Jean-Éric Schoettl : « Emmanuel Macron saisit le Conseil constitutionnel, entre duplicité et mépris des institutions »

Jean-Éric Schoettl. Fabien Clairefond

Le président de la République va saisir le Conseil constitutionnel d’une loi pourtant largement votée, y compris par les quatre cinquièmes de sa majorité. Cette initiative interroge à plusieurs titres.

Certes, une saisine présidentielle du Conseil constitutionnel avant promulgation d’une loi n’est pas sans précédent. Il y en a trois : la première émanait de François Hollande, en juillet 2015, sur la loi relative au renseignement ; les deux autres de l’actuel chef de l’État (en mars 2019, sur la loi anticasseurs et en mai 2020 sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire). Mais cette quatrième saisine présidentielle est d’une nature très différente des précédentes. Dans les trois premiers cas, le président de la République avait gardé une distance avec le déroulement des débats parlementaires ; ici, il s’est impliqué dans le processus législatif en demandant à sa première ministre de faire prospérer « quoi qu’il en coûte » un texte ayant fait l’objet d’une cuisante motion de rejet préalable et dont l’échec définitif aurait porté dommage au quinquennat. Dans les trois premiers cas, le chef de l’État exerçait, en saisissant le Conseil, la fonction arbitrale que lui confère l’article 5 de la Constitution (« Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics… ») ; ici, il est un joueur personnellement intéressé à l’issue de la partie. Dans les trois premiers cas, le chef de l’État n’incriminait aucun article, invitant le Conseil à un examen général du texte ; ici, on sait quels articles il souhaite voir disparaître. Dans les trois premiers cas, la saisine était impassible ; ici, elle manifeste l’humeur de son auteur.

Ajoutons que, en l’espèce, la saisine présidentielle est juridiquement inutile, puisque le Conseil sera de toute façon saisi par des recours de la NUPES articulant de multiples griefs contre de nombreux articles. Sa finalité est politique : signifier les états d’âme, scrupules et restrictions mentales du Président, lesquels sont au diapason de l’émoi de sa gauche après l’adoption de la loi. Le contexte et son propre comportement montrent que ce n’est pas, comme dans les trois cas précédents, pour démontrer l’innocuité constitutionnelle de la loi que le Chef de l’Etat en saisit le Conseil, mais pour la purger. N’a-t-il pas aussi envisagé de demander une nouvelle délibération des articles irritants ?

Deuxième interrogation : en souhaitant ouvertement la censure de certaines dispositions de la loi (ayant toutes pour origine des amendements sénatoriaux), le président dénonce a posteriori un accord qu’il a demandé à sa première ministre et à son ministre de l’Intérieur de conclure avec LR afin de sauver la loi du naufrage. C’est trahir la confiance du cocontractant et faire jouer aux parrains de l’accord, Élisabeth Borne et Gérald Darmanin, un rôle de fantoches. L’attitude du président pourrait même passer pour une manœuvre préméditée : conclure d’abord un contrat pour éviter le rejet du texte, puis, ce dernier une fois adopté, obtenir d’un tiers (le Conseil constitutionnel) l’annulation des clauses qui dérangent.

Cette saisine ne revient-elle pas aussi à une instrumentalisation du Conseil constitutionnel, transformé en instance politique d’appel du Parlement ? Jean-Éric Schoettl

Troisième interrogation : l’attitude présidentielle n’exprime-t-elle pas un mépris tous azimuts des acteurs de la procédure ? Mépris de la majorité sénatoriale implicitement taxée d’allégeances infâmes ; mépris des députés de sa propre majorité qui ont voté en conscience un texte qu’ils n’ont pas trouvé inconvenant ; mépris de la première ministre, objectivement désavouée en raison du bon accomplissement de sa mission…

Cette saisine ne revient-elle pas aussi à une instrumentalisation du Conseil constitutionnel, transformé en instance politique d’appel du Parlement ? Va-t-on voir, pour la première fois, le secrétariat général du gouvernement défendre des dispositions que le président flèche comme suspectes ? Ou, pour ne pas contredire la volonté présidentielle, se faire tantôt avocat, tantôt procureur ? Et qui défendra, devant le juge de la loi, des dispositions contestées par les deux têtes de l’exécutif ?

Quatrième interrogation : ce « en même temps successif » ne relève-t-il pas davantage de la schizophrénie que de la duplicité ? Après le sang-froid stratégique dans lequel a excellé la première ministre, l’attitude du chef de l’État ne traduit-elle pas un trouble irrationnel, induit par les réactions fantasmatiques de la bien-pensance politico-médiatique ? Le président semble en effet découvrir que la loi qu’il a si fort voulue porte la signature du diable. Un triple stigmate : l’adoption de la loi est polluée par les suffrages RN (qu’il faut donc moralement soustraire du total des votes favorables) ; Marine Le Pen y décèle le succès des thèses de son parti ; et y figure un article dans lequel on reconnaît cette marque de fabrique de l’« extrême droite » qu’est la préférence nationale (même si cet article se borne à prolonger – il est vrai, sensiblement – la durée de séjour régulier conditionnant l’obtention de deux prestations sociales non contributives). Comment laver la honte rétrospective de s’être laissé contaminer par les idées de l’« extrême droite » ? Comment retrouver son âme, étourdiment aliénée ? En combattant devant le Conseil constitutionnel, une fois la loi adoptée, un texte qu’on a tout fait pour faire aboutir. Tel l’enfant qui, une fois déballé le jouet qu’il convoitait dans la vitrine, le désarticule par déception.

Nos dirigeants peuvent-ils grimacer sans dommage devant un texte voté à une écrasante majorité des élus de la nation et conforme aux vœux des trois quarts de nos compatriotes ? Jean-Éric Schoettl

La schizophrénie est contagieuse. A-t-on déjà assisté à un spectacle politique aussi surréaliste que celui d’un ministre de l’Intérieur se réjouissant publiquement d’un texte qu’il considère non moins publiquement comme vicié ?

Les dernières interrogations sont proprement politiques : nos dirigeants peuvent-ils grimacer sans dommage devant un texte voté à une écrasante majorité des élus de la nation et conforme aux vœux des trois quarts de nos compatriotes ? L’attitude du président de la République ne ruine-t-elle pas ce qui aurait pu être le début d’une entente objective entre la majorité présidentielle et LR, condition nécessaire d’une gouvernance non chaotique pour la suite du quinquennat ? Si les suffrages du RN sont impurs, le président ne devrait-il pas demander dorénavant une nouvelle délibération de toute loi qui n’a pu être votée qu’avec ses voix ? Les Français comprendront-ils quelque chose à cette saisine et à ses éventuelles conséquences ? L’embrouillamini en résultant ne portera-t-il pas un nouveau coup à l’image présidentielle et, plus généralement, aux institutions ?

 

2 commentaires sur Jean-Éric Schoettl : « Emmanuel Macron saisit le Conseil constitutionnel, entre duplicité et mépris des institutions »

  1. A Didier Bernadet.. « Mais en fait, plutôt que de parler des effets de ces « embrouillaminis »et des postures du LR, du RN, de la gauche extrémiste sinon « Macronienne », ne serait-il pas temps d’en venir sérieusement, courageusement, aux véritables raisons de ce « pataquès »? ».
    Voila qui fait plaisir à lire et qui met en exergue ce que nous dénonçons depuis des lustres , à savoir, la confusion entretenue chez bon nombre de nos politiques entre causes et conséquences ,buts et moyens.
    Quand de surcroît le Roi du « bla,bla,bla » et le champion international du « baratin » dirige en p’tit chef le pays….il nous faudra beaucoup de volonté citoyenne pour en venir à bout et remettre les esprits à l’endroit !!!

  2. Didier Bernadet // 23 décembre 2023 à 14 h 53 min //

    Que l’embrouillamini en question porte un coup à l’image présidentielle (soit au sieur Macron) quelle importance? Mais en fait, plutôt que de parler des effets de ces « embrouillaminis »et des postures du LR, du RN, de la gauche extrémiste sinon « Macronienne », ne serait-il pas temps d’en venir sérieusement, courageusement, aux véritables raisons de ce « pataquès »? Car, comment ergoter sur un Président qui de toute façon, à partir du moment comme il l’a fait à maintes reprises déclare que la France n’est pas souveraine, se trouve dans une posture « anti-constitutionnelle  » Non? Ou alors j’ai mal lu notre Constitution qui à priori fait de la défense de notre souveraineté une mission essentielle du Président? En fait, soyons clairs et honnêtes vis à vis des citoyens; il est aux ordres de Washington, pour la constitution d’un UE colonisée par les US, sous contrôle de la finance mondialiste, (c’est bien pour cela qu’il n’est pas du tout préoccupé par notre dette). Il est donc militant pour une UE dans laquelle les Nations doivent disparaitre; or, quoi de mieux que l’immigration massive pour obtenir ce résultat? Cela fait partie d’un plan établi et la notion de « complotisme » n’a rien à voir avec cela. Il y a de notre part un manque de courage quasi généralisé face à l’ogre d’outre-atlantique et surtout, aux grands de la finance. Ce manque de courage de nos élites, de notre peuple même, se voit dans la rue lorsque plusieurs passants assistent effrayés à un passage à tabac d’une vielle Dame, par deux ou trois « gamins » et n’interviennent pas ! Rester dans une posture intellectuelle, faire de belles déclarations le coeur sur la main et se sentir par le fait « dédouané » ne suffit certes plus. Il faut donner au peuple, en « l’informant » correctement, en lui montrant l’exemple, l’envie, la volonté de se retrouver dans leur France, une nation souveraine et libre. Cela est déjà arrivé avec qui vous savez… Alors, un peu de courage, de sens de l’honneur, de respect pour tous ceux qui en sont morts. Les actes doivent suivre les paroles, il est plus que temps.

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