« J’ai été mû par l’indignation et aussi la colère, parfois »

À 80 ans, Jean-Pierre Chevènement publie Passion de la France chez Robert Laffont (collection Bouquins, 35 €). Loin d’une compilation, l’ouvrage remet en perspective les idées et engagements d’un Républicain authentique.

Il vous a fallu 1.568 pages pour dire votre passion de la France, c’est énorme !

Oui, et cela représente beaucoup de travail. C’est la somme de tout ce que j’ai dit et écrit d’essentiel à mes yeux, des moments forts de ma vie de 1967 à 2018. Et qui me paraît avoir de l’intérêt pour la suite car les générations futures auront fort à faire pour réparer la France. Ce livre, c’est aussi la description d’une époque, d’une atmosphère, telles que je les ai vécues, toujours mû par des sentiments puissants, souvent d’indignation et quelquefois de colère.

L’ouvrage peut se lire de façon chronologique, mais on peut aussi y « piocher »…

Je l’ai conçu en sept parties : l’une, historico-politique retrace mon parcours ; deux autres, conceptuelles, structurent mon engagement ; les suivantes sont thématiques, sur l’école, l’industrie et l’évolution du modèle productif, les questions de défense et internationales avec la guerre du Golfe et ses conséquences, l’islamisme radical et le chaos mondial. J’y traite de l’Europe qu’il faut redresser, avec une approche large sur les États-Unis et la Chine, il nous faut repenser l’Europe en refondant historiquement notre relation à l’Allemagne et à la Russie.

Quel regard portez-vous sur la crise que traverse actuellement la France ?

Les causes profondes en sont très anciennes. D’abord, le virage des années 80 vers un néolibéralisme dogmatique, l’acceptation d’un chômage de masse permanent, des inégalités croissantes et des fractures de toute nature. En 1983, la cause de ma première démission fut l’acceptation de la désindustrialisation, avec le choix d’une monnaie trop forte. L’euro est aujourd’hui, selon le FMI, surévalué de 20 % pour la France et à l’inverse sous-évalué de 10 % pour l’Allemagne. La fracture européenne est indissociable des fractures économiques et industrielles. Le mouvement des gilets jaunes en est une manifestation.

Gilets jaunes nombreux dans les régions désindustrialisées et dans la ruralité…

Parce qu’on y a ajouté une fracture territoriale avec des régions beaucoup trop grandes, ingérables et des intercommunalités cadenassées dont le seuil minimal de population a été relevé de 5.000 à 15.000 habitants, ce qui n’est pas raisonnable. On parle maintenant de la possibilité d’élire les présidents de ces intercommunalités au suffrage universel, mais ce serait délégitimer les 35.000 maires ! Or ils sont les acteurs de base de notre démocratie qui n’est pas que verticale, mais aussi horizontale.

Le chef de l’État l’aurait-il oublié ?

Aujourd’hui, des pans entiers de la décision sont soustraits au législateur. Le champ de la loi se réduit comme peau de chagrin, tout se concentre sur le président de la République. L’inversion du calendrier électoral fait qu’il n’y a plus qu’un scrutin qui compte. La finalité des législatives, c’est désormais que le peuple donne carte blanche au président pour appliquer son programme. Mais le chef de l’État ne peut pas tout à lui tout seul. Dans le cadre du grand débat national, le club République Moderne que je préside a proposé qu’on déconnecte la durée du mandat présidentiel de celui des députés. Ce pourrait être sept ans pour l’un et cinq ans pour les autres ou six et quatre ans.

Et concernant le non-cumul ?

Il a aussi ôté de la chair à la représentation nationale. Mais le maire est le mieux placé pour percevoir les problèmes de ces concitoyens. Il faudrait revenir sur la mesure de non-cumul pour les communes de moins de 100.000 habitants. Cela donnerait chair à nos parlementaires.

Quelles autres sorties de crise institutionnelles proposeriez-vous ?

C’est une crise de l’appartenance avec une méconnaissance par nos concitoyens de leurs droits et devoirs. Il faut restaurer le lien perdu, revaloriser le département, faire fonctionner plus démocratiquement le binôme commune/intercommunalité. Outre la suppression du quinquennat, il faut revoir entièrement la façon dont l’Europe a été conçue, acter que le Conseil européen décide et que la Commission n’est qu’une assemblée administrative. L’actuel Parlement européen n’en est pas un, puisqu’il n’y a pas de Demos européen. Il est une simple juxtaposition de l’expression de peuples, comme l’a souligné le tribunal constitutionnel allemand de Karlsruhe. Il faut refaire du Parlement européen une instance plus représentative, à partir des parlements nationaux.

La négation du résultat du référendum de 2005 ne marque-t-elle pas le début de la défiance des citoyens envers les élus ?

L’accord entre Sarkozy et Hollande pour faire ratifier par le congrès le traité de Lisbonne, qui reprenait l’essentiel du projet de traité constitutionnel que le peuple avait rejeté par référendum en 2005, a été un déni de démocratie majeur ! Avec le recul, oui, c’est à ce moment-là qu’il eût fallu une sorte d’insurrection nationale. Mais les crises économique et financière et celle de l’euro sont arrivées. On n’en est toujours pas sortis et il faut s’attendre à de nouvelles secousses. L’Europe a besoin d’une politique de type keynésien, ce qu’ont fait les États-Unis et la Chine de leur côté.

La construction européenne est certes nécessaire mais elle doit se faire dans le prolongement des nations et non contre elles car c’est dans les nations que vit la démocratie.

Propos recueillis par Jean-Pierre TENOUX (L’Est Républicain)

1 commentaire sur « J’ai été mû par l’indignation et aussi la colère, parfois »

  1. Ce n’ est pas la peine d’installer la 5G . La télé et ses programmes , ce n’est pas l’opium du peuple , c’ est déjà décadence

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