Il n’y a pas que l’UMP dans les affaires… Le PS aussi

A Marseille, la dérive d’un système clientéliste

 

 

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C’est l’affaire qui secoue l’été marseillais et interroge sur les pratiques clientélistes dans les cités. Le 8 juillet 2010, Sylvie Andrieux, 48 ans, députée socialiste des quartiers nord de Marseille, a été mise en examen par le juge d’instruction Franck Landou pour «complicité de tentative d’escroquerie» et «complicité de détournement de fonds publics». Quelque 740.000 euros de subventions de la région Paca auraient été versés à des associations fictives, entre 2005 et 2007, dans le cadre de la politique de la Ville, dont Sylvie Andrieux était alors vice-présidente. Le tout sur fond de campagne électorale pour les législatives de 2007, «dans un but que l’on peut qualifier d’électoraliste et de clientéliste», a déclaré au juge son ancien assistant parlementaire, Roland Balalas, un fonctionnaire territorial lui aussi mis en examen.

Selon Le Point, qui s’appuie sur des comptes-rendus d’audition, «loin d’avoir servi à des actions d’insertion, ces sommes ont été détournées et leur trace se perd dans un labyrinthe de retraits d’espèces, de fausses factures et de dépenses personnelles – des ordinateurs jusqu’aux voitures de luxe.» Et l’hebdomadaire de citer un animateur de plusieurs associations fantômes, Benyoub Same: «En contrepartie des subventions, je m’étais engagé auprès de Roland (Balalas) à être disponible lors des élections sur le secteur: cela signifiait amener des gens aux meetings de Sylvie (Andrieux), faire de la propagande pour elle, ce genre de trucs.» C’est un important retrait d’argent liquide, effectué en 2007 par le responsable d’une de ces associations, qui a alerté Tracfin, l’organisme gouvernemental chargé de la lutte contre le blanchiment. 

Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a depuis retiré sa délégation à Sylvie Andrieux et la région s’est constituée partie civile. L’élue, également conseillère municipale et communautaire, a démissionné du conseil régional, officiellement pour cumul de mandats. Vingt-deux personnes, dont trois cadres de la région, Jules Nyssens, ex-directeur des services généraux, Franck Dumontel, ex-directeur de cabinet de Michel Vauzelle, et plus récemment Guillaume Lalange, ex-directeur de l’aménagement du territoire, ont déjà été mis en examen dans ce dossier ouvert pour «détournement de fonds publics».

clip_image002Le parti socialiste marseillais, déjà gêné aux entournures par une enquête judiciaire sur les marchés de traitement des déchets qui vise directement Alexandre Guérini, le frère du président PS du Conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini, crie à la tentative de «diversion» face à l’affaire Woerth/Bettencourt. Et rappelle la présomption d’innocence. «A travers Sylvie Andrieux, on veut essayer de déstabiliser le système des 13e et 14e arrondissements et le président du Conseil général, Jean-Noël Guérini, qui est le seul à pouvoir gagner cette ville en 2014 et la remettre en ordre de bataille», soutient mordicus Jean-David Ciot, premier secrétaire fédéral délégué dans les Bouches-du-Rhône.

Pas question donc de laisser tomber le soldat Andrieux, rouage socialiste indispensable dans les quartiers nord. «Ce n’est pas tout à fait un hasard si, lors du conseil municipal du 12 juillet, quatre jours après sa mise en examen, c’est Sylvie Andrieux qui a défendu la position du PS sur les problèmes relatifs au stade Vélodrome», glisse François-Noël Bernardi, avocat de l’élue, et par ailleurs président du groupe socialiste à la communauté urbaine de Marseille. A droite, le député UMP Renaud Muselier vise plutôt Michel Vauzelle, à la tête de la région. Il s’étonne que «la mise en examen de plusieurs cadres du conseil régional, dont l’ex-directeur de cabinet du président et une élue de haut niveau, n’ait pas entraîné l’audition du président de cette institution».

Fille de l’ex-sénateur Antoine Andrieux, Sylvie Andrieux, qui, petite, «sautait sur les genoux de Gaston Defferre» raconte un élu marseillais, est une figure incontournable des quartiers nord, où le parti socialiste s’est encore taillé un beau succès aux dernières élections régionales (plus de 50% des voix dans les 13e et 14e arrondissements). «Alors que l’affaire Andrieux avait commencé à émerger et qu’on parlait aussi de l’affaire Guérini, il n’y a pas eu de renversement de l’électorat de gauche sur ces quartiers, même si le Front national a doublé ses scores des municipales de 2008, passant de 12% des voix à 26%», constate, dépité, Stéphane Ravier, élu municipal et régional FN. 

«Un sport marseillais»

Au milieu des barres d’immeubles de sa circonscription, Sylvie Andrieux a ses détracteurs et ses défenseurs. «Bien fait pour elle, elle arrosait tout le monde dans les quartiers, les associations comme les gens influents», lance un éducateur de rue des quartiers nord. «Financer massivement les associations des quartiers lors des campagnes est un sport marseillais, car les associations ont un grand pouvoir, certaines conduisent même les gens au bureau de vote, explique un directeur de centre socioculturel. Mais c’est injuste que seule Sylvie Andrieux soit mise en cause, car ici tous les élus, à gauche comme à droite, fonctionnent comme ça.»

Dans ces quartiers socialement dévastés où la proportion de logements sociaux dépasse parfois les 50%, tous, adversaires comme alliés, saluent cependant une élue «de terrain», présente aux réunions associatives comme sur le terrain de boules, «parfaite connaisseuse des problèmes de sa population» selon Jean-David Ciot. «Sylvie Andrieux, on la connaît depuis qu’on est tout petits; elle et son staff sont très présents», reconnaît Mohammed Ben Saada, un des fondateurs de l’association «Quartiers Nord-Quartiers Forts», qui a grandi dans une cité marseillaise. «Sylvie Andrieux est là à chaque action, elle fait partie de ceux qu’il faut remercier trois fois par jour», remarque Fadela El Miri, directrice d’un centre social à Aix-en-Provence et porte-parole départementale du NPA. Vartan Arzoumanian, membre du conseil fédéral du PS13 et ancien collaborateur de la mairie du 13/14, se demande lui «quand elle voit sa fille: même le week-end, elle fait des réceptions le matin, l’après-midi elle est sur le terrain, et le soir il y a toujours une paella ou quelque chose».

Stéphane Mari, élu du même secteur, raconte sur son blog qu’en 2002, Sylvie Andrieux tractait encore la veille de son accouchement, et qu’à peine sorti du bureau du juge Franck Landou, le 8 juillet 2010, «elle était déjà sur le terrain pour participer à la mairie du 13/14 à la réception des troupes de danse folklorique». Et quand mi-juillet, on cherche à la joindre pour les besoins de cet article: «Elle est sur le terrain», répond invariablement son secrétariat…

Auteur d’une thèse sur la régulation clientélaire à Naples et à Marseille, le sociologue Cesare Mattina a accompagné Sylvie Andrieux lors de la campagne des législatives de 2007. «Ces élus font un travail de forcené, et comme, grosso modo, il y a des élections tous les deux ans, du fait du cumul des mandats et des emboîtements de circonscription, ils sont en campagne électorale permanente, pour soi ou pour les copains», explique-t-il. «Sylvie Andrieux avait une grosse machine électorale avec plusieurs assistants parlementaires, plus, grâce au cumul des mandats, des gens de la région et du parti qui aident: soit une soixantaine de personnes à son siège, décrit le maître de conférences à l’université Aix-Marseille I. Et comme la circonscription est finalement assez réduite (environ 100.000 habitants), on peut espérer toucher tous les électeurs.»

Ainsi, en 2002, compte tenu des faibles taux de participation dans ces quartiers, il a suffi de 14.405 votes en faveur de Sylvie Andrieux (soit 63% des suffrages exprimés mais seulement 13% des habitants de la circonscription) pour l’expédier à l’Assemblée nationale*. Sylvie Andrieux, c’est «peut-être une dérive d’un système poussé à l’extrême», estime Cesare Mattina.

*Gouverner Marseille, Enquête sur les mondes politiques marseillais, Michel Peraldi et Michel Samson, 2005.

«Redistribution de la manne légale»

Pour les responsables associatifs et travailleurs sociaux rencontrés, la mise en examen de Sylvie Andrieux n’est que «l’arbre qui cache la forêt». «Ce n’est pas un phénomène Sylvie Andrieux, c’est collectif, détaille le directeur de centre socioculturel déjà mentionné. Quand un quartier commence à être agité, on voit débarquer les élus et les subventions. Des grands caïds de quartier montent une association, obtiennent des financements démesurés par rapport à leur action, gardent l’argent pour eux et, en échange, maintiennent la paix sociale.»

Certains font le rapprochement avec la gestion communautariste des quartiers. «A travers les associations, on essaie d’attirer les têtes de pont des quartiers, les “sages”, de la même façon que, sur Marseille, les politiques cherchent à approcher les six ou sept patriarches censés parler au nom de la communauté comorienne, qui représente tout de même 40.000 voix», décrypte Fadela El Miri.

Le schéma clientéliste est intimement lié au manque de ressources de ces quartiers, qui concentrent la moitié des personnes en difficulté du département des Bouches-du-Rhône. L’anthropologue Michel Peraldi, co-auteur de Gouverner Marseille, y voit une «forme de redistribution de la manne légale» qui perdure au-delà du defferrisme. «Malgré la crise, les élus gardent des marges de manœuvre, ils s’adaptent, c’est chaque fois une nouvelle façon de ruser avec la loi: quand on avait des logements sociaux, on les distribuait; aujourd’hui, on a des subventions de la politique de la ville, on les distribue», estime-t-il.

Mais pour Mohammed Ben Saada, «ce clientélisme est la réponse la plus détestable à la misère, c’est: “Tu milites pour moi et je te donne un emploi ou une subvention en échange.”» Rejetant par principe «le schéma qui lie de façon quasi contractuelle l’association subventionnée au financeur», l’association «Quartiers Nord-Quartiers Forts» refuse donc carrément toute subvention.

L’avocat de Sylvie Andrieux, François-Noël Bernardi, ne voit pas où est le problème. «Le fait de s’occuper plutôt de sa circonscription que d’une autre n’est pas une infraction pénale, dit-il. Quand un premier ministre transfère une école dans sa circonscription (sic), personne ne s’imagine que c’est une infraction pénale.»  Et subventionner des associations décrites comme des «coquilles vides»? «Les gens ne consultent pas nécessairement le Journal officiel (où sont publiées les déclarations en préfecture des associations, ndlr)», répond de façon elliptique François-Noël Bernardi.

«Sortir de l’allégeance politique»

Lors de son passage à la direction générale des services du conseil régional entre 2005 et 2008, Jules Nyssens, depuis en poste à Montpellier, assure pourtant avoir mené «une réforme pour assurer la traçabilité des subventions», après avoir «pris conscience de l’importance du soutien régional au secteur associatif».

La région Paca traite chaque année 12.000 dossiers associatifs, pour 200 millions d’euros de subventions (dont 8 millions dans le cadre de la politique de la Ville). Un tissu associatif exceptionnel, qui explique peut-être pourquoi la ville a été épargnée par les émeutes urbaines de 2005, comme aiment à le rappeler les élus marseillais, mais qui peut masquer nombre de dérives. Jules Nyssens a donc créé une inspection générale «qui n’existait pas auparavant». «Mais il faut constater que des choses sont passées à travers les mailles du filet et qu’il y a eu détournement de fonds», doit reconnaître le fonctionnaire, qui se rappelle avoir signé la première lettre de constitution de partie civile de la région fin 2007.

«On sait que Madame Andrieux sollicitait des accélérations dans l’instruction de certains dossiers: en tant qu’élue, c’était son droit et même son devoir, explique quant à lui l’avocat de Jules Nyssens, Michel Pezet, par ailleurs élu socialiste au département des Bouches-du-Rhône. Mais une fois la subvention votée, ce n’était pas elle qui assurait le suivi des règlements des factures.» Or selon lui, c’est précisément «au moment des règlements des factures suspectes que ça coince». Une façon de rejeter la responsabilité sur les services administratifs régionaux, ligne de défense adoptée depuis le début par Sylvie Andrieux. «Financer une association dont les responsables détournent l’argent, ça peut arriver au meilleur, soutient également Jean-David Ciot. C’est le système de contrôle qui défaille, pas l’élu.»

A la région c’est une nouvelle élue, issue du monde associatif, Fatima Orsatelli qui a hérité de la délégation à la Ville après les élections de 2010. Resserrement des services, développement d’une vraie politique d’évaluation «pour voir l’impact réel des associations sur la population», multiplication des audits, critères d’attribution «les plus clairs possibles»: Fatima Orsatelli assure vouloir mettre en œuvre «une lisibilité et une transparence totale» dans le financement des associations. «Il faut sortir d’une relation sous forme d’allégeance politique qui a pu être perçue comme une forme de clientélisme, à droite comme à gauche», défend celle qui reconnaît qu’il y a eu dans le passé «quelques dérives de personnes, mais concernant une minorité d’associations».

Dans la circonscription de Sylvie Andrieux, les associations ont directement subi le contre-choc de l’affaire. Elles ont rencontré, en 2009, de forts retards d’instruction des demandes de subvention par des services régionaux, soudain devenus très pointilleux. «Avant il n’y avait pratiquement pas de comité de suivi: aujourd’hui, la région fait marche arrière et semble vouloir se recentrer sur de grosses associations, plus professionnelles et solides, analyse le directeur de centre socioculturel interrogé. C’est une évolution plutôt saine.» C’est toutefois bien la crise qui pourrait avoir le dernier mot.

«Du fait du contexte de restriction budgétaire, les collectivités ne peuvent plus autant dépenser, analyse Cesare Mattina. Une fois très fortement diminuée la distribution d’emplois et de logements, on est passé au fonctionnement en associations et maintenant même ce volet commence à se refermer.» Un mouvement que le judiciaire ne ferait qu’accompagner.

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