Les deux fautes d’Emmanuel Macron

par Jacques Sapir

Emmanuel Macron a commis deux erreurs. Elles constituent de véritables fautes politiques. Leur proximité indique les limites de sa présidence. Elles peuvent encore être corrigées, mais le Président en a-t-il le désir et la volonté ? Ce que ces fautes nous révèlent, c’est peut-être la vérité de ce que sera la Présidence Macron.

Une odeur d’affairisme

La première est indiscutablement le mode de gestion de ce que l’on peut appeler « l’affaire » Richard Ferrand. Vient alors s’y joindre l’affaire autour de Murielle de Sarnez, mais aussi l’affaire François Bayrou. Ces trois personnes sont actuellement des ministres du gouvernement Edouard Philippe. Ils ont été des piliers de la candidature d’Emmanuel Macron : Richard Ferrand étant le secrétaire général de La République en Marche, le parti du Président, et François Bayrou ayant été l’un des principaux alliés d’Emmanuel Macron.

On dira qu’il n’y a rien eu d’illégal. Cela reste à prouver, mais ne constitue pas le cœur de l’affaire. Cette dernière est morale avant d’être légale. L’odeur d’affairisme qui se répand désormais autour du gouvernement, un gouvernement que le Président voulait exemplaire, est dévastatrice pour sa légitimité. Quand ce gouvernement va, par ordonnances, gravement attaquer les droits des salariés, quand ce gouvernement va accroître les impôts (par la CSG) et baisser les cotisations chômages, cette odeur d’affairisme deviendra parfaitement insupportable.

On dira que le Président n’a pas à demander à des ministres qui ne sont pas encore mis en cause par la justice de démissionner. On devrait même dire qu’une mise en examen, en bonne logique, ne devrait pas entraîner de démission, car tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que la justice le déclare coupable. Mais, c’est encore une fois se retrancher derrière le légal quand c’est le moral qui est en cause. Et c’est là tout le problème. Emmanuel Macron a fait de la question du comportement de ses (futurs) ministres une question morale, une question de légitimité. Il ne peut aujourd’hui revenir en arrière et prétendre se cacher derrière des arguments de légalité. Ou, alors, cela signifie que ses principes sont à géométrie variable, intangibles pour ses ennemis, ajustables pour ses amis.

Car, la vérité d’un homme se révèle dans la manière dont il traite ses amis, et non ses ennemis. La démonstration qu’Emmanuel Macron est en train de faire est qu’il est un politicien comme les autres, un adepte du double discours. Cette démonstration sera un acide qui rongera sa Présidence jusqu’à la racine. Il peut encore faire la démonstration inverse, et se décider à se séparer des ministres sur lesquels plane le doute ; la femme de César n’a pas à être suspectée, et les ministres de la République doivent être inattaquables. Mais, s’il ne prend pas cette décision très vite, alors le mal sera fait.

Une odeur d’autoritarisme

La seconde erreur réside dans sa réaction vis-à-vis de la presse. Emmanuel Macron a ainsi déclaré que les journalistes n’ont pas à s’ériger en juges. C’est exact ; mais on aurait aimé qu’il le dise non pas quand ses ministres sont attaqués, mais quand la presse a commencé à se déchaîner contre tel ou tel de ses adversaires.

Cette déclaration, juste sur le fond, révèle alors le mépris dans lequel Emmanuel Macron tient ceux qui s’opposent à lui. Il montre que, là encore, le Président applique un double langage. Venant après une campagne présidentielle qui fut extraordinairement violente, venant après des comportements de journalistes qui ont été scandaleux, et qui le sont encore comme on peut le voir dans le traitement des principaux adversaires de LREM, cette déclaration relève en réalité du plaidoyer pro domo. Elle n’a donc aucune légitimité, et de ce fait, aucune crédibilité.

Mais, cette déclaration est aussi grave car elle révèle la volonté d’instrumentaliser la presse au profit de sa Présidence. Le nombre de sociétés de journalistes, pas une, pas deux, mais en réalité quinze, qui ont protesté devant les tentatives d’instrumentalisation est révélateur*. Emmanuel Macron voudrait que les journalistes lui appliquent certaines règles, toutes de déférences, et se déchaînent sur ses adversaires. C’est revenir aux pratiques du Second Empire, ou de Charles X. Cela ne peut que rendre ridicule et odieux l’attaque publique qu’il a faite lundi 29 mai contre deux médias russes. Que le contenu de ces médias ne lui plaise pas, c’est son droit. S’il se considère avoir été calomnié, qu’il les attaque devant la justice. S’il y a eu diffamation, c’est à un tribunal de trancher. Cela s’appelle l’état de droit. Mais, ce qui se dévoile dans les pratiques de la nouvelle Présidence et dans sa récente déclaration montre que c’est à une véritable mise au pas de la Presse qu’Emmanuel Macron entend aboutir. Et pourtant, cette même presse, des chaines de télévisions aux hebdomadaires dits politiques qui ont multiplié à loisir les unes consacrées à Emmanuel Macron durant ces derniers mois, avait donné de nombreux gages de sa docilité. Mais, le Président veut plus ; il veut tout.

La faute est grave ; elle est lourde. Emmanuel Macron n’a que quelques jours pour chercher à réparer les dommages causés. On peut douter qu’il en est conscience. Au-delà, on peut douter qu’il le veuille.

Cela commence donc à faire beaucoup. Entre l’odeur – il n’est plus temps de parler de parfum – d’affairisme qui vient de ses alliés, et l’autoritarisme que révèle son rapport à la presse, mais aussi à la politique, et l’on en revient ici au projet de légiférer par ordonnances, la Présidence Macron pourrait faire reculer dramatiquement la démocratie en France. Mais la France intéresse-t-elle encore Emmanuel Macron ? Perdu dans ses rêves européens, se croit-il tout puissant ?

Nous sommes désormais à une semaine du premier tour des élections législatives. Les Français peuvent encore freiner ce gouvernement sur la pente dangereuse dans laquelle il s’est engagé en refusant de lui donner une majorité, et en votant contre ceux des candidats qui d’ores et déjà annoncent leur volonté de composer avec le Président.


* Lire ci-après

Lettre ouverte des journalistes à Macron

19/05/2017

Une quinzaine de sociétés de journalistes ont écrit à Emmanuel Macron pour protester contre l’organisation de sa communication, notamment du choix des journalistes l’accompagnant lors de son déplacement au Mali.

« Monsieur le président, il n’appartient pas à l’Élysée de choisir les journalistes ». Telle est le titre d’une tribune publiée dans plusieurs quotidiens français, dont Le Monde et Libération, afin de protester contre l’organisation de la communication du nouveau président de la République, et notamment sur le choix des journalistes autorisés à l’accompagner lors de son premier déplacement au Mali ce vendredi.

Jeudi, en marge du premier Conseil des ministres, l’Élysée a en effet fait savoir qu’il lui reviendra de choisir les journalistes qui accompagneront Emmanuel Macron lors de ses déplacements, privant les rédactions de ce choix. Concrètement, seuls les journalistes spécialisés sur le thème de la visite du président (économie, international, culture…) seront autorisés à le suivre.

Aucun président « ne s’est prêté à ce genre de système »

Une décision qui n’a pas été appréciée par la presse et qui a conduit à la rédaction d’une lettre ouverte au président, signée par une quinzaine de sociétés de journalistes (dont celle de BFMTV), des directeurs de rédaction et l’organisation Reporters sans Frontières.

« Ce n’est pas au président de la République, ou à ses services, de décider du fonctionnement interne des rédactions, du choix de leurs traitements et de leurs regards. Ce choix relève des directions des rédactions et des journalistes qui la composent, qu’ils soient permanents ou pigistes, JRI ou reporters, photographes ou dessinateurs », écrivent les signataires.

Ils soulignent par ailleurs qu’aucun président avant Emmanuel Macron « ne s’est prêté à ce genre de système, au nom du respect de la liberté de la presse ». « Alors que la défiance pèse de plus en plus sur l’information, choisir celui ou celle qui rendra compte de vos déplacements ajoute à la confusion entre communication et journalisme, et nuit à la démocratie », estiment-ils.

« Il ne s’agit pas de contrôler »

Interrogé jeudi matin lors de son premier point presse, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner a considéré qu’il ne s’agissait pas « de contrôler » ni « d’imposer ».

« Il y a la volonté, notamment dans les déplacements, que le président de la République mais aussi celles et ceux qui l’accompagnent puissent avoir la liberté de déplacement, la liberté d’échange avec les Français. […] La présence de 50 journalistes, d’une dizaine de caméras, nuit un peu au dialogue direct et à l’échange que peut avoir le président de la République avec les Français », a-t-il expliqué avant d’assurer qu’il veillerait au respect des conditions de travail de la presse.

 

9 commentaires sur Les deux fautes d’Emmanuel Macron

  1. Et maintenant le compteur des fautes s’emballe . Tous aux abris Jupiter est à la parade !!!!

  2. La sixième faute vient de sonner à l’heure de la dégringolade dans les sondages :
    renouer avec le rabot pour 5€ par tête de pipe.
    Quant aux explications alambiquées de ce serrage de ceinture nul doute que les plus modestes dont les étudiants s’en souviendront longtemps….à moins que le « chérubin du palais » fasse marche arrière…qui sait comme pour la Taxe d’habitation ou encore pour les Armées où l’on vient de dégeler 1,25 Milliards pour la fin 2017 après en avoir sucré 850 Millions avec en prime la démission du CEMA.
    Du n’importe quoi en marche en quelque sorte !

  3. Et la cinquième était pour hier au soir où contre toute attente « le chérubin du palais » est venu soutenir de son verbe partisan les députés en marche alors que la bienséance lui impose de se tenir en dehors des partis politiques au nom de la France une et indivisible …qui arrêtera ces dérives monarchiques fautives ?

  4. Et la quatrième vient d’arriver avec cette offense faite aux armées par « c’estmoilechef ». Reste à savoir qui va succéder au CEMA pour faire avaler les couleuvres aux militaires.

  5. On peut en ajouter une troisième récente. Recevoir le Président de la Colombie, avec son orchestre dans la cour de l’Elysée, alors que le nouveau gouvernement n’est même pas proclamé, voilà qui en dit long sur Jupiter et sons sens de la représentation !!!!!

  6. Le « chérubin « du palais parade depuis son élection et se met en scène comme au théâtre et les déçus de ce choix vont au fil du temps s’apercevoir qu’ils vont devoir payer pour voir la suite du spectacle.

  7. pasquier // 5 juin 2017 à 4 h 37 min //

    Je suis d’accord , cela n’empêche pas que c’est le meilleur candidat pour notre Pays.Mr Pasquier jean-marc de Paris 12 UPEC

  8. Gilles Le Dorner 77 // 4 juin 2017 à 20 h 38 min //

    Il ne s’ agit pas de jeux même de dire que les jeux ne sont pas faits . Il reste encore un temps pour que la France soit dite gouvernée , ce qu’ elle n’ est pas pleinement actuellement ; ce temps c’ est celui de la représentation nationale à l’ Assemblée . Néanmoins , contester la légitimité présidentielle , subtilité suprême du piège mitterrandien , ce serait contester le socle même de la Constitution . Balancier des urnes , nous verrons , amnésie collective en verdict des urnes peut-être . Car Non , à moins d’ être versatiles , ce ne devait pas finir ainsi par ce « en marche » , en toute mémoire du 29 Mai 2005 gardée . Mais que voulez-vous , les Français sont parfois étranges , au point que l’ on peut se sentir étranger

  9. Edmond Romano // 4 juin 2017 à 19 h 28 min //

    Les fautes tiennent moins aux actes qu’aux arguments de sa campagne. Si nous revenons en arrière et nous souvenons de son attitude, nous pouvons dire qu’il a été en apparence moins virulent que certains concernant François Fillon mais toutes ses déclarations étaient, en creux, des attaques contre la façon de faire de la politique des partis établis et de fait des élus. Les gens sensibles à ces arguments et déçus par les autres candidats l’ont choisi. Non sur un programme (connu partiellement très tard) mais sur un désir de vertu à venir. C’est la raison pour laquelle son postulat « droite et gauche » ne résistera pas à l’épreuve du temps. Ce postulat très gaullien dans la forme nécessite l’adhésion à un projet et non à un homme à moins que celui-ci ait le charisme et la légitimité historique du Général de Gaulle ce qui est loin d’être le cas du Président Macron. Je ne crois pas, hélas, en sa réussite. Je dis « hélas » car je souhaiterais qu’il puisse réussir pour le plus grand bien de mon Pays.

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