Retraites: jusqu’au 12 octobre pour sortir de l’impasse

 

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Qu’il semble loin, le temps où un premier ministre fixait un seuil de 2 millions de manifestants à partir duquel un gouvernement «n’y résisterait pas» (ainsi que l’avait déclaré Alain Juppé en décembre 1995, dans un entretien à Sud-ouest).

 

Alors que pour la troisième fois consécutive en moins d’un mois, l’intersyndicale est une nouvelle fois parvenue à réunir dans des manifestations près de 3 millions de personnes en France, l’hypothèse d’une victoire sociale, voire seulement l’obtention de concessions significatives, n’a semble-t-il jamais été aussi éloignée.

François Fillon l’a répété dimanche soir : «Les manifestants se trompent» et la réforme des retraites ne sera pas modifiée. «Il y a toujours des aménagements possibles, mais il y a un principe de base contre lequel la plupart de ceux qui manifestaient hier continuent de s’opposer, c’est l’allongement à 62 ans» du départ en retraite aujourd’hui fixé à 60 ans, a déclaré François Fillon, avant d’ajouter: «En 2003, quand j’ai fait la réforme qui a permis notamment de faire converger le secteur public et le secteur privé, il y a eu des manifestations pendant des semaines, des grèves. Aujourd’hui, est-ce que vous voyez, en dehors de l’extrême gauche, quelqu’un qui réclame le retour à une différenciation entre le secteur public et le secteur privé?»

La réponse n’a d’ailleurs pas tardé : les organisations syndicales se sont réunies lundi au siège de la CFE-CGC pour décider des suites du mouvement contre la réforme des retraites. Et la CGT-RATP a déposé un préavis de grève illimité à compter du 12 octobre, indique dans un communiqué la CGT de l’entreprise (36%). FO-RATP s’était prononcée en faveur d’un mouvement reconductible depuis le 7 septembre, tout comme SUD-RATP, sans effet jusqu’alors. L’Unsa-RATP, deuxième syndicat de l’entreprise, n’a pas encore rendu sa décision.

Samedi, avec un art consommé de la provocation comptable, flirtant avec les principes de la vente «hard-discount» – le prix psychologique à 1 centime sous la barre –, le ministère de l’intérieur a dénombré une mobilisation en baisse. Après les 997.000 du 23 septembre, ils n’auraient été ce samedi que 899.000 à avoir défilé. Sans doute peut-on déjà parier qu’ils seront, selon Place Beauvau, 799.999 le 12 octobre…

Toutefois, le pouvoir a manifestement remisé sa morgue jusqu’ici assumée sans gêne: à «la décélération» constatée par Eric Woerth il y a dix jours, l’Elysée a préféré cette fois-ci le terme de «stagnation» pour fleurir dimanche les éléments de langage de ses hérauts. De même, on n’entend plus la majorité parler d’«adhésion de la population» à sa réforme.

Bien qu’il annonce son intention de lâcher un maigre lest concernant la retraite des femmes ayant plus de trois enfants, le gouvernement entend malgré tout continuer son passage en force, alors que le Sénat commence l’examen de la réforme mardi 5 octobre. Une attitude thatchérienne, qui met les syndicats au pied d’un mur qu’ils ont jusqu’ici réussi à toujours contourner: doivent-ils radicaliser le mouvement, quitte à mettre à mal le souci de responsabilité qui animait jusqu’ici les deux fers de lance du mouvement, la CGT et la CFDT, garant d’une large unité intersyndicale qui n’a jamais tenu aussi longtemps? Avec l’obligation, face au mégotage comptable du pouvoir, de parvenir à dépasser largement et incontestablement les 3 millions, le 12 octobre.

Encore totalement illusoires il y a quelques jours, les velléités de grèves reconductibles frémissent à la base. La pétrochimie et les cheminots commencent à y penser, et pas qu’en se rasant. D’autre part, même si la possibilité de voir étudiants et lycéens entrer dans le mouvement paraît très improbable vu les mots d’ordre actuels, les universités font leur vraie rentrée cette semaine. Et, même si François Chérèque verrait dans de tels renforts «l’arme des faibles», on ne sait jamais vraiment ce qui peut se passer dans les facultés, où de nombreuses assemblées générales viendront rythmer le début de semaine.

Enfin, d’autres secteurs durcissent leur action, tels les anesthésistes ou les dockers marseillais. Sans lien avec les retraites, ces mouvements participent à un climat en nette dégradation: la colère monte, et le gouvernement fait celui qui n’entend pas.

Face à ce constat, la gauche semble pour sa part en situation de franchir un échelon dans son opposition. Au point que Martine Aubry, qui sait parfois se faire discrète, a fait un double acte de présence en marge des cortèges parisien et lillois. La première secrétaire du PS, qui sera l’invitée principale d’Arlette Chabot jeudi 7 octobre sur France 2, s’est même enhardie en prononçant samedi pour la première fois les mots «retrait» et «abandon» du projet de réforme des retraites, là où, jusqu’à présent, le terme de «remise à plat» était privilégié dans le jargon solférinien. Comme si naissait dans les têtes socialistes l’hypothèse d’un recul finalement possible, poussé par l’unité de la rue.

L’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, l’une des figures de la droite sénatoriale, a lui beau jeu de rappeler dans le Journal du dimanche le «devoir de compréhension» des ministres envers la rue. Il note qu’en 2003, lui avait «pris le temps du dialogue social», tout en expliquant que «dans toute grande réforme, il faut des alliés». Et d’enfoncer le clou: «Dans l’avenir, nous devrons poursuivre les efforts pour conforter notre système social, et le gouvernement ne pourra avancer seul.» Façon polie de souligner à quel point il l’est aujourd’hui, même les sondages ne parvenant plus à lui faire croire que l’opinion est avec lui.

Par  Stéphane Alliès

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