conférence de presse au National Press Club de Washington
Texte complet de sa conférence
Je me félicite, mesdames et messieurs, de vous voir ce matin. Il y a 15 ans que je ne me suis trouvé ici, avec les représentants de la presse à Washington, et je suis heureux de les revoir, eux ou ceux qui ont succédé aux membres de la presse que j’ai connu à cette époque. Mais je n’évoquerai pas les péripéties du passé, nous sommes dans le présent et c’est de cela que nous devons nous occuper. Le grand sujet, le principal sujet, autour duquel tout tourne, le centre de nos préoccupations, c’est le prochain débat international. Je suis venu à Washington avec monsieur Couve de Murville, le ministre des affaires étrangères, d’abord pour saluer le peuple américain, et ensuite pour m’entretenir avec le Président Eisenhower, et avec le gouvernement des Etats-Unis, sur la préparation de la conférence au sommet. Dans les affaires humaines, il y a toujours un point capital, une grande question, vous le savez bien, auquel tout se rattache. Pour le moment ce point capital, ces grandes questions, ce sont les rapports Est – Ouest. Et pour ma part, je pense que c’est de cette question là, essentiellement, que la conférence au sommet doit s’emparer. Si à cet égard on peut faire quelque progrès, eh bien, l’atmosphère peut changer, plus ou moins, en tout cas quelque peu, et des problèmes pour lesquels actuellement aucune solution pratique ne peut être avancée, peut-être au sujet de ces problèmes, dans une atmosphère nouvelle se dessineront des solutions qui pour le moment sont impossibles. C’est le cas, en particulier, pour le désarmement, pour les problèmes allemands, et pour l’aide aux pays sous-développés. Bref, ce dont il s’agit, c’est de commencer la Détente. Et si l’on y parvient, à partir de là, on pourra peut-être, et en commençant tout de suite, faire quelque chose de positif, et qui sera nécessairement limité, sur un ou deux ou trois sujets. Après quoi, la Détente, on peut l’espérer, la Détente fera son œuvre, et plus tard, après quelque délai, il sera possible de faire quelques nouveaux progrès. Voilà messieurs et mesdames, ma philosophie. Et maintenant, vous l’ayant indiquée, je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez me poser. Je suis prêt à y répondre dans la mesure de mes moyens aux questions que vous voudrez me poser au sujet de cette conférence ou aux sujets qui s’y rattachent.
Journaliste : La question est la suivante : favorisez-vous l’interdiction de toute discussion sur Berlin, lors de la réunion au sommet, et êtes-vous en faveur de concentrer ces efforts en revanche sur une discussion du désarmement ?
Je ne crois pas qu’il soit bon, ni même qu’il soit possible d’interdire aux quatre participants de la conférence au sommet, de poser les questions et de demander à traiter les problèmes qui leur paraîtront nécessaires. Pour ma part, je crois cependant, comme je l’ai indiqué au commencement, que les questions spécifiques et particulièrement difficiles, comme par exemple, l’affaire de Berlin, sont des questions qu’il n’est pas bon de poser immédiatement à la conférence au sommet, avant que l’on ait pu traiter du principal, c’est-à-dire des rapports de l’Est et de l’Ouest. Mais naturellement, on parlera, à la conférence au sommet, des questions allemandes, en général, et de Berlin en particulier. Je veux dire simplement, que dans les conditions actuelles, il ne nous paraît possible de déterminer une solution pour l’ensemble des problèmes allemands, ni pour le problème de Berlin en particulier, à l’heure où nous sommes. Il est fort possible que dans la Détente, et le temps ayant passé, on apercevra des modus vivendi qui seront acceptables pour l’un et l’autre côté. En ce qui concerne le désarmement que la question a visé aussi, je crois qu’au contraire, la conférence au sommet, devra considérer la question comme l’une des principales. Car on parle de Détente, et je parle de Détente, il ne peut y en avoir dans l’état actuel des armements. Il ne peut y avoir une Détente réelle qu’à partir d’un commencement de désarmement. C’est pourquoi, sous l’angle des rapports Est-Ouest, il me paraît certainement bon et utile que la conférence au sommet considère ce que l’on peut faire en pratique actuellement au point de vue du désarmement. J’ai déjà, ailleurs, expliqué pour ma part, ce que je crois actuellement possible. Il me semble que l’effort de Détente doit se porter sur les armements nucléaires, et à ce sujet, qu’il faut les limiter, pour le moment, à un contrôle réciproque des fusées, des avions stratégiques et des navires qui portent les bombes nucléaires, qui peuvent porter les bombes nucléaires sur tous les points du monde. Contrôle de ces véhicules, et contrôle des bases à partir desquelles ils peuvent être lancés. Sur ce sujet, je crois encore possible, de faire en pratique quelque chose.
Journaliste : Monsieur le Président, ce que vous venez dire signifie-t-il que vous n’attendez pas de résultats sur le désarmement et l’Allemagne à la conférence au sommet ?
Sans aucun doute, ce sont les relations entre l’Est et l’Ouest qui doivent être considérées essentiellement. Je répète que si l’on veut que ses relations s’améliorent, il ne faut pas poser brutalement, et a fortiori avec des menaces, les problèmes allemands, et spécialement la question de Berlin, parce qu’il n’y a actuellement aucune solution possible. Au contraire, je pense qu’il est possible et qu’il est souhaitable que dès la conférence au sommet, on envisage un commencement de contrôle des armements nucléaires sûr, par le moyen du contrôle, des fusées, des avions stratégiques, des navires et des bases. Voilà ce que je veux dire. Dans mon esprit, la Détente s’accompagne d’un commencement de désarmement, et j’ai indiqué dans quelle voie, au contraire, la Détente ne s’accompagne pas du tout d’une discussion sans issue sur les problèmes allemands actuellement.
Journaliste : Monsieur le Président, deux questions sont liées. La première, croyez-vous que monsieur Khrouchtchev créera une crise très importante au sujet de Berlin lors de la conférence au sommet, si les leaders occidentaux repoussent ses requêtes ? Deuxième question, croyez-vous, d’après vos conversations avec monsieur Khrouchtchev, qu’il est prêt à signer une paix séparée avec l’Allemagne de l’Est si les alliés occidentaux refusent d’accepter ses conditions au sujet de Berlin lors de la réunion au sommet ?
Vous me permettrez de répondre que je ne suis pas monsieur Khrouchtchev et que je ne peux pas prévoir ni assumer ce que sera la tactique diplomatique du Président du Conseil des Ministres de l’Union Soviétique. Il me semble que si l’Union Soviétique avait voulu maintenir le commencement de menaces qu’elle avait fait peser sur l’Occident à propos de Berlin, elle l’aurait fait. Je constate qu’elle ne l’a pas fait. Quant à la suite, nous verrons.
Journaliste : Question fondamentale monsieur le Président. Croyez-vous que monsieur Khrouchtchev est un homme de bonne volonté ou cette question n’a-t-elle aucune, ne fait-elle aucune différence ?
J’ai eu l’avantage d’avoir des relations personnelles avec le président Khrouchtchev récemment, pendant qu’il était en France, nous avons beaucoup et longuement causé de tous les sujets qui, actuellement, intéressent et même passionnent le monde. Si vous voulez savoir, ce que je peux dire de l’impression que j’ai eu de ces contacts, je vous dirai que monsieur Khrouchtchev m’a paru être une forte personnalité. C’est un homme qui a lutté, toute sa vie, pour ses idées, et cela l’a nécessairement marqué. Actuellement, j’ai l’impression qu’au plan où il se trouve, il constate, il a constaté que les problèmes du monde sont peut-être moins simples qu’on ne le croit, quand on les considère d’un seul point de vue. D’autre part, il est un homme très au courant des problèmes. Très informé des choses et des gens. Bref, dans la conférence au sommet, je ne crois pas que l’Union Soviétique pourrait être représentée par un homme qui exprime mieux ce que la Russie d’aujourd’hui qui, à mon avis, mais c’est mon avis, n’est déjà plus la Russie d’hier, même la Russie d’il y a 10 ans.
Journaliste : Monsieur le Président, vous avez écrit jadis, qu’il était dans l’ordre naturel des choses, pour la France et la Russie, d’être alliées, quelle est votre opinion aujourd’hui ?
Aussi longtemps qu’en Europe, au centre de l’Europe, il y a eu une menace de domination de l’Europe, tout naturellement, la France et la Russie se sont rapprochées. Et aux moments graves, elles ont été alliées. Elles l’ont été dès 1914, quand l’empire allemand de Guillaume II est passé à l’attaque. Et elles l’ont été, pas tout de suite malheureusement, quand la guerre, la deuxième guerre mondiale a éclaté, elles l’ont été par la force des choses à partir de 1941 quand la domination d’Hitler a vraiment paru devoir occuper l’ensemble de l’Europe. Actuellement, il n’y a pas de menace au centre de l’Europe. L’Allemagne, telle qu’elle est ne menace personne. La France, en particulier, ne se sent pas du tout menacée par l’Allemagne de monsieur le Chancelier Adenauer. Bien au contraire. Et je ne crois pas que la Russie Soviétique ait aucune raison de se sentir réellement menacée par l’Allemagne fédérale d’aujourd’hui. Mais ce qui reste vrai, c’est qu’il n’y a, entre le peuple français et le peuple russe, à aucune époque, aucune opposition naturelle. Aucune, aucun litige d’intérêt politique, et peut-être, est-ce une des raisons pour lesquelles la présence de la France et celle de l’Union Soviétique, à la conférence au sommet, pourront être utiles à l’ensemble du monde, sans que je veuille aucunement m’exagérer, la portée politique immédiate des sentiments d’ordre général.
Journaliste : Monsieur le Président, la curiosité de la presse est sans limite. Quel est votre poète français favori ?
Mon poète français favori, c’est celui que je lis et au moment où je le lis. Il y en a beaucoup que j’aime et admire, les uns et les autres, je vous demande la permission de ne désobliger aucun d’entre eux, fut-il mort depuis longtemps en faisant des différences.
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