MAM, une défense en lambeaux

 

Le Canard enchaîné révèle ce mercredi que les parents de Michèle Alliot-Marie ont profité des vacances de Noël en Tunisie, dans l’hôtel d’Aziz Miled, pour acquérir une société appartenant à cet homme d’affaires proche du régime de Ben Ali, dont la famille de la ministre des affaires étrangères a emprunté le jet à quatre reprises entre le 25 décembre et le 4 février.

Mediapart expliquait dès mardi que la ministre a bel et bien téléphoné au président Ben Ali lors de ce séjour en Tunisie, alors que la révolte grondait. Que se sont-ils dit? Mystère. La ministre va devoir s’expliquer.

Reste que, depuis un mois, la ministre a multiplié affirmations erronées, mensonges par omission ou caractérisés pour se défendre. Aujourd’hui, sa défense est en lambeaux. Mercredi midi, le porte-parole du gouvernement François Baroin a pourtant affirmé que la ministre a «tout le soutien de l’équipe gouvernementale». Pour combien de temps?

«Je n’ai jamais dit que je souhaitais envoyer en Tunisie des policiers ou des gendarmes français pour aider le régime à maintenir l’ordre» (Le Parisien, 30 janvier)

Le 11 janvier, alors que le régime de Ben Ali réprime les manifestations, la ministre des affaires étrangères a pourtant clairement proposé l’aide de la France: «Nous proposons, dit-elle alors, que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays (…) d’agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité.»

 

 

Dans Le Parisien du 30 janvier puis sur France-2 quelques jours plus tard, la ministre explique (à chaque fois dans les mêmes termes) qu’elle a été mal comprise. La ministre paraît très embarrassée, son explication est très alambiquée. Cliquer sur l’image pour afficher la vidéo:

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Reste une interrogation; pourquoi la ministre a-t-elle jugé bon de faire une telle proposition d’aide policière, qu’elle considérera finalement fin janvier «impossible juridiquement, impossible moralement et tout simplement aberrant(e)?». Au Quai d’Orsay, des diplomates qui connaissent bien la Tunisie expliquent que l’idée semble avoir germé dans la tête du ministre ou de ses conseillers, car la coopération policière entre les deux pays est notoirement mauvaise. Aurait-elle eu lors de son séjour des contacts avec des officiels du régime demandant une telle aide ? Mardi, Mediapart révélait que la ministre a bien eu Ben Ali au téléphone lors de son séjour en Tunisie. Que se sont-ils dit? Mystère. Mais tôt ou tard, la ministre va devoir s’expliquer.

«Le suicide qui a été à l’origine des événements s’est produit à la fin de mon séjour» (France-2, 2 février)

Selon nos informations, Michèle Alliot-Marie est arrivée à Tabarka le 25 décembre et est repartie le 2 janvier. Or l’immolation de Mohamed Bouazizi, ce jeune chômeur de Sidi Bouzid dont le geste a déclenché la révolution tunisienne, a eu lieu le 17 décembre, avant de succomber à ses blessures le 4 janvier.

Du reste, l’exemple de Sidi Bouzid a été très vite imité par d’autres étudiants sans emploi dans l’intérieur du pays, totalement en marge du développement économique prôné par Ben Ali, et a conduit à de nombreuses manifestations. Et ce, y compris durant le séjour de MAM. «Il n’y avait pas de problème. Il n’y avait aucune répression», a même osé affirmer la ministre sur France-2. C’est complètement faux: le 24 décembre, deux jeunes hommes de la région de Sidi Bouzid sont mortellement blessés par les tirs à balles réelles de la police. Le 27 et le 29 décembre, alors qu’elle est en vacances, ses services sont d’ailleurs officiellement interpellés par des journalistes sur la situation en Tunisie. Et le 28, Ben Ali promet dans un discours télévisé les foudres du régime aux manifestants, qu’il qualifie d’«extrémistes et d’agitateurs».

«Je n’avais aucun contact privilégié avec [Ben Ali]» (Le Parisien, 30 janvier)

«La dernière fois que j’ai vu l’ancien président, en tête à tête, c’était en 2006, dans mes fonctions de ministre de la défense», ajoutait-elle dans ce long entretien. Peut-être. Mais en vacances à Tabarka, au nord-ouest du pays et donc très loin des événements qui ensanglantent alors le sud du pays, Michèle Alliot-Marie a bel et bien téléphoné au dictateur, sans que l’on sache ce qu’ils se sont dit. Il a fallu que Mediapart pose, mardi 15 février, la question au cabinet de la ministre pour que cet entretien soit rendu public.

«Quand je suis en vacances, je ne suis pas ministre» (France Info, 5 février)

La ministre ajoutait: «Je suis Michèle Alliot-Marie, qui a des amis de longue date, qu’elle a l’habitude de recevoir en France, qui sont heureux de me faire découvrir leur pays. Je pensais qu’un ministre avait le droit d’avoir des amis…

Deux jours plus tard, consciente de l’énormité de ses déclarations, la ministre se rétractait sur Europe 1. D’ailleurs, aujourd’hui, son cabinet soutient au contraire que si la ministre a parlé à Ben Ali pendant ses vacances en Tunisie, c’est précisément parce qu’un ministre des Affaires étrangères est toujours opérationnel, et téléphone en permanence à toutes sortes de chefs d’Etat et de ministres. La preuve que le cabinet de la ministre adapte sans cesse sa stratégie de communication au gré des évènements, quitte à se contredire totalement… 

Aziz Miled est «plutôt une victime [de Ben Ali] qu’autre chose» (France-2, 2 février 2011)

Une fois son voyage vers Tabarka dans le jet de l’homme d’affaires Aziz Miled révélé, Michèle Alliot-Marie a martelé une ligne de défense: Miled, hôtelier puissant, a été spolié par le régime de Ben Ali. Un argument martelé par ses services, mais aussi par son compagnon, Patrick Ollier, également présent à Tabarka.

Le problème, c’est que le portrait de M. Miled esquissé par la ministre ne correspond pas franchement à la réalité. Comme Mediapart l’a révélé, le chef d’entreprise a en réalité été un pion central du système économique du régime déchu. «La cheville ouvrière de la prédation en Tunisie», selon un avocat spécialiste de la corruption.

Même s’il s’est lancé dans le business avant l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, Miled est un des rares entrepreneurs tunisiens à avoir été en affaires, dans la finance, le tourisme ou l’aviation, avec à peu près toutes les composantes du “clan Ben Ali”. Que ce soit les familles Materi, Trabelsi, Chiboub ou Mabrouk.

Selon les informations recueillies par Mediapart, il a baptisé sa compagnie aérienne Nouvelair pour faire plaisir au président. Il est membre du comité de réélection du président depuis au moins 1999, a été décoré par Ben Ali du plus haut insigne du régime et désigné sénateur. Bailleur de fonds des campagnes électorales depuis 1989, il aurait versé 500.000 dinars tunisiens (258.645 euros) pour la campagne de Ben Ali en 2009, a appelé à sa réélection, et aurait même financé à hauteur de 500.000 euros le feu d’artifice fêtant la victoire du dictateur…

Enfin, le jet d’Aziz Miled dans lequel est montée la ministre était en réalité utilisé la plupart du temps par le frère de Leila Ben Ali, Belhassen Trabelsi (ses initiales figuraient même dans l’immatriculation de l’appareil, TS-IBT). Le 14 janvier, l’avion a d’ailleurs été une pièce maîtresse dans le dispositif mis en place pour la fuite des membres les plus éminents du clan à l’étranger…

Aziz Miled «n’a aucun moment mis son avion à disposition» (Assemblée nationale, 2 février)

Devant les députés ce 2 février, la ministre est formelle. «En ce qui concerne enfin le problème de l’avion que vous soulevez, je veux simplement dire une chose: arrivant après Noël à Tunis un ami qui allait à Tabarka, lieu final de destination de son avion, m’a effectivement proposé de voyager avec lui plutôt que de faire les deux heures de voiture. Il n’a à aucun moment mis son avion à disposition, je l’ai accompagné pendant 20 minutes de trajet seulement.»  

Le soir, la ministre sert la même histoire de la rencontre fortuite sur le plateau de France-2.

«Il m’a dit, puisque je devais de Tunis aller à Tabarka où il n’y a pas de liaison aérienne pendant l’hiver, il m’a dit  »je dois aller à Tabarka dans mon hôtel, j’ai un avion, son avion privé qui a 12 places ». Il dit: « je suis tout seul, est-ce que vous voulez m’accompagner plutôt que de faire deux heures de voiture »?»

Problème: la ministre ne s’est pas contentée d’un trajet de 20 minutes. Quelques jours plus tard, elle admet avoir fait l’aller-retour Tunis-Tabarka. Puis, à la suite d’un article du site nouvelobs.com, son cabinet admet que la ministre a de nouveau emprunté le jet pour se rendre en «excursion» à Tozeur, dans le sud du pays, le 29 décembre. En réalité, comme elle le reconnaît finalement dans un nouvel entretien au Parisien le 7 février, la ministre a également pris l’avion pour rentrer à Tunis le 3 janvier. Selon nos informations, Aziz Miled a bel et bien mis son avion à disposition de la ministre: le 2 janvier, l’avion part à vide de Tunis, et revient chargé de six passagers: la ministre et toute sa famille.

«Une relation désintéressée et amicale» (Europe 1, 6 février)

Avec Aziz Miled, tout ne serait qu’une affaire d’amitié, rien de plus. Telle est la ligne de défense qu’a longtemps adoptée la ministre en faisant son mea culpa sur Europe 1: «J’étais claquée (…) je me suis détendue et j’ai vu uniquement les relations amicales oui, d’accord c’est possible et je le regrette profondément.»

Là encore, l’argument est un peu court. Ce mercredi, le Canard enchaîné révèle que dans l’hôtel Tabarka Beach où Michèle Alliot-Marie séjournait avec ses parents, ceux-ci ont racheté les parts d’Ikram, une société civile immobilière appartenant à Aziz Miled, pour un montant inconnu. Le voyage amical était donc aussi un voyage d’affaires…

«Si je prends mes vacances parfois en Tunisie, c’est à mes frais, voyage et hôtel» (Assemblée nationale, 2 février)

La ministre a-t-elle vraiment payé sa chambre, une suite présidentielle construite pour le président Ben Ali, à l’hôtel Sentido Tabarka Beach, comme elle le jure devant les députés le 2 février? Aujourd’hui, rien ne permet de l’affirmer.

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Michèle Alliot-Marie répète qu’elle a payé les billets d’avion, et que ses parents ont payé l’hébergement. Problème: la facture est introuvable. Se protégeant derrière le grand âge des parents de la ministre (ils ont 92 et 94 ans), le cabinet de la ministre refuse de donner le montant de la note. Impossible donc de savoir si la ministre a payé sa chambre au prix normal, si elle a bénéficié d’une forte ristourne, ou si Aziz Miled l’a invitée.

Sur place, des consignes ont été données au personnel de l’hôtel. Le groupe Miled se tait. Mais à Tabarka, personne ne croit que la ministre se soit vu établir une facture. Ou alors, dit un homme d’affaires tunisien qui veut garder l’anonymat, «à un tarif qui fait rire, comme quand on achète un Gucci à 30 dinars avenue Montaigne».

Par  Mathieu Magnaudeix – 16 février 2011

1 commentaire sur MAM, une défense en lambeaux

  1. Une preuve de plus,s’il en faut, que « ces gens là »,comme disait Jacques Brel, ne vivent pas dans le monde de la France d’en bas !
    Au delà de polémiques stériles,reste à espérer que les français et les françaises qui se rendront aux urnes pour élire leurs représentants feront preuve d’un peu plus de clairvoyance et se renseigneront bien avant pour éviter de désigner des porteurs de petits profits acquis à bon compte lors de copinages favorisés dans les cours de récréation du pouvoir.

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