Affaire Wildenstein : une plainte embarrasse Woerth et Baroin

 

 

C’est un tournant dans l’affaire Wildenstein, qui défraye la chronique judiciaire depuis de longues années. C’est aussi un tournant important dans les affaires qui défrayent la chronique politique française. Selon nos informations, une plainte a été déposée, lundi 20 septembre, notamment pour «trafic d’influence», «corruption active et passive». Pour la première fois – car cela n’est pas encore advenu dans l’affaire Bettencourt –, un juge d’instruction indépendant pourrait être saisi et enquêter sur une affaire de présomption de fraude fiscale massive. Un dossier qui implique un ami proche du chef de l’Etat, Guy Wildenstein, et qui embarrasse aussi l’actuel ministre du budget, François Baroin, et son prédécesseur, Eric Woerth, qui n’ont diligenté aucune enquête fiscale.

Comme Mediapart l’a raconté dans une enquête en deux volets (que l’on retrouvera dans l’onglet «Prolonger» associé à cet article), c’est une querelle intrafamiliale au sein de la très riche famille des Wildenstein qui est à l’origine de ce dernier rebondissement, qui va fortement inquiéter l’Elysée. Depuis la mort, le 23 octobre 2001, du célèbre et richissime collectionneur et marchand de tableaux, Daniel Wildenstein (voici sa biographie sur Wikipedia), ses héritiers se disputent sa succession devant les tribunaux.

Sa veuve, Sylvia Wildenstein reproche en particulier aux deux fils que son mari avait eus d’un premier mariage, Guy et Alec (et depuis le décès de ce dernier, à ses ayants droit), de l’avoir spoliée en cachant une très grande partie de l’héritage dans des «trusts» implantés dans des paradis fiscaux, dont le DeltaTrust aux îles Caïmans et le SonsTrust à Guernesey. Jusqu’à présent, la confrontation judiciaire entre les deux clans de la famille était restée sur le terrain civil, Sylvia demandant sa part d’une fortune colossale qui dépasse sans doute les 4 milliards d’euros. Et aucune plainte au pénal n’avait été déposée.

Depuis quelques semaines, tout s’est accéléré. D’abord, comme nous l’avons révélé dans notre précédente enquête, l’avocate de Sylvia Wildenstein, Me Claude Dumont-Beghi, a déposé en son nom une plainte au pénal, le 8 septembre auprès du procureur de la République, à Paris (dont France Inter s’était aussi fait l’écho). Il s’agissait d’une plainte contre X… pour abus de confiance et recel, blanchiment et recel, organisation frauduleuse d’insolvabilité et recel de faux.

Mais l’avocate n’en est pas restée là. Toujours au nom de sa cliente, elle a déposé lundi 20 septembre une nouvelle plainte contre X… auprès du procureur de la République pour «trafic d’influence, corruption active et passive, et recel de blanchiment d’argent». Cette nouvelle plainte risque de changer la donne judiciaire.

Woerth et Baroin ne répondent pas aux alertes

Car jusqu’à présent, c’était Guy Wildenstein qui était visé par les assauts procéduriers de sa belle-mère. Or désormais, la plainte pour trafic d’influence ne vise pas que lui. Implicitement, elle vise tout autant les deux ministres successifs du budget, Eric Woerth et François Baroin, qui ont été informés d’une présomption de vaste fraude fiscale et qui n’ont pas diligenté d’enquête. Les faits sur lesquels l’avocate s’appuie pour étayer sa plainte sont de notoriété publique.

D’abord, Me Dumont-Beghi estime avoir accumulé de nombreuses preuves matérielles qui alimentent le soupçon d’une vaste fraude fiscale. A titre d’exemple, elle a mis la main sur un document (que l’on peut consulter ci-dessous) qui présente les richesses inestimables qui ont été logées au sein du DeltaTrust, et qui n’ont donc pas été mentionnées dans la déclaration de succession.

Pour agrandir le document, cliquer sur « Fullscreen »

 

Ce document offre un aperçu qui donne le tournis. Parmi les tableaux qui ont été cachés aux îles Caïmans figurent des œuvres de Bonnard, de Courbet, de Fragonard, de Picasso, et de bien d’autres encore…

Rédigeant plusieurs courriers au fil des mois, le 12 juin et le 7 septembre 2009 à l’attention d’Eric Woerth, le 6 juillet 2010 à l’attention de François Baroin, l’avocate a donc saisi les deux ministres successifs du budget, pour les informer de cette présomption de fraude, dont aurait pâti sa cliente et tout autant l’administration fiscale. Mais aucun des deux ministres n’a donné suite à ces lettres. Comme en témoigne la lettre adressée à François Baroin que l’on peut consulter ci-dessous, l’alerte est pourtant très circonstanciée et explicite.

Pour agrandir le document, cliquer sur « Fullscreen »

 

Wildenstein et Woerth bras dessus, bras dessous

Il faut dire que Guy Wildenstein est une personnalité qui compte dans la galaxie de l’UMP, comme l’a raconté Mediapart. Il est ainsi le délégué de l’UMP pour la côte est des Etats-Unis. Il est aussi le chef du groupe UMP à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, il a donc été aux avant-postes pour défendre les couleurs de son champion.

Dans la vidéo ci-dessous, extraite d’un reportage de la chaîne France 24, on le voit ainsi en mars 2007 expliquer par le menu son «amitié» et son «admiration» pour son mentor. Ne tarissant pas d’éloges sur le candidat de l’UMP c’est un «homme extraordinaire», dit-il, il révèle que tous deux se tutoient mais il est vrai que Nicolas Sarkozy tutoie la terre entière.

 

 

Dans la deuxième vidéo ci-dessous, qui date de février 2007, Guy Wildenstein manifeste sa flamme à Nicolas Sarkozy de manière encore plus caricaturale. Aux Etats-Unis, il est donc devenu pour l’UMP un personnage clef. Et ce qui était vrai avant l’élection présidentielle l’est toujours. Tous les ministres français ou dirigeants de l’UMP qui vont outre-Atlantique le savent: il est recommandé d’associer l’ami du président aux festivités qui sont organisées à New York ou à Washington. Le site Internet de l’UMP est ainsi truffé de comptes-rendus de réunions aux Etats-Unis où Guy Wildenstein joue les premiers rôles: un jour, c’est Eric Besson qui est de passage (comme ici), le lendemain, c’est Jean-Pierre Raffarin…

 

Le rôle de Guy Wildenstein à l’UMP n’a pas diminué, même si les controverses publiques générées par la présomption de fraude fiscale massive et les querelles intra-familiales autour de l’héritage en gênent plus d’un, à droite. Mais ainsi fonctionne Nicolas Sarkozy: il ne souhaite pas plus «lâcher» Guy Wildenstein qu’il n’a lâché Eric Woerth. Il va de nouveau en administrer la preuve dans le courant du mois d’octobre, à l’occasion d’une élection partielle à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Comme l’a rapporté une indiscrétion de L’Express, «c’est une élection discrète dont se serait bien passée l’UMP: celle des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger (une instance représentant les 2,3 millions d’expatriés tricolores), le 24 octobre, dans la circonscription de Washington. Le précédent scrutin, organisé en juin 2009, a été annulé par le conseil d’Etat à la veille de l’été. Or, celui qui occupe la deuxième place de la liste présentée par l’UMP n’est autre que… Guy Wildenstein».

Et pourquoi Nicolas Sarkozy ne souhaite-t-il pas lâcher Guy Wildenstein ? Parce qu’il est effectivement un ami. Mais aussi parce qu’il n’a jamais mégoté son soutien. Y compris son soutien financier. Car, en plus de toutes ses fonctions au sein de l’UMP, il est aussi un membre actif du «Premier cercle», la structure au sein de ce parti qui drague les dons financiers des sympathisants les plus fortunés. C’est un autre point commun avec l’affaire Bettencourt.

Cliquer sur le document pour l’agrandir

clip_image002

C’est ainsi que Guy Wildenstein, pendant la campagne présidentielle, a prêté main forte au trésorier de l’UMP, pour collecter des dons financiers un trésorier qui n’est autre, évidemment, que… Eric Woerth. Comme on en trouve encore trace sur le site Internet de l’UMP, Guy Wildenstein, Eric Woerth, en sa qualité de trésorier de l’UMP, et Patrick Devedjian, en sa qualité de conseiller politique du candidat à l’élection présidentielle, ont ainsi tenu une «réception-débat» le 26 janvier 2007 dans une brasserie chic de New York, pour collecter des fonds au profit de leur champion.

Les deux hommes se connaissent il est vrai de longue date: grand amateur de chevaux, propriétaire d’une écurie de pur-sang, Guy Wildenstein est un habitué de Chantilly.

Guy Wildenstein et Eric Woerth, bras dessus, bras dessous, en campagne pour Nicolas Sarkozy: c’est un fait qui naturellement pèse lourd. Car il souligne la place qu’occupe l’héritier Wildenstein dans la galaxie sarkozyste. Et comme dans ce monde-là, en remerciements de service rendus, on a la Légion d’honneur facile, Guy Wildenstein a eu, lui aussi, sa récompense. Sur le contingent du Quai d’Orsay, il a été promu commandeur, dans la fournée du 1er janvier 2009. Pour services rendus sinon à la France, en tout cas, à Nicolas Sarkozy…

Trois mois pour ouvrir ou non une information judiciaire

C’est donc sur tous ces faits que s’est appuyée l’avocate pour étayer sa plainte pour trafic d’influence, estimant que la proximité de Guy Wildenstein avec l’Elysée et avec Eric Woerth explique l’inertie de Bercy dans le volet fiscal de l’affaire.

Maintenant que la plainte est déposée, le Parquet a trois mois pour ouvrir ou non une information judiciaire. Si d’aventure il ne le faisait pas et si la plainte était classée sans suite, Sylvia Wildenstein pourrait alors déposer une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Et il adviendrait alors ce que l’Elysée a voulu empêcher à tout prix dans l’affaire Bettencourt: un juge d’instruction indépendant serait saisi et pourrait enquêter pour savoir si le trafic d’influence est ou non établi.

En quelque sorte, l’étau judiciaire se resserre sur Nicolas Sarkozy et quelques-uns de ses ministres. Il y avait jusque-là l’affaire Bettencourt. Et voilà qu’il va falloir faire face à son double, l’affaire Wildenstein, qui est en fait bien plus ancienne..

Par Laurent Mauduit

1 commentaire sur Affaire Wildenstein : une plainte embarrasse Woerth et Baroin

  1. ULMANN Serge // 5 janvier 2016 à 11 h 16 min //

    Ce monsieur a bien déchanté depuis, il s’est rendu compte que son idole n’était pas, loin s’en faut, ce qu’il croyait (sauf pour son intertêt pour l’argent.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*