont coupés, les capitaux sont rapatriés vers les zones ou les investissements considérés les plus sûrs.
Ainsi, les taux des obligations allemandes sont tombés à 1,71%, ceux des bons de Trésor américains sont à 2%, ceux de la dette britannique à 2,2%, tandis que les taux français montent inexorablement et sont désormais à 3,18%. Jamais l’écart entre l’Allemagne et la France n’avait été aussi grand.
Ces déplacements massifs sont en train de fragiliser à nouveau tout le système financier international, à en croire Mark Carney, le nouveau président du comité de stabilité financière. « La liquidité, au niveau mondial, a fluctué violemment au cours des cinq dernières années et nous sommes sur le point de connaître une nouvelle réduction. L’effet va vite se faire sentir sur l’économie réelle », a-t-il averti mardi lors d’une réunion financière à Londres. Pour lui, la sévérité du retournement dépend de la vitesse à laquelle les banques européennes se désendetteront.
La BCE sous pression
Les premiers effets, en tout cas, sont là. Le flux de capitaux vers les pays émergents est en train de tarir et, dans certains cas, est en train de se renverser. Les pays d’Asie notamment semblent sous tension, au point que le président du comité de stabilité financière recommande aux autorités asiatiques d’utiliser leurs réserves officielles pour contrecarrer l’assèchement des capitaux privés.
Au même moment, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, s’inquiétait de la désertion des capitaux européens dans les pays de l’Europe de l’Est. Les banques européennes, qui en avaient fait un terrain d’expansion naturel, sont en train de plier bagages, à l’instar de BNP Paribas en Russie ou en Ukraine, au risque de déséquilibrer les systèmes financiers nationaux. Leurs monnaies, à leur tour, sont sous pression, avec la débâcle de la zone euro. La monnaie hongroise, le forint, est en chute libre, et a atteint son plus bas niveau depuis mars 2009, selon le Wall Stret Journal. Le zloty polonais est attaqué, tout comme la couronne tchèque, ou la monnaie turque.
A ce stade, les possibilités pour calmer l’incendie spéculatif, stabiliser la zone euro et le système financier international s’amenuisent de jour en jour. Bien que défaits sur toute la ligne, les responsables européens semblent cependant dans l’incapacité de changer de stratégie.
Pourtant, ce ne sont pas les programmes d’austérité, présentés comme le seul viatique par les dirigeants de la zone euro, qui vont rassurer les investisseurs. Au contraire, ils s’en inquiètent : la récession prolongée à laquelle les responsables européens veulent soumettre leurs pays éloigne un peu plus les chances de s’alléger du fardeau de la dette et de son remboursement.
Le renforcement du fonds de stabilité de financière, tel qu’il avait été imaginé lors du sommet européen de la fin octobre, est aussi mort-né, avant même d’avoir vu le jour. Lors du sommet du G-20, les pays émergents qui avaient été invités à participer ont poliment, mais fermement, décliné l’invitation. Il ne reste plus que les pays de la zone euro. Mais comment faire si l’Italie, troisième contributeur, et l’Espagne, quatrième contributeur, font aussi partie des pays à sauver ? Poser la question est déjà y répondre. Même en additionnant toutes leurs économies, ce qu’elles ne sont pas prêtes à faire, l’Allemagne et la France ne peuvent sauver l’ensemble de l’Europe.
Battue lors du sommet européen, la France ne désespère pas de voir resurgir sa proposition de transformer le fonds de stabilité financière en banque, afin de pouvoir s’approvisionner aux guichets de la BCE (Mario Draghi, nouveau président de la BCE© Reuters) et de monétiser la dette des pays européens.
Le ministre des finances irlandais, Michael Nooman, est allé plus loin, en demandant que la BCE se tienne prête pour instaurer un pare-feu face à la spéculation.
Le débat sur le rôle et les missions de la banque centrale européenne monte. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander que la BCE devienne prêteur en dernier ressort, comme toutes les banques centrales du monde. Voyant pointer le danger de remettre en cause le statut de la BCE, point non négociable pour eux, les Allemands tentent d’étouffer dans l’œuf toutes les velléités.
« Une des formes les plus sévères de détournement de la politique monétaire pour des motifs fiscaux est le financement monétaire, connu en termes triviaux comme le financement de la dette publique par le biais de la planche à billets. L’interdiction de ce type de financement dans la zone euro est une des réalisations les plus importantes du système bancaire central. Et spécialement pour l’Allemagne, c’est aussi une leçon clé retenue de l’expérience de l’hyperinflation après la Première Guerre mondiale », a insisté Jens Weidmann, président de la Bundesbank et membre du directoire de la BCE, fermant par avance toute discussion.
Les risques d’effondrement de l’Italie et de la zone euro ne manqueront pas cependant de relancer le sujet. Faudra-t-il laisser la spéculation acculer l’ensemble de l’Europe à la ruine pour que ce dogme soit, comme tant d’autres, reconsidéré ? Pour l’instant, l’Allemagne en fait un point de rupture. Jusqu’au point de l’explosion de l’euro et de l’Europe ?
La déclaration du président de la fédération des exportateurs allemands, Anton Börner, laisse penser que cette alternative est de plus en plus sérieusement envisagée. « Ce qui est important pour nous, c’est le marché libre, l’absence de droits de douane par exemple. Nous n’avons pas nécessairement besoin d’une monnaie commune », a-t-il expliqué. « Y a-t-il une vie pour l’Allemagne après l’euro ? Oui, il y en a une. » Avant d’ajouter : « Une fin de l’euro poserait certes un problème de compétitivité aux entreprises allemandes, mais avec une politique monétaire raisonnable, et en s’entendant avec les syndicats, elles seraient en mesure de le surmonter. »
Inconscience, aveuglement ou cynisme ? Il n’y a que le membre démissionnaire du directoire de la BCE, Jürgen Stark, pour affirmer que « la crise actuelle de la zone euro ne menace pas l’euro ». Tous les signaux disent le contraire. Les forces centrifuges sont à l’œuvre. La menace d’un éclatement et d’une explosion des économies européennes n’est plus une vue de l’esprit.
Cette analyse me parait particulièrement juste. Il apparaît de plus en plus nettement que l’Allemagne est prête à quitter l’euro. On peut même penser qu’elle contribue à son éclatement par une politique volontairement nationaliste. La France s’accroche à l’euro et à l’illusion d’un parapluie monétaire que serait la BCE si son rôle était explicitement étendu aux prêts directs aux états.
Elle rêve de la FED et de sa planche à billets qui permettrait d’alimenter une politique de relance. Elle se berce encore de cette ordre illusion qui ne permet nullement la relance de la croissance à moyen terme, comme on le constate aux Etats-Unis après l’injection des milliers de dollars des QE1 et QE2. Elle est donc frileusement paralysée pour envisager une autre politique qui serait contraire au dogme soutenu par les deux partis majoritaires.
Les marchés et les puissance financières en général vont alors décider pour elle comme ils l’ont fait pour la Grèce, l’Irlande, le Portugal et vont le faire pour l’Espagne et l’Italie. Elles ont affaibli ces pays comme elles vont le faire pour la France. Les banquiers prendront alors les rênes, ce qui va se passer en Grèce et en Italie, pour le plus grand profit des puissances financières et l’asservissement des peuples.
Par l’article 56 du traité de Maastricht, nous avons donné les pleins pouvoirs à la Finance privée. Or elle est incapable de gérer à cause de son avidité. La Finance est un outil de fonctionnement du Politique et de l’Economie. Puisque la Finance est incapâble de remplir ce rôle, mondialisons-la. Ce sera le premier service public mondial.
Cela pourra peut-être se faire par étapes, par groupes de pays, avec une régulation à l’ONU. Nous n’avons pas su organiser avec intelligence notre vie en société. Nous l’avons maintenu dans l’archaïsme de la loi de la sélection naturelle. Nouis avons oublié que nous étions des sapiens, et nous le payons d’un dérèglement mondial.