« Pour gagner à nouveau, la droite doit renouer avec la souveraineté populaire »

Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau sortent d’une réunion avec Emmanuel Macron après la nomination d’un premier ministre, le 10 octobre. Stephanie Lecocq / REUTERS

Au lendemain de la débâcle du parti Les Républicains à l’élection présidentielle de 2022, nombreux étaient ceux qui prédisaient la fin de la droite de gouvernement. Le 8 juillet 2024, en pleine tempête interne causée par l’alliance décidée par Éric Ciotti et alors que l’effectif parlementaire était considérablement réduit, Bruno Retailleau actait la mort de la marque LR et annonçait que tout était à rebâtir sur ses cendres.

Toutefois, l’année plutôt réussie de ce dernier en tant que ministre de l’Intérieur, son élection triomphale à la tête de sa formation politique et le labour infatigable de certaines figures de proue (François-Xavier Bellamy ou David Lisnard) semblent ranimer un parti que beaucoup croyaient moribond. Après tant de déceptions et de désillusions, le travail de clarification suffira-t-il à faire revenir l’électeur de droite ? Sa hantise est de revivre l’espérance trompée de 2007. Cette année-là, j’avais 17 ans et, comme beaucoup, j’ai été enthousiasmé par la campagne et l’élection de Nicolas Sarkozy. Mais depuis bientôt 20 ans, nous sommes nombreux à partager le sentiment que « le vaste mouvement de dépossession (politique, économique, sociale et identitaire) » continue de s’aggraver et que la droite en porte une grande responsabilité, comme le souligne judicieusement Jean-Thomas Lesueur dans une note de l’Institut Thomas More. Entre-temps, une partie des « déçus de la droite » s’est tournée vers une offre démultipliée qui semble parfois plus intègre et volontariste.

Dans L’heure des prédateurs, l’essayiste Giuliano da Empoli — tout en soulignant sa consternation devant la déconnexion des Démocrates américains au sortir d’un dîner à la Maison-Blanche —, range indistinctement dans la catégorie de « prédateurs » tous les nouveaux intervenants de la scène politique : les seigneurs de la tech, les leaders populaires/populistes et autres personnalités au discours démagogique ou complotiste. En jetant le bébé populisme avec l’eau du bain démagogie, da Empoli reproduit l’erreur persistante que commet l’extrême-centre dépolitisé depuis des décennies : diviser le monde entre les Borgia cyniques et la social-démocratie hors d’âge.

La présidente du Conseil italien depuis trois ans, Giorgia Meloni, appartient-elle, par exemple, à la catégorie des « prédateurs » ? Accusée de dérive droitière par une certaine presse européenne à son arrivée au pouvoir, elle se voit aujourd’hui créditée d’un « parcours sans faute » par Le Figaro. Et le président argentin, Javier Milei ? Ses rouflaquettes de général d’Empire, sa tronçonneuse fendant l’air et ses « Afuera ! » théâtraux promettant une cure d’austérité, avaient soulevé un vent de frayeur au sein de l’élite européenne. Pourtant, Le Point égrène aujourd’hui « les preuves de son succès économique en Argentine ». Nous aurions tort de continuer de confondre populisme et démagogie. Il s’agit d’un réflexe anti-démocratique et déconnecté qui finit par rendre suspect toute représentation d’une expression populaire.

Le succès fulgurant de la pétition lancée par Philippe de Villiers en septembre dernier (près de deux millions de signatures en deux semaines) montre à quel point le pays est mûr pour ce type d’initiative. Aymeric de Lamotte

L’essayiste Raphaël Doan rappelle que la « démocratie libérale » est en quelque sorte un oxymore et que « la grande peur des penseurs libéraux au XIXe siècle, c’est la démocratie ». Il précise qu’il y a une tension historique entre le libéralisme qui défend l’individu et la démocratie qui donne la primauté à la majorité, mais que, face aux totalitarismes, un équilibre a pu être trouvé. Aujourd’hui, cet équilibre est fragilisé. En effet, l’intellectuel Pierre Manent éclaire notre modernité tardive en constatant que « le général est devenu l’ennemi du commun ». Il signifie par-là que les libertés individuelles s’émancipent de plus en plus du cadre commun. La gestation pour autrui en est un exemple éloquent : le désir d’enfant entre en collision avec le principe civilisationnel bimillénaire de la non-marchandisation du corps humain. Une certaine oligarchie technocratique se méfie de la vox populi alors que les plus grands errements au long du XXe siècle ont été défendus par les plus fins esprits. L’avertissement de Tocqueville sur la tyrannie de la majorité a profondément imprégné les esprits au point qu’on tient désormais le peuple à distance, comme un animal imprévisible.

Prenons la question de l’immigration. Le 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel avait jugé irrecevables la quasi-totalité des articles issus de la droite sénatoriale à propos de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, votée le lendemain. Plusieurs dizaines d’éminents juristes ont noté que cette irrecevabilité formelle n’était absolument pas justifiée car les articles censurés avaient un lien direct ou indirect à l’immigration, ainsi que l’oblige le prescrit légal. À composition politique inchangée, il y a fort à parier que toute autre proposition législative ambitieuse sur le sujet connaîtra le même sort. Or, les Français, eux, ne sont pas divisés sur cette question : sondage après sondage, une majorité nette réclame une politique migratoire ferme et cohérente. Le peuple souverain — et les représentants qu’il élit — est dès lors privé du pouvoir de conduire la marche de son destin. Pierre Manent le résume avec justesse : « Le régime représentatif dans lequel nous sommes supposés vivre encore a été largement privé de ses moyens de gouvernement par les hautes juridictions, non seulement européennes mais aussi et d’abord nationales. »

Comment la droite peut-elle réagir ? Continuer de réclamer un référendum sur cette question. Le succès fulgurant de la pétition lancée par Philippe de Villiers en septembre dernier (près de deux millions de signatures en deux semaines) montre à quel point le pays est mûr pour ce type d’initiative.

L‘article 11 de la Constitution permet déjà, sous certaines conditions, de soumettre à référendum les aspects économiques et sociaux de la question migratoire. C’est un premier levier. On objectera aussitôt que cela ne passera pas le contrôle idéologique du Conseil constitutionnel. Mais, Bertrand Mathieu, spécialiste de droit constitutionnel, professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, précise pourtant que cette juridiction n’est pas compétente pour contrôler la constitutionnalité d’un texte adopté par référendum. Dans Faire de la France une démocratie, Raphaël Doan propose même de réviser l’article 11 pour y inscrire clairement que les projets de loi adoptés par référendum « ne soient pas soumis à l’examen du Conseil constitutionnel ». Il ajoute à juste titre qu’un excès de contre-pouvoirs finit par paralyser l’action publique. L’histoire fournit un précédent : en 1962, Charles de Gaulle avait bravé l’avis du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel pour imposer le référendum instaurant l’élection du président au suffrage universel.

La droite actuelle en aurait-elle encore le cran ? Si elle osait s’engager dans cette voie, elle serait immédiatement invectivée et conspuée — accusée de « dérive autoritaire », de « violer l’État de droit », etc. —, tout comme de Gaulle à l’époque. Mais c’est justement là qu’il lui faudrait tenir bon si elle ne veut plus décevoir. On déplore sans cesse que la politique soit phagocytée par le juridique et que la « force » — pris ici au sens de l’audace — ait déserté le continent européen. Voilà une occasion historique de prouver le contraire et de regagner la confiance d’un peuple lassé d’être tenu à l’écart.

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