Heurs et malheurs de l’euro

 

 

  • Alors que le fléchissement de l’économie américaine entre son pic et son point bas n’a été que de 3,8 %, celui de la zone euro a été de 5,1 %. Pendant la première décennie de son existence, les déséquilibres au sein de la zone euro ont causé des dégâts considérables au crédit des secteurs privés des économies les plus prospères. Aujourd’hui, ces déséquilibres grèvent le crédit de leurs secteurs publics. Les pays périphériques se trouvent en récession structurelle et ils devront réduire leurs déficits budgétaires. Sans compensation sur le plan de la monnaie ou du taux de change, cela aggravera encore la récession. La crise qui affecte la périphérie de la zone euro n’est pas un accident : elle est inhérente au système.

 

 

euroQue se serait-il passé durant la crise financière si l’euro n’avait pas existé ? Les monnaies grecque, irlandaise, italienne, portugaise et espagnole auraient à coup sûr fortement chuté face au deutschemark. C’est précisément le genre de chose que les créateurs de la zone euro souhaitaient éviter. Ils y sont parvenus. Mais si le taux de change ne peut plus être ajusté, alors il faut que quelque chose d’autre le soit. En l’occurrence, ce sont les économies des pays membres situés à la périphérie de la zone.

L’économie de la zone euro est presque aussi forte que celle des Etats-Unis. Elle a trois fois la taille de celles de la Chine ou du Japon. Jusqu’ici, elle a passé avec succès son premier test. Pourtant, le fléchissement de l’économie américaine entre son pic et son point bas n’a été que de 3,8 % (du deuxième trimestre 2008 au deuxième trimestre 2009), alors que celui de la zone euro a été de 5,1 % (entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009).

Mais plus que la performance globale de la zone euro, c’est ce qui se passe en son sein qui est important. Examinons d’abord l’état des déficits et des excédents des comptes courants. En 2006, l’Allemagne avait un excédent de 190 milliards de dollars – soit 6,5 % de son produit intérieur brut (PIB) – et les Pays-Bas un excédent de 64 milliards de dollars (9,4 % du PIB). A l’autre extrémité, on trouvait les importateurs de capitaux, au premier rang desquels l’Espagne, qui accusait un déficit de 111 milliards de dollars (9 % du PIB).

Beaucoup soutiennent que, dans une union monétaire, les déficits des comptes courants des différents membres n’ont pas plus d’importance qu’entre, disons, le Yorkshire et le Lancashire [comtés de Grande-Bretagne]. Ils ont tort. Les pays déficitaires sont des vendeurs nets de créances au reste du monde. Que se passe-t-il si les opérateurs mondiaux vendent ces créances ou retirent leurs prêts ? Réponse : une récession. Dans un même pays, il est relativement facile de s’installer dans une autre région. Il est généralement plus difficile de sortir des frontières. Mais il y a une autre différence, plus importante encore : le gouvernement espagnol ne peut répondre au mécontentement des chômeurs espagnols en leur expliquant que les choses ne vont pas si mal que ça ailleurs dans la zone euro. Il doit proposer une solution nationale. La question est de savoir laquelle.

Avant la crise, les pays périphériques présentaient un excédent de demande par rapport à l’offre, tandis que les pays du centre se trouvaient dans la situation opposée. En 2006, les secteurs privés grec, irlandais, portugais et espagnol dépensaient beaucoup plus qu’ils ne gagnaient, tandis que les secteurs privés allemand et néerlandais dépensaient beaucoup moins.

Puis vint le crash qui, inévitablement, frappa le plus durement les secteurs privés les plus exposés. Entre 2006 et 2009, les secteurs privés irlandais, espagnol et grec ont modifié le rapport entre leurs revenus et leurs dépenses dans une proportion équivalant à respectivement 16 %, 15 % et 10 % du PIB national. Conséquence, une énorme détérioration de la position budgétaire. Ce qui souligne un point que les économistes semblent curieusement réticents à admettre : la position budgétaire n’est pas durable si le financement du secteur privé ne l’est pas.

Pendant la première décennie de son existence, les déséquilibres au sein de la zone euro ont causé des dégâts considérables au crédit des secteurs privés des économies les plus prospères. Aujourd’hui, ces déséquilibres grèvent le crédit de leurs secteurs publics. Alors que les spreads (écarts de taux) de risque ont chuté sur les marchés financiers, ceux qui concernent la dette souveraine dans la zone euro constituent une exception notable. Ainsi les spreads sur les obligations allemandes à dix ans sont montés en flèche alors qu’ils étaient à des niveaux négligeables ; en Grèce, ils ont récemment atteint 274 points de base.

Au vu de tout cela, dans quelle situation se trouvent aujourd’hui les pays périphériques ? Réponse : en récession structurelle. A un moment donné, ils devront réduire leurs déficits budgétaires. Sans compensation sur le plan de la monnaie ou du taux de change, il semble inévitable que cela aggrave encore la récession qu’a déjà entraîné l’effondrement de leurs dépenses privées alimentées par la bulle. Le pire, c’est qu’au cours des années de boom ces pays ont perdu de leur compétitivité au sein de la zone euro.

Cela aussi était inhérent au système. Les taux d’intérêt fixés par la Banque centrale européenne, destinés à équilibrer l’offre et la demande dans la zone euro, étaient trop faibles pour les pays alimentés par la bulle. Avec une inflation relativement élevée dans les secteurs produisant des biens non exportables, les taux d’intérêt réels étaient aussi relativement faibles dans ces pays.

Une perte de compétitivité extérieure et une forte demande intérieure ont creusé les déficits extérieurs. Ceux-ci ont à leur tour généré la demande dont avaient besoin les pays du centre de la zone présentant des capacités excédentaires. Et pour ajouter l’insulte à la blessure, les pays du centre étant hautement compétitifs au niveau mondial et la zone euro présentant une forte position extérieure et une monnaie saine, la valeur de l’euro lui-même est montée en flèche.

Cela a entraîné les pays périphériques dans un piège : ils ne peuvent pas facilement générer un excédent extérieur ; ils ne peuvent pas aisément relancer l’emprunt du secteur privé ; et ils auront du mal à supporter durablement les déficits budgétaires actuels. L’émigration de masse serait une possibilité, mais on voit mal comment elle pourrait être recommandée.

Une immigration massive d’étrangers aisés qui pourraient s’installer dans des logements aujourd’hui peu coûteux serait de loin préférable. Au pire, il faudrait peut-être un fléchissement durable qui permette de réduire les salaires et les prix nominaux. L’Irlande semble avoir accepté un tel avenir. Ce n’est pas le cas de l’Espagne ni de la Grèce. De plus, le pays affecté subirait aussi une déflation de la dette : avec des prix nominaux et des salaires en baisse, le fardeau réel de la dette libellée en euros s’alourdirait. Le pays serait alors sous la menace d’une vague de défauts de paiements – privés et même publics.

La crise qui affecte la périphérie de la zone euro n’est pas un accident : elle est inhérente au système. Les membres les plus faibles doivent trouver un moyen de sortir du piège dans lequel ils se trouvent. Ils ne seront guère aidés : la zone ne possède pas de membre disposé à jouer le rôle d’acheteur de dernier ressort ; et l’euro lui-même est aussi très fort. Mais ils doivent absolument y parvenir.

Lors de la création de la zone euro, on a assisté à la publication de quantité de documents se demandant si elle serait la meilleure des unions monétaires. Nous savons à présent que ce n’était pas le cas. Nous n’allons pas tarder à en voir les conséquences.

Source : www.observatoiredeleurope.com/ – Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times ». © FT. (Traduit de l’anglais par Gilles Berton).

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*