Charles Jaigu : « Nous avons un problème avec le président de la République »
CHRONIQUE Le Figaro– Les stratèges en chambre d’une nouvelle Constitution sont légion. L’ex-député et ex-garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas rejoint la cohorte. Mais son analyse stimulante met le doigt sur les erreurs du passé et les moyens d’y remédier.
Ce 31 décembre, Emmanuel Macron a pleinement reconnu qu’il s’était trompé en choisissant de dissoudre l’Assemblée nationale. Un tel aveu, un soir de vœux, est rare pour un président. C’est dire l’ampleur des dégâts. Cette décision a tout abîmé, y compris la fonction présidentielle. Il est donc logique que les spécialistes s’interrogent. Faut-il encadrer les pouvoirs du président pour éviter qu’il s’en serve si médiocrement ? Longtemps président (PS) de la commission des lois de l’Assemblée nationale, puis bref garde des Sceaux à la fin du quinquennat Hollande, Jean-Jacques Urvoas est redevenu professeur de droit public à Brest et il publie un livre utile, qui pointe le mésusage des institutions de la Ve République, et ajoute des propositions pour y remédier.
Le ton est parfois exagéré. Déplorer la « dérive despotique » de la pratique présidentielle a un parfum Mitterrand 1965 auquel on n’est pas obligé de se laisser prendre. Il ne le faut pas, car le propos est pertinent à plus d’un titre, y compris – et c’est souvent ! – quand il ne convainc pas. La principale objection qu’on lui fera est tout simplement la difficulté d’un ravalement constitutionnel consensuel et la seconde est que l’urgence est ailleurs. L’urgence est à l’action, avec les moyens du bord. Comme le disait le regretté Guy Carcassonne, l’équipe de Saint-Étienne n’a pas perdu en 1976 contre le Bayern parce que les poteaux étaient carrés, mais parce que les autres ont mieux joué. Changer les règles n’aidera pas pour autant à adopter les réformes qui permettront d’en finir avec la très grave maladie des déficits, qui est la mère de tous nos maux, y compris de l’appel d’air migratoire. La Constitution est ce qu’elle est, et passons à autre chose.
« Je fus un fervent lecteur de Carcassonne, et j’étais d’accord avec cette idée, mais maintenant je ne le suis plus », nous répond Urvoas, qui ne propose d’ailleurs pas de changer le numéro de notre République, mais de la réaménager. « J’ai longtemps répété que la Constitution était bien écrite et mal appliquée, mais, si les échecs se répètent, c’est qu’elle n’est pas si bien écrite que ça », nous dit-il. Il est vrai que la Ve n’est déjà plus la Ve. C’est la Ve bis au moins depuis « la Constitution de l’an 2000 », qui adopta le quinquennat. Elle a été ainsi labellisée par le député LR Guillaume Larrivé – C’est Urvoas qui nous rappelle cette formule. Il ne fait nul doute que ce raccourcissement du mandat, voté par les Français avec un taux de participation historiquement faible de 30 % des électeurs, s’est dangereusement répercuté sur nos institutions.
« Le pouvoir vient d’en haut et la confiance vient d’en bas »
On peut le dire avec le recul, puisque cette modification a déjà vingt-quatre ans d’âge, le double de la IVe République. Or cette Ve bis n’est pas satisfaisante. De Sarkozy à Macron, le président n’a cessé d’empiéter sur le gouvernement sous prétexte d’un mandat plus court, or sa légitimité n’a cessé de faiblir : il a été de moins en moins bien élu, et l’élection législative qui a suivi a été hélas de plus en plus boudée.
Tout cela nous amène à l’analyse centrale de ce livre : l’irresponsabilité politique du président est devenue un problème. Que faut-il entendre par là ? « Le pouvoir vient d’en haut et la confiance vient d’en bas », nous dit Urvoas, en citant Sieyès. Un président élu à la majorité des suffrages doit-il se contenter de ça ou faut-il qu’il remette en jeu régulièrement son mandat au cours de celui-ci, s’il voit qu’il perd les moyens de sa politique ? « C’est ce que de Gaulle avait bien compris, et c’est ce qui l’amena à user cinq fois du référendum, en mettant à chaque fois sur la table sa responsabilité politique. Il tira donc la conclusion de sa défaite après le référendum perdu de 1969 et démissionna. » Cohérence et élégance du gaullisme, auquel Urvoas rend hommage.
« Trop de décisions du Conseil se distinguent par la faiblesse de leurs motifs » Jean-Jacques Urvoas
Mais ensuite ? Le référendum continua, certes, mais sans menacer le président. Urvoas relève avec malice que, à partir de Pompidou, les présidents successifs prirent soin de préciser qu’ils ne démissionneraient pas si la réponse à la question posée était négative. Mais le plus embêtant fut la cohabitation. En 1986, François Mitterrand fit savoir qu’il ne démissionnerait pas en cas de défaite aux élections législatives. « Il a rompu le contrat implicite entre le peuple et le président », conclut Urvoas. Pour y remédier, on ne revint pas aux sources du gaullisme, on fit le quinquennat. Avancés comme nous le sommes dans cet enchevêtrement d’interprétations fallacieuses transformées en révisions constitutionnelles, que faut-il faire ? Sans doute faudrait-il revenir au septennat renouvelable – et non unique, une absurdité – avec une pratique élargie du référendum et une démission « logique » du président s’il est désavoué dans les urnes via le référendum ou via une élection législative.
Urvoas ne propose pas ce retour aux fondamentaux. Il soutient cependant l’extension du référendum d’initiative et du domaine des questions abordées. Il suggère surtout de lier le pouvoir de dissolution dont jouit le président à son départ en cas d’échec dans les urnes. « Pourquoi ne pas débattre d’une possibilité où le Parlement, après une dissolution perdue par le chef de l’État l’ayant décidée, se réunirait en Congrès pour étudier – si elle était déposée – une motion de mise en cause de la responsabilité du président ? En cas d’adoption, celui-ci serait contraint de démissionner, avec le droit de se représenter. »
« Opinion séparée »
Pour retremper la Ve dans la confiance du peuple, il n’y a pas que le président qui pose un problème. Le Conseil constitutionnel aussi. Ce dernier fait de la politique. Exemple : en 2010, il invalide la loi instituant la taxe carbone sous prétexte qu’elle exempte l’industrie lourde. N’est-ce pas au législateur de juger de la pertinence de cette exception ? Une formule voisine sera votée sous Hollande, et Macron l’appliquera, provoquant la révolte des « gilets jaunes ». Si cette disposition avait été validée en 2010, la France aurait été vertueuse fiscalement et écologiquement pertinente. De même, en 2023, le Conseil constitutionnel valide la loi sur les retraites, pourtant forcée devant le Parlement de manière irrégulière, puis il censure la loi immigration sur la forme en 2024, parce qu’elle aurait été votée de manière trop cavalière. Urvoas défend le Conseil, mais il critique sévèrement cette dérive.
« Trop de décisions du Conseil se distinguent par la faiblesse de leurs motifs », note-t-il. Ce qui contribue grandement à l’impression d’être face à un gouvernement des juges. Il propose pour y remédier que les membres du Conseil puissent publier une « opinion séparée », qui forcerait au moins le Conseil à étayer sa décision. Bonne idée. Reste le Parlement, dont Urvoas est un avocat passionné. Mais sa nullité actuelle, dans le genre salle de classe braillarde, ne plaide pas en faveur d’un rééquilibrage. « S’ils continuent comme ça, ils donneront raison à ceux qui veulent le retour de la République bonapartiste », concède-t-il. Entendez par là celle qui, sous le général de Gaulle, entre 1958 et 1960, gouverna par ordonnances et réforma la France de la meilleure des manières. Mais avec le vote populaire. Grâce au référendum.
A PERRIN Joelle…;Bien analysé , en effet le « p’tit chef » peut se vanter de mettre la France au fond du trou dans tous les domaines : sécurité, justice, économie, finances, industriel, éducation ,culture, social, transports, environnement, relations internationales :::
Si nous n’avions qu’un seul problème avec lui ce serait moindre mal ! Mais nous avons des tonnes de problèmes avec lui depuis 2012 !
Dans l’esprit de la Constitution de 1958, l’élection présidentielle est considérée comme la rencontre d’un homme (ou d’une femme) avec son Peuple.
C’est à ce dernier de décider qui sera son chef et dans le prolongement de son élection, lui donner la capacité de gouverner en le faisant bénéficier d’une majorité à l’Assemblée Nationale par l’intermédiaire des élections législatives.
Le problème qui se pose actuellement, et ce de façon aigue, repose sur un malentendu. A savoir que M. Macron n’a pas été réellement élu par la volonté du peuple mais a pu rester à l’Elysée uniquement grâce ou à cause du rejet, à tort ou à raison, de son adversaire.
Logiquement, et par voie de conséquence, les Français ne lui ont pas permis de disposer ensuite d’une majorité, lors des Législatives qui ont suivi, mais plus encore ont voulu infirmer ce résultat obtenu en amont.
La légitimité du Président actuel ne saurait donc être remise en cause sur le plan strictement institutionnel car il a été « élu » démocratiquement pour 5 ans. Toutefois cette dernière reste entachée par ce qu’il faut bien appeler un quiproquo électoral.
Il s’agit tout bonnement de la différence qui existe entre l’Esprit et la Lettre. E. Macron semble plus attaché à la seconde plutôt qu’au premier et c’est l’origine du marasme politique dans lequel il plonge aujourd’hui notre pays.