De Gaulle à N. S. Khrouchtchev.

b1458c20060429071911545 10 septembre 1959. Au président du Conseil des ministres de l’Union des républiques socialistes soviétiques.
Après avoir étudié l’aide-mémoire qui lui a été remis le 16 août par l’ambassadeur Vinogradov sur la demande du président du Conseil des ministres de l’URSS, le général de Gaulle désire que sa propre manière de voir sur les sujets ainsi évoqués soit portée à la connaissance du président N. S. Khrouchtchev.

 

 

Le général de Gaulle pense que, dans la situation actuelle du monde et compte tenu surtout des énormes moyens nucléaires de destruction qui sont accumulés — et continuent de l’être — par l’Union soviétique, les États-Unis et la Grande-Bretagne, rien n’est plus important pour l’humanité tout entière qu’une détente réelle entre l’Est et l’Ouest conduisant à un désarmement général et contrôlé.

C’est pourquoi, toute mise en demeure, formulée dans l’atmosphère tendue d’aujourd’hui, doit être évitée avec soin. Par exemple, la question de Berlin, telle qu’elle a été, dans le fond et dans la forme, soulevée par l’Union soviétique, n’est pas de nature — c’est le moins qu’on puisse dire —à favoriser le rapprochement, ni même la coexistence.

Au contraire, si l’on se décidait à établir des relations réciproques qui ne soient pas constamment altérées par des griefs et des revendications, il est probable que des problèmes du genre de celui de Berlin apparaîtraient sous leur vrai jour, c’est-à-dire comme très secondaires et nullement urgents en comparaison du bienfait d’une détente internationale. On peut même penser, qu’une fois cette détente acquise, il ne serait pas difficile de pratiquer à Berlin, et ailleurs, un modus vivendi sans alarmes.

Comme le président du Conseil des ministres de l’URSS voudra bien, sans doute, en convenir, la France, pour sa part, s’efforce d’aider à un pareil changement dans les rapports entre l’Est et l’Ouest. C’est dans ce but qu’elle s’abstient d’affirmer que la réunification de l’Allemagne s’impose immédiatement. Pour la même raison, elle s’en tient à ce qui est en ce qui concerne les frontières allemandes de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud. Mais c’est aussi dans ce but qu’elle estime nécessaire l’existence d’une Allemagne libre et solide et qu’elle participe avec elle à l’OTAN.

Il lui apparaît, en effet, que la République fédérale allemande ne constitue pas une menace, contrairement à ce que déclare l’aide-mémoire soviétique. Si la France se sentait en danger du fait de l’actuelle Allemagne, elle ne manquerait évidemment pas d’assurer sa sécurité vis-à-vis de cette voisine et tâcherait de se concerter à ce sujet avec l’Union soviétique, en dépit du fait que l’accord conclu pendant la guerre entre le maréchal Staline et le général de Gaulle a été, depuis, renié par Moscou. Mais elle ne découvre rien qui, du fait de la République fédérale, puisse réellement l’inquiéter. Comme, d’autre part, il est évident que l’Allemagne de 1959 n’est, à aucun égard, celle de Hitler, et que la Russie de 1959 ne saurait se comparer, en fait de puissance militaire, à celle de 1941, on ne voit pas davantage comment et pourquoi l’Union soviétique pourrait se sentir menacée par Bonn. En tout cas, le fait que Bonn se tient proche de la France qu’aucun intérêt national n’oppose à la Russie et qui, même, éprouve à l’égard du peuple russe une réelle et traditionnelle sympathie, doit apparaître à Moscou comme une garantie de paix.

Le moment est venu de préciser, qu’à moins d’un conflit qui serait une catastrophe générale, la coopération de tous les États européens va devenir un impératif de la civilisation, étant donné que les régimes perdent Je leur virulence et compte tenu des développements à prévoir, notamment en Asie et en Afrique. Le général de Gaulle estime donc que la Russie soviétique doit ménager l’avenir de ses rapports avec l’Allemagne. Celle-ci, en effet, dès lors qu’elle n’a pas l’ambition d’une « revanche », demeure un grand peuple nécessaire au progrès et à l’équilibre de l’Europe unie, que, du côté français, on souhaite voir naître demain.

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