Laisser le temps au temps

Jamet le dimanche

« Laisser le temps au temps. » On se souvient peut-être encore que François Mitterrand avait fait sienne cette maxime qui, sous ses allures tautologiques, était empreinte d’une sagesse ancestrale puisée dans le vieux fonds paysan où l’ancien président avait ses racines. Il ne serait pas mal venu de la garer en mémoire toutes les fois – autant dire tous les jours – que nous succombons à la tentation de l’immédiateté.

Les techniques modernes – la radio, puis la télévision, et bien sûr, depuis quelques années, la spectaculaire accélération de des divers moyens de communication et la vitesse à laquelle, vraies ou fausses, les nouvelles se propagent sur tous les réseaux sociaux, ont contribué à abaisser notre niveau de lucidité et de sang-froid en privilégiant l’émotion sur la réflexion. Aussi crédule que pouvaient l’être autrefois les masses ignorantes, aussi prompte que par le passé à interpréter et à analyser l’actualité sur des bases fragiles ou erronées, et cela non faute d’éléments, mais au contraire parce qu’elle est en permanence harcelée, matraquée, mitraillée, prise sous le feu roulant de l’information, l’opinion publique, plus sensible aux images qu’aux arguments, toujours prête à soupçonner, voire à imaginer de ténébreux complots même là où il n’y en a pas, oscille et vacille au gré du dernier sondage publié, du moindre incident, de la rumeur du moment, en fonction de ses craintes ou de ses désirs plutôt que de sa connaissance des dossiers. Nous nous sommes insensiblement habitués à vivre au rythme du temps court, qui fut toujours celui des journalistes, sans avoir forcément la formation, la compétence ou l’esprit critique qui permettraient de prendre le recul et de conserver la distance nécessaire.

Il n’y a pas une semaine que l’on donnait déjà le gouvernement perdant et le macronisme, du même coup, presque mort et en tout cas enterré sur deux des fronts où venait tout juste de s’engager la bataille. Sur fond de flammes et de fumée, de grenades lacrymogènes et de cocktails Molotov, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes tenaient en échec, sur le terrain qu’ils avaient eu tout le temps de miner, les forces de l’ordre. On ironisait sur l’incapacité où étaient 2500 gendarmes et C.R.S. de venir à bout de 250 adversaires encagoulés, armés et prêts à tous. Déboulant de toute l’Europe, la redoutable infanterie des Black Blocs s’apprêtait à arriver en renfort des rebelles. A peine démolis, les squats étaient reconstruits plus beaux et plus solides que devant. A peine dégagées, les routes étaient de nouveau coupées. Tout indiquait que l’on allait vers une guérilla dont nul ne pouvait prévoir la durée et l’issue. Ou plutôt, on pouvait déjà prédire qu’à son habitude le pouvoir allait reculer et déjà l’on en faisait des gorges chaudes. Ne vivons-nous pas depuis quelque temps dans un pays où le gouvernement passe pour odieux s’il recourt à la force et, s’il fait preuve de faiblesse, pour ridicule ?

Parallèlement, les augures voyaient déjà les Facultés tomber aux mains des étudiants insurgés, le mouvement s’étendre comme une traînée de poudre, les examens annulés, la réforme Blanquer balayée par la contestation, mai renaître en avril, et le remake de la Révolution avec Jean-Luc Mélenchon dans le rôle de Cohn-Bendit et Raquel Garrido en Pasionaria.

Quelques jours ont passé – c’était le délai nécessaire, comme l’avouait ingénument un zadiste, pour faire la transition entre des années d’illégalité et le rétablissement de l’ordre public – et la force semble bien devoir revenir à la loi. Le bon grain et l’ivraie se sont séparés dans le tamis de la réflexion. Le règlement pacifique d’un conflit qui n’avait plus de justification valait bien de remplir un formulaire.

Du côté de l’Université, il semble aussi que la raison l’emporte, forte tout simplement d’être celle du plus grand nombre – et de l’approche des examens de fin d’année. Alors qu’une minorité vagissante, soutenue par une minorité d’enseignants soixante-huitardifs, allait jusqu’à envisager le retour à l’ancien système qui laissait à une loterie le soin de décider de l’entrée dans l’enseignement supérieur, du choix d’une filière, de l’orientation d’une vie, une majorité massive est prête à accepter la sélection, la sélection inévitable, impitoyable et légitime, par le travail, par le mérite et par les résultats.

Il suffisait, en somme, de laisser au temps un peu de temps. Celui de la réflexion

Dominique Jamet (UNC)

7 commentaires sur Laisser le temps au temps

  1. Après mure réflexion, nous nous demandons si le temps nous est conté par le « chérubin du Palais » ou bien compté à devoir avaler ses bêtises ?
    Décidément le « en même temps » illustre bien la volonté d’en dire moins pour en suggérer plus dans une compression du vocabulaire tout à fait sidérale.

  2. Belle écriture. J’ai pris le temps de vous lire deux fois. Merci René.

  3. G. Le Dorner 77 // 25 avril 2018 à 21 h 23 min //

    « Enseigner veut dire espérance , étudier fidélité » , cela dit , et oui bien dit , et d’ en bas et d’ en bas en France aussi , droit de rêver et d’ espérer aussi , on se réveille quand ?

  4. Vivre à contre temps

    Me donnerez-vous du temps pour vous répondre, le temps pour moi de faire plusieurs choses qui nécessitent forcément du temps même si pour vous, votre impatience est synonyme d’éternité ?
    Ne vous en déplaise, Il faut laisser le temps au temps même s’il vous file entre les doigts comme l’ennemi.
    Je m’offrirai alors le luxe de donner de mon temps, le temps nécessaire de la réflexion puis le temps de vous écrire. Rien ne presse si toutefois Dieu veuille bien m’en laisser le temps. Tout vient à point à qui sait attendre pour ce cynique. Chaque chose en son temps en hiver comme au printemps malgré vos impatiences. Il y a un temps pour tout, vous le savez bien avec ce sentiment parfois de perdre son temps si court et si précieux.
    Vous ne pouvez pas tromper le temps. C’est toujours lui qui vous trompe. Il est une lime qui travaille sans bruit.
    Au fait quelle heure est-il, je viens totalement de perdre la notion du temps ? Qu’elle impression bizarre d’avoir échappé un court instant au temps présent.
    L’horloge est décidément intraitable ; elle m’entraîne dans le temps présent pour me rappeler qu’il me reste toujours moins de temps.
    Pardon si d’aventure j’ai abusé de votre temps. Votre temps comme le mien nous serait-il compté ?
    Rf 25.4.2018

  5. Etant dans une opposition totale, complète, radicale et même ontologiquement il ne me déplairait point que ce soient les zadistes de NDDL ou les occupants, bloquants si minoritaires soient-ils ne mettent en échec ce président et son gouvernement.

  6. Jean-Dominique Gladieu // 23 avril 2018 à 14 h 55 min //

    Je ne sais pas si les choses sont simples que semblent l’imaginer Dominique Jamet … que l’on a connu autrement plus percutant et convainquant. Espérons que ce n’est qu’un petit passage à vide et notre bon Dominique retrouvera au plus vite son grand talent.

  7. La France des Schizophrènes….la France du laisser du temps au temps !
    Notre pays est bien malade, fracturé certes, mais avant tout en perte d’identité, de repères et de capacité de tissage de lien social dans un univers hexagonal de frime et de triche.
    La schizophrénie occupe donc une position cruciale à tous les niveaux de cette belle terre latine ensoleillée, maintenant remise entre les mains des psychiatres, psychologues et des faiseurs de rêves. Même nos compagnons à quatre pattes n’échappent plus au recours du psychologue ! Comment en-est on arrivé là ?

    Tout d’abord par un lessivage imperceptible mais abondant des cerveaux en apprentissage sur les bancs de nos écoles, par la prolifération de textes et de lois qui se télescopent au quotidien et font des prétoires les zones d’attente à compréhension, par une démission de l’autorité publique dans de nombreux secteurs de la vie courante, par la consolidation d’avantages acquis par idéologie, sectarisme, naïveté, ou simple bêtise intellectuelle, par le renforcement des libertés individuelles au détriment des libertés collectives, par les pieds de nez successifs au suffrage universel d’élus irresponsables, pas coupables, par la montée en puissance de l’abstention, par la conjugaison de la compromission, du chantage et de l’ingérence sous toutes les formes, etc. Il n’est donc pas en effet étonnant que le regard rivé sur les états d’âme des populations outrées par le nombre croissant de partis politiques ou de mouvements syndicaux qui se partagent le butin national en foulant aux pieds leurs engagements électoraux et démocratiques, d’autres agitateurs observent avec gourmandise les opportunités d’assouvissement de leur pouvoir de nuisance sur notre territoire.
    Argent, sexe et drogue, des appétits chers à tous les frimeurs, ont toujours été au rendez-vous des pleurs et des larmes qui nourrissent de manière insidieuse, mais terriblement efficace, la phénoménologie propagatrice des crises de tous les temps. Ne laissons donc pas le temps au temps qui nous enlise dans la médiocratie !!!!

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