La fin programmée de la politique étrangère française ?
Dans un discours à Varsovie le 20 juillet dernier, passé (comme d’habitude) inapercu dans la presse française, Bernard Kouchner a carrément déclaré que « Il n’y a plus de questions qui pourraient être décidées dans un seul pays, elles devraient toutes être considérées dans l’Europe des vingt-sept, mais même ces questions nationales devenues européennes sont maintenant des questions qui se posent aussi bien sur le plan économique que politique à l’échelle du monde ». S’il est convaincu que la France n’a rien à dire en propre au reste du monde, qu’il démissionne. Le site europa.eu, juste à côté de l’annuaire des ambassades de l’Union révèle d’ailleurs que depuis 1954, « un réseau global de 130 délégations a été construit, géré par plus de 5 000 personnes sur tous les continents ». Le traité de Lisbonne crée un « Haut Représentant pour la politique étrangère », c’est à dire un Ministre européen des affaires étrangères avec un autre nom, et démultiplie les moyens de cette diplomatie commune où l’on verra de nouveau que lorsque l’Europe parle d’une seule voix, c’est pour ne rien dire. Dès le départ, les Etats-Unis et les technocrates européens ont souhaité que l’Union devienne un Etat indépendant au service de la coopération transatlantique. Dès le départ tout fut fait pour nier cette vocation étatique de l’Union.
Lisant un discours de Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères, qui appelait en Pologne à ce que les Etats européens n’aient plus de diplomatie propre (cf. le site Open Europe), j’ai d’abord trouvé une excellente solution pour ce qui est de notre ministre lui-même.
S’il est convaincu que la France n’a rien à dire en propre, après s’être convaincu que le plus urgent était de se taire sur les droits de l’homme dans le monde, qu’il démissionne. J’imagine la joie des personnels du Quai aujourd’hui, de travailler pour un ministre dont la conviction la plus profonde est qu’il ne sert à rien.
Plus loin dans le discours de ce ministre oubliable, un mensonge typique de la façon qu’a l’Union européenne, dans ses différentes manifestations, de se ficher ouvertement du monde. Le non-ministre explique que grâce au Traité de Lisbonne, l’Union européenne va enfin pouvoir se doter d’un service diplomatique propre (appelé, en jargon anglo-bruxellois, le European external action service).
Citation : « We must bear in mind, the necessity of supporting our diplomatic efforts with a common defence, a European defence, as we showed in Georgia and Kosovo. Without this European defence, our diplomacy lacks strength. One way of strengthening this, making it less fragmented – and which will be one of the tasks of your Presidency – is to build a European diplomacy, through the European external action service, provided for in the Lisbon Treaty. »
Wikipedia nous chante aussi les louanges de ce service extérieur indispensable à un futur riant et enfin harmonisé, en une page sans doute rédigée par les services de la Commission.
Dans le discours de notre non-ministre des affaires étrangères-qu’il-ne-faut-pas-mélanger-avec-les-droits-de-l’homme, dans la page de Wikipedia, pas un mot sur le fait que ce service diplomatique de l’Union européenne existe déjà.
Il me souvient pourtant d’avoir découvert, à Ouagadougou, que l’Union européenne disposait déjà sur place d’une délégation de 45 personnes. Pour le 62ème pays du monde par la population, et 128ème par le PIB, c’est pas mal (sans doute l’Union européenne a-t-elle besoin de gens sur place pour étudier comment la disparition des accords préférentiels ruine les pays en voie de développement, trop loin des yeux de maître Eolas pour que celui-ci puisse s’en soucier.)
De fait, l’Union européenne s’est dotée d’un service diplomatique externe dès 1954, en ouvrant un bureau, guess where ? à Washington. Comme le dit une brochure de l’Union enfouie dans les méandres du site europa.eu, juste à côté de l’annuaire des ambassades de l’Union : « depuis, un réseau global de 130 délégations a été construit, géré par plus de 5 000 personnes sur tous les continents« . Pour un service qui n’existe pas, 5 000 personnes c’est beau non ?
Rejoiçons-nous avec la Commission : « And so this year the External Service of the Commission is celebrating its 50th anniversary, at a time when European integration is entering one of its most challenging but also most promising periods. » Certes…
L’histoire nous apprend d’ailleurs que cette première ambassade européenne a été, comme il se doit, dirigée par Leonard Tennyson, un… journaliste américain qui avait travaillé pour le plan Marshall. Merci Jean Monnet (cf. brochure sus-citée : And so it was that Monnet, working with the ECSC’s US lawyer, George Ball (later to become a key figure in the Kennedy and Johnson Administrations of the 1960s), set up an ECSC information office in Washington, headed by Leonard Tennyson, a former Marshall Plan official. Tennyson, who passed away in 2003, was an American national, but had a passionate commitment to the European cause, and set out on a mission to explain it to the US Government and people.)
Bref. Dans cette histoire, on retrouve tous les ingrédients typiques des affaires européennes :
– dès le départ, les Etats-Unis et les technocrates européens souhaitent que l’Union devienne un Etat indépendant au service de la coopération transatlantique. Les Etats-Unis ont marqué cette intention en accordant une reconnaissance diplomatique à Jean Monnet, patron d’un zinzin de gestion du marché de l’acier. S’il n’y avait pas eu derrière une autre idée, cet aspect diplomatique n’était pas nécessaire
– dès le départ tout est fait pour nier cette vocation étatique de l’Union. Seules sont employées des périphrases (politiques des petits pas etc…), Officiellement, l’Union n’a pas d’ambassades à l’étranger. Les insiders savent qu’elle a des délégations qu’il suffira de renommer le jour où les états auront abandonné leurs compétences diplomatiques. Officiellement l’Union européenne n’a « pas plus d’employés que la Ville de Paris », les insiders savent qu’il faut rajouter les agents nationaux détachés et autres contractuels, plus tous les cabinets de lobbying qui se font un plaisir de préparer des textes pour le plus grand bien commun (je ne suis pas assez insider pour savoir combien au final de personnes à temps plein travaillent pour l’Union, ça doit se trouver quelque part)…
– A toutes les étapes de la transformation du traité de libre échange initial en état libre-échangiste, on se passe parfaitement de l’avis des populations et des dirigeants anticonformistes, qu’ils s’appellent Mendès-France ou Charles de Gaulle. Les européens doivent accepter d’être pris pour des enfants avec un mépris qui ne serait pas toléré très longtemps dans des pays qui seraient restés souverains, les Etats-Unis par exemple (j’attaque avec plaisir la troisième saison de West Wing, je viens juste d’enterrer avec tristesse Ms Landingham…) Chaque tentative de protester contre cette Union qui non seulement ne sert à rien mais nous fragilise, est noyée sous la propagande la plus invraisemblable et en dépit de toutes considérations factuelles.
– notons enfin que, si l’on suit cette petite phrase sur la brochure de la Commission » American citizens who work tirelessly for the cause of European and transatlantic unity », il faut comprendre que l’unité europeénne, dont on voit qu’elle doit déboucher très vite sur un état européen, doit être mise au même plan que l’unité transatlantique. Qui en toute logique devrait déboucher aussi sur un état transatlantique. Fantasme ? Pas forcément plus que d’imaginer, il y a quelques années, voir quelques mois de cela, un ministre français des affaires étrangères enterrant lui-même sa mission…
Edgar
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