Vous avez dit « populistes » ?

 La chronique de Dominique Jamet...  

 

Dominique Jamet

Ils sont là. Parmi nous. Au milieu de nous. Nous les côtoyons le jour. Ils nous hantent la nuit. Ils s’invitent sans vergogne dans les colonnes des journaux, dans les studios de radio, sur les plateaux de la télévision, sur les réseaux sociaux. Ils profèrent. Ils propagent. Ils progressent. Ils montent. Ils avancent. Ils pullulent. Ils grouillent. Ils prolifèrent. Et pas seulement en Allemagne, que l’on croyait pourtant vaccinée, et que l’on voit à son tour succomber à la contagion. En Grande-Bretagne, qui si longtemps en fut indemne. En Hongrie, en Pologne, en Tchéquie, en Slovaquie, en Autriche. En Italie, pas plus tard que la semaine dernière. En France même. Ils affligent Nicolas Baverez. Ils consternent Alain Minc. Ils exaspèrent Jacques Attali. Ils inquiètent Emmanuel Macron. Ils sont le cauchemar de tous les augures dans le vent, de tous les prêcheurs à la mode, de tous les rendeurs d’oracles du sixième arrondissement de Paris. Ils sont partout.

Mais qui ça, au fait ? Les morts-vivants ? Les zombies ? Les Martiens ? Les extra-terrestres ? Si ce n’était que cela… Non, il s’agit bien sûr de l’irrésistible progression, de l’inexorable montée, de l’invasion, de la submersion…De l’immigration ? Restons sérieux. Des « populistes ».

Populistes ? C’est le nom commode et commun – donc pas très propre -dont on affuble, dont on enveloppe, et à travers lequel on confond indifféremment, indistinctement, pêle-mêle, dans la même réprobation, dans la même condamnation, dans la même stigmatisation, leaders et piétaille, cadres et militants, élus et électeurs, dirigeants et anonymes, de droite, de gauche ou d’ailleurs, tous ceux qui, faute d’avoir la cravate, le costume, le langage et la pensée appropriés, se voient refuser l’entrée au Cercle de la Raison, tous ceux qui se sont exclus ou sont exclus d’office du grand « bal des gens bien » où se rencontrent, se fréquentent et se bousculent, les énarques, les experts, les sachants, seuls qualifiés pour nous guider sur les chemins où ils nous égarent, bref la caste sans scrupules et sans complexe de ces élites qui se trompent immanquablement dans les diagnostics qu’elles sont seules fondées à rendre, qui savent tout sur tout et ne comprennent rien à rien.

« Facho » fut longtemps l’injure et la formule magique qui dispensaient de toute argumentation, qui mettaient fin à tout débat avant même qu’il eût été entamé, puisqu’elles disqualifiaient d’entrée l’adversaire en le vouant aux ténèbres extérieures où l’on ne distinguait plus Manuel Valls d’Alain Soral, Bernard Cazeneuve ou François Fillon de Jean-Marie Le Pen. Le mot, toujours utilisé, toujours bon à sortir quand on n’a rien à dire, a perdu de son efficacité, il est en perte de vitesse. « Populiste », son plus récent avatar, vient naturellement à la bouche de ceux qui, déconnectés du réel, refusent obstinément de voir les choses en face. Il les dispense de s’interroger sur leur responsabilité dans l’apparition d’un phénomène qui s’étend désormais à toute l’Europe, de remonter aux causes dont ils déplorent les conséquences, de se demander s’il n’y a pas un lien entre ce hideux « populisme » qu’ils dénoncent à l’envi et les peuples qui se tournent de plus en plus, en toute liberté, vers ses porte-parole et ses porte-drapeaux.

Car l’ensemble de l’Union européenne, quoi qu’en disent ceux qui ont si longtemps profité du système qu’ils ont érigé et qui menace aujourd’hui de s’effondrer sur eux, est bien régi par les règles de la démocratie. Les citoyens sont électeurs, les électeurs ont le droit de vote, les votants décident en dernier recours du choix de leurs gouvernements et de l’orientation de leur destin. Et c’est dans l’ensemble de l’Union européenne que se lève et grossit ce grand vent de colère populaire, cette tempête qu’ils disent « populiste », qui balaye avec leurs constructions fragiles, leurs niches confortables, leurs échecs, leurs compromissions, les vieux partis sclérosés et corrompus, leurs alternances-bidon, leur partage du pouvoir.

En Grande-Bretagne il y aura bientôt deux ans, en Italie la semaine dernière comme en France il y a treize ans lorsque le peuple vota non au referendum de mai 2005 avant que de trop habiles illusionnistes escamotent les résultats de ce vote, comme dans toute l’Europe centrale que nos médias, forts de leur supériorité morale et de leur ignorance encyclopédique, se font un plaisir de brocarder et de caricaturer, la montée du « populisme » s’explique par la réaction la plus saine et la plus légitime de peuples qui refusent la dilution de l’État dans l’ultra-libéralisme, de la nation dans le chaudron européen, de leur indépendance dans la marmite mondialiste, de leur identité dans le pot-au-feu multiculturel. A quoi peuvent s’ajouter la nostalgie des grandeurs passées, le rejet de la corruption, de la routine, de l’immobilisme, de la technocratie.

Il est parfaitement exact, et profondément regrettable, que certains, ici et là, pour mieux tirer parti de l’attrait du « populisme » glissent sur la pente de la démagogie la plus effrénée. Seuls ceux qui ont fait leur métier de la politique sans jamais verser dans cette facilité sont en droit de leur jeter la première pierre…

Soyons clairs : si le « populisme », quand le « populisme » consiste à colporter les rumeurs, à propager les mensonges, à exploiter les peurs, à attiser les passions mauvaises, à faire appel aux sentiments les plus bas, à faire prévaloir la pulsion sur la raison, il doit être rejeté.

Mais si le « populisme », dans le respect d’un système qui se veut et en tout cas se dit démocratique, consiste à écouter et à éclairer le peuple, à prendre en compte ses souffrances, ses frustrations, ses aspirations et ses justes colères, à prendre en main et à faire triompher sa cause, alors, vive le populisme !

8 commentaires sur Vous avez dit « populistes » ?

  1. Delaisse Jean-Paul // 12 mars 2018 à 19 h 42 min //

    Je rejoins tout à fait M. Gladieu. Les adjectifs utilisés par ces stériles du cerveau les confortent dans leur démarche, étant persuadés que le catalogage est suffisant pour les faire gagner des élections. Mais, je reviens sur des images que j’avais déjà utilisé, à savoir que tôt ou tard, « la guillotine reprendrai du service », et elle aura beaucoup de boulot pour faire le ménage…

  2. Paskal Henri // 12 mars 2018 à 16 h 19 min //

    Je ne peut qu’adhérer a la conclusion de la chronique fier d’être populiste membre de la France Insoumise. Le programme de l’avenir en commun est tout sauf démagogique approuvé et conçu par des économistes de renom.

  3. De Gaulle ne serait il pas aujourd’hui traité de populiste ? Je me contenterai d’ajouter que même un pauvre patriote comme moi est souvent catalogué de populiste par les europeistes, et autres bien pensant, repentant, spécialistes de la réécriture de notre histoire, bref par des nazes. Moi j’aime mon pays et suis prêt à le défendre et à défendre son peuple dans sa diversité. On ne peut pas en dire autant de nos détracteurs qui ne sont pour moi que des lâches.

  4. Edmond Romano // 12 mars 2018 à 12 h 09 min //

    Populisme et facho. je suis en parfait accord avec monsieur Jamet. Ces deux « insultes » ont servi à interdire tout débat qui ne rentrait pas dans le « politiquement correct ». On peut débattre, s’exprimer, apporter des solutions démocratiques aux problèmes rencontrés par nos concitoyens. Se saisir d’un problème réel n’a rien de populiste au sens péjoratif du terme. Seules les solutions peuvent être populistes quand elles sont démagogiques.

  5. « Mais si le « populisme », dans le respect d’un système qui se veut et en tout cas se dit démocratique, consiste à écouter et à éclairer le peuple, à prendre en compte ses souffrances, ses frustrations, ses aspirations et ses justes colères, à prendre en main et à faire triompher sa cause, alors, vive le populisme ! » Totalement d’accord à une seule condition: que le peuple s’exprime préalablement clairement, qu’il ne boude pas majoritairement les urnes dans toutes les consultations électorales et ne joue pas les « éoliennes » en fonction de la MTO du moment ,sinon le peuple récoltera ce qu’il aura semé et ne pourra s’en prendre qu’à lui même.

  6. Le populisme ne nait que lorsque le peuple pense que les élites n’ont plus son souci. Ce qui est le cas en France depuis au moins le 29 mai 2005 où nos « chères » élites ont méprisé ce vote populaire et l’on fait savoir ostensiblement aussi en le bafouant par le Traité de Lisbonne. Elles n’ont que ce qu’elles méritent mais ont de la chance d’avoir un vote FN qui stérilise toute opposition à leur système.

  7. Jean-Dominique Gladieu // 12 mars 2018 à 11 h 08 min //

    Bravo Dominique Jamet !
    Pour ce qui me concerne, je n’ai pas peur de me proclamer POPULISTE (avec majuscules et sans guillemets s’il vous plait !).
    Car le POPULISME n’est rien d’autre que la Souveraineté de Peuple.
    Historiquement, le POPULISME comme programme politique fait référence, d’une part à un mouvement paysan (prônant le partage des terres) aux USA à la fin du XIX° siècle et surtout, d’autre part, à un mouvement de résistance au tsarisme en Russie à peu près à la même époque.
    Le mouvement POPULISTE russe luttait pour l’instauration d’un régime politique fondé sur la Souveraineté du Peuple. Il a organisé des actions parfois violentes contre le pouvoir en place et aussi des actions d’occupation des terres et des usines. Malgré la répression, il a tenu bon et a participé à la Révolution de 1917.
    Puis, les POPULISTES sont entrés en conflit avec les Bolchéviques sur la question de la démocratie que ces derniers considéraient comme un concept « bourgeois ».
    C’est alors que, sous Staline, le mot POPULISTE est devenu péjoratif. Il désignait désormais comme « contre-révolutionnaires » ceux qui cherchaient à instaurer la démocratie au sein du Parti. Ainsi les opposants au « petit père des Peuples » se sont-ils retrouvés au peloton d’exécution sous l’accusation de POPULISME.
    Il est d’ailleurs rigollot à cet égard de constater que les anti-communistes les plus forcenés sont les premiers à employer la même phraséologie que Staline !!!!
    Pour ma part, n’étant pas stalinien, je ne vois aucune raison de me priver du bonheur de m’affirmer POPULISTE !

  8. Il y a cependant quelques précédents fâcheux, sinon historiques, de l’attention au peuple quand les élites pataugent: Adolf et Benito n’ont pas fini spécialement démocrates, d’où une méfiance à priori.

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