Commissariat général du Plan
Philosophie du Plan
La planification à la Française répond à un besoin de clarté et de cadrage afin que ce qui a été défini pour notre avenir soit connu de tous et détermine l’environnement de mise en œuvre.
On ne peut, comme c’est le cas depuis le décès de G. Pompidou (1974), s’abandonner au mouvement naturel des choses. Il faut, dans tous les domaines, donner du sens à son action. Ne confondons pas la planification française avec celle érigée en modèle par les Marxistes dans les ex-pays socialistes. « Le plan n’est pas une coercition. Il est une orientation » précisait de Gaulle.
La planification qu’il a initialisée au lendemain de la libération a été anesthésiée par les conflits politiques continus de la IVème république. Mais de Gaulle rétablit le cap. Il en fait une « ardente obligation » dès son retour aux affaires en 1958. « Pour moi, précise-t-il, à mon échelon, il s’agit du plan, parce qu’il embrasse l’ensemble, fixe les objectifs, établit une hiérarchie des urgences et des importances, introduit parmi les responsables et même dans l’esprit public le sens de ce qui est global, ordonné et continu, compense l’inconvénient de la liberté sans en perdre l’avantage ».
Dans la mesure où l’État concentre, au nom de l’intérêt général, l’ensemble des actions définissant le plan, le Président de la République doit se porter garant de sa bonne application. Il importe alors d’organiser tout ceci et de lui donner une légitimité forte.
La vie du plan se déroule en trois phases.
La phase initiale permet à tous les citoyens, au sein des organisations et organismes qui les représentent, de participer à son élaboration, de telle façon que tous les acteurs qui comptent dans la vie politique, économique et sociale ne puissent s’y soustraire dans le seul calcul de le contester, ensuite, sans aucune mesure.( A ce niveau) Il s’agit donc de la phase de concertation.
La seconde est celle de la décision. Elle appartient au Président de la République puisqu’il s’agit du projet national. Nous voyons ici, eu égard à ce que nous subissons depuis 1986 (Première cohabitation Mitterrand-Chirac), l’intérêt primordial d’un exécutif unique et responsable.
La troisième concerne la réalisation du plan. Dans ce contexte, elle peut être l’occasion d’une décentralisation poussée à partir du moment où le plan représente un cadre dans lequel chacun doit trouver une large autonomie d’action et fixer ses propres barrières.
Ce système pyramidal peut se décliner à tous les niveaux (Nation, régions …), mais aussi dans tous les domaines économiques et sociaux, notamment dans les entreprises.
Aujourd’hui le politiquement correct se complaît dans l’anti-État. S’il est vrai qu’il devient impératif de le réformer en le recentrant sur ses missions essentielles, il reste le seul à fournir un cadre global d’orientations. Il n’y a, dans cette approche, aucune nostalgie. Il s’agit de résister aux modes par nature attrayantes mais éphémères. Résistons ! « Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. » (E. Renan – 1882).
Historique
Le Commissariat général du Plan (CGP) était une institution française qui a existé entre 1946 et 2006 et qui était chargée de définir la planification économique du pays, notamment via des plans quinquennaux. Il s’est transformé alors en Centre d’Analyse Stratégique (CAS).
Prévision et concertation
Le Commissariat général du Plan fut créé le 3 janvier 1946 par le général de Gaulle. Il bénéficiait alors d’une unanimité nationale. Jean Monnet est le premier à occuper ce qu’il désigne lui-même comme « la fonction indéfinissable de Commissaire au Plan ». Le Commissariat général du Plan était composé de 160 personnes : 20 % de fonctionnaires et 80 % de chargés de mission contractuels.
Pour marquer toute l’importance que revêt à ses yeux cette institution, le général de Gaulle rattache directement le Commissariat général du Plan au chef du gouvernement.
Dès 1946, le Conseil du Plan siège à l’Hôtel de Vogüé, situé rue de Martignac dans le 7e arrondissement de Paris. Pendant près de quarante années, la prévision et la concertation constituent l’identité essentielle du Plan.
C’est avec la fin des plans quinquennaux en 1993 que cette « ardente obligation », pour reprendre la formule célèbre du général de Gaulle est ébranlée dans ses fondements.
Les premières remises en question
En octobre 1986, le Ministre de la fonction publique, du Plan, et de l’économie sociale, Hervé de Charrette (UDF-Giscardien), propose de substituer un commissariat de la stratégie au Commissariat au Plan. Les oppositions ont été nombreuses : Pierre Massé précise que « supprimer le Plan au nom d’un libéralisme impulsif serait priver le pouvoir d’une de ses armes contre la dictature de l’instant ». Le projet ne se concrétisa pas, mais l’idée, elle, subsista.
La fin du Commissariat au Plan
Le 26 octobre 2005 le Premier ministre Dominique de Villepin annonce vouloir supprimer le Commissariat général du Plan et créer en remplacement un Centre d’analyse stratégique également sous la tutelle directe du Premier ministre. Le 28 octobre 2005 Dominique de Villepin limoge le commissaire général au Plan, Alain Etchegoyen.
Pour de Gaulle, le plan devient une « ardente obligation ».
Le plan quinquennal, ce « réducteur d’incertitudes » selon le mot de Pierre Massé, constituait du temps des « Trente Glorieuses » un élément organique fondamental de l’économie française.
Mais en quelles circonstances le Général a-t-il lancé sa célèbre expression ?
Au lendemain du coup de force manqué d’Alger et à l’occasion de l’anniversaire de la victoire de la seconde guerre mondiale, le général de Gaulle a souhaité faire avec les Français, à la télévision, le point sur la situation. C’était le 8 mai 1961. Selon son habitude, il élargit en conclusion son propos et évoque alors la planification.
Pour préparer ses discours, le Général aimait tester ses idées auprès de ses collaborateurs : c’est ainsi qu’il manifeste son intention de parler du plan comme d’une obligation. Panique au cabinet : le plan-obligation, c’est presque le Gosplan soviétique [Comité étatique pour la planification] ! L’expression est politiquement inacceptable. On lui suggère alors d’aménager son propos. De consultations en échanges, l’obligation devient une obligation ardente.
Et comme l’homme du 18 juin a le sens de la formule, le jour de l’enregistrement, c’est l’ardente obligation, avec sa force rhétorique magique, qui ressort. L’expression est aujourd’hui à la mesure de son auteur : puissante.
Dans un texte publié dans l’ouvrage » Roosevelt – de Gaulle – Monnet : reprendre leur combat, » Jacques Cheminade fait l’éloge de la « planification à la française ».
D’abord la planification, donnant mission et direction à la nation, lui restitue la responsabilité de ses choix et, repose sur une expansion de la production et non sur la seule logique financière… il est donc par nature anti-spéculatif. Pourquoi ? Parce qu’ordonnant et orientant les marchés sur les biens futurs, il rend inutile l’existence même des marchés à terme et des produits dérivés. Aujourd’hui, c’est en l’absence de planification proprement dite et à cause même de cette absence que les agents économiques ont créé des marchés à terme, d’abord sur les matières premières, puis pratiquement sur tout : des options d’achat et de vente ont été ainsi émises pour se couvrir, avec une logique d’assurance, puis sont devenues rapidement des instruments privilégiés de spéculation, et ont proliféré et détruit l’économie réelle.
Ensuite, la planification a pour objet de résoudre les deux principaux paradoxes qui constituent la trame d’une économie :
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le paradoxe des relations entre l’Etat, la collectivité et l’individu ;
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le paradoxe du passage du continu au discontinu, car tout changement technologique modifie en effet les rapports entre les composants d’une économie, et que prévoir la réorganisation de ces composants est – ou devrait être – la matière même de toute planification. La perte de l’initiative de l’Etat, l’abandon des moyens de l’état, a toujours conduit à un régime d’intérêts particuliers et d’exclusion. La planification, rassemblement des moyens de l’Etat en vue d’un dessein démocratiquement défini en commun, a au contraire toujours été nécessaire aux moments de « décollage ». La planification est indissolublement liée à ces moments de décollage, (c’est-à-dire de) à savoir le passage d’un ordre systémique à un autre, relativement plus élaboré.
Un exemple fondamental de ce décollage : le Plan français entre 1945-1946, période pendant laquelle tous les objectifs nationaux que le pays s’était fixés furent atteints. La démarche planificatrice a été alors suivie non par « goût » ou par « préférence », mais par obligation et nécessité parce qu’elle était le seul moyen d’assurer une reprise.
En 1945-1946, la première fois, il s’agissait de faire repartir les secteurs économiques de base, le fondement même de l’économie. En 1958-1959, la deuxième fois, il s’agissait de sortir de l’état de banqueroute financière de la IVe République et de la « logique de guerre » du conflit algérien. Dans les deux cas, l’idée de planification est associée au nom de Charles de Gaulle, qui se trouva au pouvoir en ces deux moments d’inflexion historique.
De Gaulle l’exprimait ainsi : « Nous voulons donc la mise en commun de tout ce que nous possédons sur cette terre, et pour y réussir il n’y a pas d’autre moyen que ce que l’on appelle l’économie dirigée. » (Discours prononcé à Lille, le 1er octobre 1944.)
Cependant, « dirigisme » ne veut pas dire suivre une direction prédéterminée suivant une logique préétablie, continue de Gaulle, « les grandes affaires humaines ne se règlent point uniquement par la logique, il y faut l’atmosphère que seule peut créer l’adhésion des sentiments ». Le Général synthétisait sa vision planificatrice avec une autre formule : « le plan n’est pas une coercition, il est une orientation ».
Ainsi, la conception gaullienne de la planification, d’une économie dirigée, n’est pas celle d’un chemin prédéfini à la soviétique, mais le rassemblement volontaire de tous les efforts nationaux, « l’affection du pays tout entier » pour l’accroissement des ressources communes, c’est-à-dire de la « richesse nationale ».
Dans la France de 1962, l’adversaire le plus estimé du général de Gaulle, Pierre Mendès-France, écrivait alors dans sa République moderne : « Chacun reconnaît aujourd’hui que l’Etat est responsable de l’évolution économique, qu’il lui appartient de lutter contre les crimes et le sous-emploi, de stimuler et de coordonner les efforts en vue de l’expansion et du progrès communs. Personne ne peut plus défendre sincèrement le libéralisme du dernier siècle, personne ne croit plus à la valeur de la vieille formule : « Laissez faire, laissez passer » Elles [les institutions de l’Etat] doivent constituer un ensemble cohérent dont les différentes parties, au lieu de se contrarier et de se neutraliser, comme ce fut souvent le cas, se renforcent, se complètent et se soutiennent les unes les autres. Cet ensemble, c’est le Plan. »
Cela veut donc dire que, d’abord, la planification à la française se définit par une adhésion, un volontarisme et par une double négation : négation du « laisser faire, laisser passer » libéral, et négation de « l’écrasement des individus ».
Le Plan « rassemble », et ménage l’entente et l’harmonie élémentaire entre toutes les catégories sociales, tous les citoyens.
Concluons ce chapitre avec cette précision du général de Gaulle, le 4 février 1965 : « Sous peine de déséquilibre, il importe au moins [avec le Plan] que toutes les catégories avancent en même temps que l’ensemble, et que chacune ait sa part »
Des domaines réservés ?
Le droit de décision que le président de la République s’est reconnu, en application de la nouvelle constitution, dans des matières essentielles conduit M. Jacques Chaban-Delmas à présenter le 15 novembre 1959, devant le Congrès de l’U.N.R., la théorie du « domaine réservé ».
Dans les faits cette théorie est contestable car le général de Gaulle n’a jamais délaissé l’économie. « L’ardente obligation du Plan » est là pour en témoigner, le Général avait suivi avec attention la rédaction de la loi du 4 août 1962 portant approbation du IVe Plan. D’ailleurs le président de la République confirme son souci de fixer dans tous les domaines de l’activité nationale les orientations fondamentales. « Dans le champ des affaires, écrit-il dans ses Mémoires d’Espoir, iI n’y a pas de domaine qui soit négligé ou réservé ». Et de préciser : « Pour moi, à mon échelon, il s’agit du Plan, parce qu’il embrasse l’ensemble, fixe les objectifs, établit une hiérarchie des urgences et des importances, introduit parmi les responsables et même dans l’esprit public le sens de ce qui est global, ordonné et continu, compense l’inconvénient de la liberté sans en perdre l’avantage ; je ferai donc en sorte que la préparation et l’exécution du Plan prennent un relief qu’elles n’avaient pas en lui donnant un caractère « d’ardente obligation » et en le proclamant comme mien .»
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