La lettre de Jean-Pierre Chevènement dans le procès d’Eric Zemmour

Je crains que le « politiquement correct » ne finisse par tuer le débat républicain. Lors d’une émission télévisée « Salut les terriens ! » sur Canal+, mettant en cause la police, accusée de pratiquer systématiquement « des contrôles au facies », à une phrase de M. Bernard Murat, metteur en scène : « dès l’instant qu’on est contrôlé dix sept fois dans la journée, ça modifie le caractère », M. Eric Zemmour répond : « lorsqu’on est contrôlé dix sept fois ? Pourquoi ?…parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait ».

Voici la lettre que Jean-Pierre Chevènement a adressée à Madame Anne-Marie Sauteraud, Présidente de la 17ème Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris, dans le cadre du procès intenté à Eric Zemmour. Une marque d’indépendance.

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Madame la Présidente,

Ne pouvant être présent aux audiences de la 17ème Chambre correctionnelle du TGI de Paris, des 11 et 13 janvier prochains, je souhaite, par la présente, apporter mon témoignage à propos des infractions reprochées au journaliste Eric Zemmour.
Je crains que le « politiquement correct » ne finisse par tuer le débat républicain. Lors d’une émission télévisée « Salut les terriens ! » sur Canal+, mettant en cause la police, accusée de pratiquer systématiquement « des contrôles au facies », à une phrase de M. Bernard Murat, metteur en scène : « dès l’instant qu’on est contrôlé dix sept fois dans la journée, ça modifie le caractère », M. Eric Zemmour répond : « lorsqu’on est contrôlé dix sept fois ? Pourquoi ?…parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait ».
Sans doute M. Zemmour a-t-il, dans le feu de la discussion, utilisé une formulation excessivement brutale, mais il n’a hélas, pas dit une chose matériellement inexacte. Il suffit, comme j’ai eu l’occasion de le faire de consulter les listings de la Direction centrale de la Sécurité publique du ministère de l’Intérieur, pour constater que plus de 50% des infractions constatées étaient imputables à des jeunes dont le patronyme est de consonance africaine ou maghrébine, comme c’est d’ailleurs le cas de M. Zemmour lui-même.
Je ne pense pas qu’on puisse incriminer un journaliste d’avoir avancé un argument, certes formulé maladroitement, mais correspondant à une réalité, certes dérangeante, mais propre à susciter une prise de conscience partagée quant à la nécessité de traiter cette question au fond, comme il sied dans une République civique. Ces questions sont certes infiniment délicates, mais la République repose sur le débat et donc sur la pleine et entière liberté d’expression de ceux qui le font vivre.

La connaissance de la réalité devrait inciter à une réflexion salubre et à une action énergique pour recréer les conditions d’une intégration réussie. La bonne réponse me paraît être une politique d’accès à la citoyenneté, telle que j’avais cherché à la promouvoir en tant que ministre de l’Intérieur par une circulaire du 19 janvier 1999, créant les Comités départementaux d’accès à la citoyenneté (CODAC) présidés par les Préfets dans chaque département. Il faut à la fois remédier à l’incapacité croissante de la société française à intégrer ses minorités d’origine étrangère par l’affirmation d’une claire identité républicaine et faire prendre conscience à tous les jeunes de la nécessité de respecter les valeurs qui y sont attachées. On ne fera pas l’un sans l’autre.
J’ajoute que s’agissant des déclarations sus-visées d’Eric Zemmour, elles me paraissent avoir fait l’objet de la part du présentateur de l’émission d’un traitement particulier, puisque, préenregistrées, elles ont été diffusées avec un bandeau indiquant « Immigration : Zemmour dérape ». Il n’est pas besoin d’être un grand médiologue pour comprendre que l’objectif du présentateur était de créer l’incident, avec d’éventuelles suites judiciaires, propres à faire monter l’audience de l’émission…
La République proscrit toute distinction fondée sur l’appartenance raciale. Elle implique donc une politique fondée sur l’objectif d’une égalité réelle de tous les citoyens avec un effort particulier en direction des jeunes qui portent au visage le signe de leur différence. Cette politique, à mes yeux, va bien au-delà d’un antiracisme médiatique dont l’effet peut être, au rebours des meilleures intentions initiales, d’installer la notion de race au cœur du débat public et de contribuer ainsi paradoxalement à dissoudre l’identité républicaine de la France. Or c’est celle-ci qui doit être affirmée avec force et d’abord vis-à-vis de ceux qui ne la respectent pas.
La liberté d’expression d’Eric Zemmour peut déplaire voire contrarier. Je suis loin de partager toutes ses idées. Il s’agit cependant d’une valeur républicaine fondamentale. Voltaire déjà déclarait : » Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire. »
Je fais d’abord confiance au débat républicain, c’est-à-dire à la force des idées pour faire avancer celles que je crois justes. Eric Zemmour n’a évidemment pas raison de contester la législation qui proscrit toute discrimination à l’embauche. Je pense exactement le contraire. C’est à la télévision d’organiser le droit de réponse. Dans l’état actuel du débat public, ce n’est pas la liberté d’expression mais, comme il est écrit sur un tableau de Goya, « le sommeil de la raison qui enfante les monstres ». La liberté d’expression -qui est un pilier de la République- a sa force propre. La thèse d’Eric Zemmour peut être facilement combattue par des arguments. La liberté d’expression n’a pas besoin d’être inutilement corsetée par des interdits judiciaires.
La France est une République, c’est-à-dire une communauté de citoyens, égaux en droits et en devoirs. Pour le rappeler à tous, il suffit de faire confiance à ses principes. …