Quelle politique pour Barack H. Obama ?

galloisWashington courtise le monde,

par Pierre Marie Gallois (version PDF)

Au cours de ce premier semestre 2009 la parole – sinon encore les faits – a préparé l’avènement d’une organisation politique du monde différente. A l’ouest, anglo-saxon, Barack Obama a mené avec passion – et savoir faire – une campagne visant à la fois à se faire connaître des gouvernements qui comptent et à leur présenter la future politique de son pays, du moins telle qu’il la conçoit. A l’Est, précisément à Ekaterinbourg, en Russie, en même temps, se préparaient, se réunissaient deux sommets représentant près de la moitié de la population mondiale avec l’OCS, l’Organisation de Coopération de Shanghai, d’une part et les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) d’autre part. Sommets fondus en un seul pour définir, puis pour conduire une politique économique et financière opposée à celle de l’Ouest américanisée. Il est vrai que les Etats-Unis sont les plus spectaculaires victimes de la crise économique. Ils n’en sont pas à l’origine, mais subissent tous les effets du passage des peuples milliardaires en vies humaines de l’artisanat ancestral à l’industrialisation euro américaine des deux derniers siècles, produisant en masse à très bon compte, et mettant un terme à la suprématie commerciale occidentale, à commencer par celles des Etats-Unis, ce qui incite à l’instauration d’un autre ordre mondial.

Outre-Atlantique, le désarroi est tel qu’assez paradoxalement c’est d’un président aux origines africaines – continent retardé – que l’électorat américain attend une profonde mutation socio-économique d’abord. Or, c’est à la politique étrangère que le jeune Président vient de consacrer toute son activité. Il est vrai que, fort opportunément, Mme Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat, c’est-à-dire ministre des Affaires Etrangères, s’était brisé le bras lors d’une chute, laissant la voie libre au Président.

Participant au G 20 au début d’avril, à la réunion de l’OTAN, puis au G 8 à Aquila au début de juillet, Barack Obama a pu rencontrer ses principaux homologues. Entre temps, à Prague, au Caire, à Riyad il avait traité de la sécurité en général, du nucléaire en particulier devant des auditoires favorables à ses thèses sur la dénucléarisation, racolant ainsi une large approbation. Brève escale à Paris après les cérémonies du débarquement et diverses autres interventions, et ce fut la rencontre tellement attendue avec le Président Medvedev et le premier Ministre Poutine, les 6 et 7 juillet.

Mais avant de commenter ce « sommet » moscovite il convient de caractériser la position du jeune Président américain affrontant la politique russe.

Il y a déjà près de 30 ans, alors qu’il était un jeune étudiant à l’Université de Columbia, il avait rédigé un texte prônant un monde sans armes nucléaires. C’était là un thème « porteur » et, en démocratie, pour faire carrière, un sûr moyen de s’assurer l’adhésion du plus grand nombre. C’est encore vrai en campagne présidentielle et Barack Obama a su en tirer parti. En son temps Reagan s’était opposé au traité relatif à l’arrêt des expérimentations atomiques, tandis que le futur Président affirmait, au contraire, que c’était là «  un solide premier pas vers un monde sans armes nucléaires ». C’est naturellement avec la même disposition d’esprit qu’Obama aborda le débat avec les dirigeants russes.

A Prague, il voulut faire preuve de maturité : … « Je ne suis pas naïf, cet objectif ne sera pas atteint rapidement… il faudra patience et persistance… J’ai dit clairement que nous retiendrons notre capacité nucléaire aussi longtemps qu’il existera un pays avec des armes nucléaires ».

Destiné à rassurer les tenants d’un armement nucléaire dissuasif, cet argument prouve que, devenu Président, Obama n’avait pas encore compris que le nucléaire interdisait le recours aux guerres d’extermination dont a tant souffert le XXème siècle en coûtant infiniment plus qu’elles ne peuvent rapporter. Autre naïveté, croire à l’effet « d’entraînement », croire que la réduction des panoplies américaines et russes aurait un effet direct sur des pays comme l’Iran ou la Corée du nord, « renforcer le traité de non-prolifération prend, pour nous, un sens lorsque l’on veut traiter de ces questions » affirmait un conseiller de la Maison-Blanche. Encore une erreur : au contraire, réduisant leurs panoplies nucléaires respectives Moscou et Washington valorisent les forces nucléaires numériquement réduites et encouragent la prolifération d’arsenaux plus à la portée de puissances aux ressources limitées.

En fait, il est ridicule de « croire que les ambitions de Kim Jong-il ou d’Ahmadinejad seraient réduites ou abandonnées si Américains et Russes réduisaient leurs forces de dissuasion… « c’est être un novice plaisantait Richard Perle, du gouvernement précédent ». Novice en matière stratégique sans doute, mais excellent démagogue puisque, en majorité la population est aussi novice et qu’être l’apôtre du désarmement – surtout atomique – rapporte des voix.

A Prague, Obama s’engagea à obtenir la ratification du traité (rejeté par le Sénat) sur l’interdiction de tout essai nucléaire et à entreprendre la révision du traité de non-prolifération en mai 2010. Etait ouvert un nouveau «  chantier » :

  • Réduction des armements des Etats-Unis.

  • Renforcement de la non-prolifération.

  • Protection accrue des armes existantes.

  • Réduire immédiatement d’un quart le nombre d’armes nucléaires opérationnelles.

Le Pentagone a d’autres visées. Il est en train de définir la politique de dissuasion des Etats-Unis durant les dix prochaines années. L’interdiction des essais, selon les militaires, ne permettra pas de s’assurer de la fiabilité du stock existant, et d’ailleurs une nouvelle génération d’armes nucléaires devrait être réalisée afin d’assurer la permanence de la dissuasion. Mais le Pentagone se soucie de la Sécurité des Etats-Unis bien davantage que du comportement de l’électorat. Dans ce domaine, le Congrès ne sera pas facile à rallier aux projets de désarmement de Barack Obama. Mais Prague préparait Moscou à négocier la nouvelle politique de Washington.

Après les aménités d’usage entre chefs d’Etat, les deux gouvernements sont restés sur leurs positions.

… «  A vous nous associons nos espoirs pour nos relations futures », déclara Poutine au cours d’un breakfast de travail. A quoi Obama répliqua qu’il félicitait Poutine pour « l’extraordinaire travail accompli au bénéfice de la Russie ». Mais sur les grandes questions de fond, les deux politiques s’affrontent toujours. Par l’OTAN, Washington entend empiéter sur ce que furent les marches occidentales de l’URSS. C’est que les deux peuples perpétuent le passé de froide hostilité et d’une insensée rivalité militaire (par exemple, en 1966, les Etats-Unis alignaient 23 700 ogives, l’URSS, en 1986, en ayant 45 000 dont plus de 10 000 stratégiques).

En revanche, Moscou et Washington reconnaissent que le grand danger réside dans la possession de telles armes par les groupes terroristes.

D’après le ministre des Affaires étrangères russe, son pays se préparait à discuter un bon nombre de questions figurant sur l’agenda américain :

  • Non-prolifération des armes de destruction massive (mais utilisation pacifique de l’atome).

  • Réduction numérique des armes nucléaires stratégiques des deux puissances.

  • Combat contre le terrorisme.

  • Retour à la négociation de l’Iran et de la Corée du nord (et d’Israël et des Palestiniens sur la base des 2 Etats).

Enfin, concession immédiate, aide aux Etats-Unis, ceux-ci pouvant transiter au-dessus du sol russe dans la lutte en Afghanistan sans avoir à payer de droits de douane.

Un accord aurait été assez rapidement conclu sur la réduction des panoplies nucléaires. Les Etats-Unis auraient encore 2 200 ogives opérationnelles et les Russes 2 800. Medevedev et Obama, ne serait-ce que pour d’évidentes raisons d’économies, s’entendraient pour descendre à 1 700. On a donc commencé par conclure un accord-cadre selon lequel le nombre d’ogives devait être compris entre 1 500 et 1 675 et le nombre des vecteurs appropriés serait ramené à 500, voire 1 100 au maximum. Ce traité serait signé avant la fin de 2009.

Une fois encore, l’on organiserait un Centre commun pour échanger des informations sur les lancements de missiles (déjà envisagé en 1998 mais jamais réalisé). De même, pour la destruction de stocks de plutonium militarisable (34 tonnes chacun) qui n’ont pas été détruits.

Accord, également pour prendre davantage en considération le poids des économies émergentes (les Russes pensaient à Ekaterinbourg).

D’après les comptes-rendus de la presse, l’accueil du Président américain à Moscou n’a pas été très chaleureux. Les Russes savent ce que peuvent représenter pour les Etats-Unis la Russie et son immense Sibérie, aux ressources encore inexploitées, dans un monde où ces ressources vont être âprement convoitées. Et les Etats-Unis redoutent naturellement l’Asie-Pacifique, Russie, Chine, Asie centrale, voire Inde membre de l’organisation BRIC.

Songeant à ses électeurs Obama avait souhaité rencontrer les opposants au régime de Poutine, évoquer le cas de M. Khodorkovsky, celui de Klebnikov, citoyen russo-américain mort il y a 5 ans et, en somme faire ressortir que l’on assassine beaucoup en Russie, intervenant ainsi dans les affaires de «  justice » du pays hôte. Démarche mal vue au Kremlin.

Aussi, sur les questions de fond :

  • le « bouclier anti missile »

  • l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, le soutien à a Géorgie et à la Biélorussie, en somme l’élargissement de l’OTAN au « proche étranger » de la Russie actuelle contrairement à un accord antérieur.

Désaccord total.

Deux semaines après la rencontre historique Poutine, Medvedev, Obama, celui-ci dépêchait le vice-président américain Joe Biden auprès de M. Saakachvili et aussi en Ukraine afin de rassurer ces candidats à l’Europe de l’ouest : « ils ne seront pas les victimes de l’amélioration des relations américano-russes » ; les Tchèques et les Polonais voient dans le « bouclier » une garantie de sécurité américaine. Sans doute forte déception au Kremlin d’autant que Joseph Biden réclame des Russes qu’ils retirent leurs troupes du Sud Ossétie et d’Abkhazie, et demande au monde de ne pas reconnaître

l’«  indépendance » à la russe, de ces deux provinces de Géorgie tandis que Moscou, au même moment, menaçait la Géorgie si elle s’armait.

A la mi juillet, sa blessure au coude guérie, Mme Hilary Clinton s’empressa de diriger son Département d’Etat, et à l’instar de Barack Obama, de définir les grandes lignes de la politique étrangère des Etats-Unis. «  Il est temps que Barack Obama laisse Hilary Clinton ôter sa burka », « plaisantent les médias ». Elle s’était adressée au Conseil des Relations extérieures et elle s’était hâtée d’envoyer au Moyen-Orient, au Pakistan et en Afghanistan ses représentants, essayant de reprendre pied dans le domaine dont Obama s’était emparé.

Celui-ci avait été absorbé par l’Europe, le Moyen-Orient, le Ghana, Hilary Clinton fit sa rentrée sur l’Asie-Pacifique. Elle a choisi l’Inde, membre du BRIC, mais surtout grande puissance en quête d’indépendance et de prédominance sur la scène internationale. Le voyage a été un succès : vente de matériels militaires (une pierre dans le jardin russe ), vente de deux réacteurs nucléaires, enfin ouverture aux Etats-Unis du vaste marché indien, sans parler d’une conférence à l’Université à la Nouvelle-Delhi sur le renforcement des relations américano-indiennes, préparant la négociation d’Obama avec la Chine.

Mais avant la rencontre de fin juillet américano-chinoise, Obama s’était rendu au Ghana, ses origines familiales lui imposant une visite en Afrique, en particulier au Ghana en raison de son régime apparemment démocratique, d’autant qu’Accra avait été l’escale aéronautique pour les bimoteurs américains engagés sur le théâtre du Proche-Orient, d’où vieille influence américaine. Pour Obama cette visite a été l’occasion de morigéner ses auditeurs, qui ne sont pas ses électeurs, tout en racolant des voix noires aux Etats-Unis en raison de l’éloge d’une certaine Afrique.

« Je considère l’Afrique comme une partie fondamentale de notre monde interconnecté, mon grand-père était cuisinier chez les Britanniques, au Kenya… ». « Le développement dépend d’une bonne gouvernance…. responsabilité dont seuls les Africains peuvent s’acquitter… » « Comme je l’ai dit au Caire, chaque nation façonne la démocratie à sa manière. Mais les gouvernements qui gouvernent par le consentement et non la coercition sont plus prospères… ». « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes constitutions… au Ghana le pétrole crée de magnifiques possibilités ». Pour affirmer son américanisme Obama a fait l’allusion suivante au colonialisme : … « On a dit que c’était les conséquences du néo-colonialisme ou de l’oppression occidentale ou du racisme… je ne crois pas beaucoup aux excuses… ».

« Immensément fiers pour notre nation nous avons le sentiment d’accueillir l’un des nôtres », dirent les Ghanéens. Visite réussie, conforme aux intérêts américains :

  • Le pétrole du Golfe de Guinée.

  • La rivalité avec la Chine si présente en Afrique et y investissant dans l’exploitation de ses matières premières.

  • Octroi de 3,5 milliards de dollars en faveur de la sécurité alimentaire mais axé sur l’aide au travail plus que l’assistance directe avec envoi d’aliments.

Bref, un discours pouvant recueillir aussi l’adhésion de l’électorat américain, blanc ou noir.

  • Enfin, pression sur les dirigeants du Ghana pour qu’ils poussent l’Union africaine à sanctionner Omar al Bashir au Soudan (300.000 morts, 2 millions de personnes déplacées).

Le discours du 11 juillet aura traité à la fois de morale, de politique, d’économie et il est à porter au crédit d’Obama.

Le voyage en Inde de Mme Clinton imposait une conférence américano-chinoise et celle-ci a été présidée par Barack Obama (dès les 27 et 28 juillet) qui se rendra en Chine en novembre. A Washington pas de dirigeants politiques chinois, mais un vice-premier ministre et de nombreux experts de l’administration chinoise.

Non sans raisons, Obama a précisé que « leurs deux nations allaient façonner le vingt et unième siècle, «  les politiques économiques intérieures ayant un impact sur l’économie globale » ce qui est une évidence. Obama a rapidement évoqué – son électorat s’y attendait – la « liberté religieuse pour les minorités ethniques aussi sûrement que les minorités américaines », mais doivent être abordées les questions suivantes :

En revanche, la politique financière et la fameuse réévaluation du Yuan ont été escamotées par les soucis que crée le dollar. (La Chine détient plus de 800 milliards de bons du Trésor des Etats-Unis). Aussi, le secrétaire au Trésor américain a dû affirmer que « son pays faisait les efforts nécessaires pour réduire les déficits budgétaires », plaçant ainsi la mission chinoise en bonne position qui souhaitait réformer le système monétaire international, aux dépens du dollar.

Au cours de sa vaste tournée diplomatique, Obama a insisté sur le respect que lui inspirait leur civilisation respective sans allusions aux capacités coercitives de la superpuissance, mais en insistant sur les vertus morales de son pays.

«  La défense des droits de l’homme et de la dignité humaine est enracinée en Amérique, ce ne sont pas des choses que nous cherchons à imposer (ce n’est pas toujours le cas). C’est notre identité ».

En somme, suivez notre exemple, de plein gré… pour le bien de l’humanité.

Il n’est pas exclu que le président Obama rencontre aussi les représentants de l’autre moitié de la population mondiale (BRIC, OCS pour l’organisation de coopération de Shanghai) pour leur adresser le même prêche. Car il semble avoir pris goût à répandre cet éloge national, même s’il suscite quelques doutes compte tenu du comportement des Etats-Unis, dès le début des années 90 surtout.

Le retour aux affaires de Mme Clinton n’a pas créé une cacophonie diplomatique, le Président traitant des grandes questions de principe destinées à exalter le rôle des Etats-Unis – et à faire oublier Bush – tandis que la Secrétaire d’Etat se chargeait des affaires courantes de la diplomatie américaine.

Tout semble s’être agencé comme si, parfaitement conscient de la crise économique (qui l’avait porté au pouvoir), Barack Obama a cherché sur la scène internationale les succès que l’économie ne pouvait lui fournir à l’intérieur.

D’ailleurs, parce qu’il est ce qu’il est – un premier Président des Etats-Unis fortement bronzé – il est tenu de pratiquer une politique intérieure démagogique afin de rallier le maximum de suffrages. Il y réussirait si au pays de la libre entreprise cette forme de socialisme ne heurtait de front un système auquel l’ensemble de la population américaine reconnaît bien des mérites et attribue sa prospérité.

C’est ainsi que son projet de couverture santé pour tous est fortement critiqué, ne serait-ce qu’à cause de son coût et d’une éventuelle hausse des impôts – et aussi des intérêts du secteur privé des assurances. Appliquer outre-atlantique des lois anti-trust analogues à celles de l’Union européenne est également mal admis par l’establishement qui y voit une entrave au commerce.

Politiquement, il est plus rémunérateur de parler au monde de la générosité des Etats-Unis qu’à l’intérieur de lois économiques.

Ce qui explique ces six mois d’activité internationale frénétique.

 

Fourum pour la France

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