Le dernier grand bazar

le pouvoir français n’est plus français. Il est apatride

 

La gauche se déchire pour l’Europe sur fond de présidentielle, la droite se déchire pour la présidentielle en pleine campagne référendaire. C’est le grand bazar.

L’exécutif ne gouverne plus. Il distribue, ici où là, face aux pressions des uns ou des autres, et en fonction des sondages qui fleurissent de plus en plus à l’approche du 29 mai, les « cadeaux » stockés à cet effet. La Commission européenne copie : elle fait des risettes aux défenseurs du oui et lâche quelques subsides pour « acheter » un oui à quelques groupes de pression.

La morale politique ? Aux oubliettes. On ne gouverne plus ; on tient. Garder sa place dans ce dernier (ou avant-dernier, ayons la positive attitude !) gouvernement libre et démocratique ou au parlement est une politique à la quelle s’adonnent avec énergie les Jacques (2), Nicolas, Dominique (2), Laurent, Jean-Pierre, François (2), Michelle, Jean-Louis…

Projetons-nous dans un après référendum « ouiste », et plus particulièrement en 2007 et au-delà. Sarkozy est Président de la République (le scénario marche aussi avec François Hollande !), son gouvernement est en place (on y retrouve Dominique, François, Michelle, Jean-Louis (2), ceux qui veulent finir sur les planches).

Tout va bien dans le meilleur des mondes, sauf que…

Sauf que : Le Président de la République s’ennuie. Il ne se déplace presque plus à l’étranger (sauf pour les vacances scolaires), l’Europe ayant son voyageur attitré : le ministre des affaires étrangères. Le président de la République française inaugure les chrysanthèmes.

Sauf que : le représentant de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, ne répond plus. Son poste a été supprimé, ainsi que celui de son collègue Anglais, pour faire la place à Monsieur le ministre des Affaires étrangère de l’Union européenne.

Sauf que : Le Premier ministre et les membres du gouvernement sont absents de Paris. Ils ont été délocalisés à Bruxelles, dans leurs nouvelles fonctions au sein du Conseil Européen ou du Conseil.

Sauf que : nos ministres, exécutif hier en France, législateurs demain en « Europe », ne rencontreront pas le commissaire français (Il n’est pas en CDI, mais à temps partiel). Tous les dix ans, et ce pendant 5 ans, la France n’aura pas de siège à la commission (Art I-26-6). Par contre, ils dîneront avec le Commissaire Turc.

Sauf que : le ministre des Armées accentue son profil compatible avec l’OTAN, donc avec les USA ; revirement déchirant mais indispensable pour avoir le label « Europe 2006 ».

Sauf que : le ministre des finances devenu comptable européen délégué en France, est chargé de récolter l’impôt (La constitution ne change pas ce point, sauf plus en cas d’affinité !), doit s’assurer que la quote-part européenne a bien été versée en temps et en heure, veille à la répartition du reste du budget sur les directives de Bruxelles après approbation du parlement européen, et dans le stricte respect des règles fixées unilatéralement par la Banque Centrale Européenne libre de tous ses mouvements et responsable devant rien.

Sauf que : le ministre des transports (peut-être Secrétaire d’Etat !) n’arrive pas à convaincre les syndicats qu’il est obligé de mettre en concurrence « libre et non faussée » les entreprises publiques de transports parisiens (RATP et SNCF) conformément au texte constitutionnel (art I-3.2, III-161 et 166), malgré l’aide de notre commissaire Français aux transports Jacques Barrot qui a pris bien soin de congeler sa directive jusqu’au mois de juin prochain,

Sauf que : le ministre des affaires sociales voudrait bien donner satisfaction aux smicards, mais la concurrence, libre et non faussée, est tellement aride avec les pays de l’Est, mais également avec les pays asiatiques, que toute mesure protectionniste même à dose homéopathique est proscrite.

Sauf que : nos parlementaires Français sentent confusément que depuis un certain temps ils hantent les couloirs de l’Assemblée ou du Sénat, en quête d’une caméra de télévision qui les fera exister, les nouvelles stars de Strasbourg les ayant définitivement rétrogradé au statut de second rôle de série B.

En un mot, le pouvoir français n’est plus français. Il est apatride, il est européen et atlantique.

Dans ces conditions, le grand bazar politique hexagonal est particulièrement indécent. Et si certains Français se demandent pourquoi de Gaulle est et restera le premier des Français dans le cœur de nos concitoyens, il suffit de se rappeler combien il a aimé la France et de quelle façon il l’a servi admirablement et avec grandeur : « Quand tout va mal et que vous cherchez votre décision, regardez vers les sommets ; il n’y a pas d’encombrements. » Tout est dit.

Alain KERHERVE

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Art I-26-5 & 6 :
– 5 « La première Commission nommée en application de la Constitution est composée d’un ressortissant de chaque Etat membre, y compris son président et le ministre des affaires étrangères de l’Union, qui est l’un des vice-présidents.
– 6 « Dès la fin du mandat de la Commission visée au paragraphe 5, la Commission est composée d’un nombre de membres, y compris son président le ministre des affaires étrangères de l’Union, correspondants aux deux tiers d’Etats membres…
Art. I-41.2 La politique…respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord…
Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de mise en œuvre.
I-3.2 L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée.
III-161.1 Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objecte ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur…
166.1 Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux et exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution…
166.2 Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (NDLR : nouvelle appellation des services publics) ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de la concurrence…Le développement des échange ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

 

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