Éditorial


N° 50

Retour  OFMagazine

 Institutions : ni la IVème, ni la VIème
promet Nicolas Sarkozy dans son discours d'Epinal

17 juillet 2007

n°26 du 23/03/2005

© gaullisme.fr

 

Epinal, 29 septembre 1946 : discours du général de Gaulle sur les institutions

 

 

Dans son discours d'Epinal, Nicolas Sarkozy trace la feuille de route de la "commission de modernisation des institutions" dont il a confié la présidence à Edouard Balladur et à laquelle Jack Lang est invité à participer.

 

 

Dans une très longue introduction, le Président de la République dit son attachement aux fondamentaux de la Vème République. "…Les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines… Les institutions, c'est le pont entre le passé et l'avenir." La référence au Général est omniprésente. L'héritage de la Vème République paraît être le fil conducteur de son allocution.

Il précise également, avec bon sens et en se référant à l'histoire, que des institutions non adaptées peuvent être à l'origine de drames nationaux. "Mandel, De Gaulle, Raynaud ont tout essayé. Aucun n'a été en mesure de faire partager ses vues. Le régime était ainsi fait qu'il excluait toutes les intelligences lucides, tous les esprits visionnaires, tous les grands caractères. Le régime était ainsi fait que toutes les volontés se trouvaient broyées et que l'impuissance était la règle" rappelle-t-il à propos de la période d'avant-guerre 39-45.

La 4ème république coupable

Il condamne sans retenue les méfaits de la république précédente. "Il faut avoir la mémoire bien courte ou la haine viscérale de l'Etat et de la République pour éprouver de la nostalgie pour ce régime d'impuissance où les gouvernements étaient renversés aussitôt qu'ils étaient formés." Et il en va de même pour le régime d'assemblée.

Un état fort

Nicolas Sarkozy utilise plus de 40 fois le terme "Etat". Etat et modernisation, Etat et social, Etat moteur des réformes, Etat et intérêt général, Etat contre les corporatismes et féodalités…" On peut être aussi libéral que l'on veut, on peut attacher beaucoup de prix à l'initiative individuelle, au marché, à la concurrence. On peut placer la liberté au-dessus de tout. On peut vouloir que la société civile s'affirme. Mais on ne peut pas imaginer la France sans un Etat fort. Il y a des pays comme les Etats-Unis où c'est la nation qui a fait l'Etat. Il y a des pays comme la France où c'est l'Etat qui a fait la nation. Il y a en France un rapport à l'Etat qui étonne une grande partie du monde. Il y a en France une attente vis-à-vis de l'Etat qui vient de l'histoire et de la culture, qui est inscrite dans la mémoire, qui est inscrite dans l'inconscient collectif et qui est pour beaucoup d'étrangers parfaitement incompréhensible" déclame-t-il avec conviction.

Le peuple souverain

Etonnant ! Le Président affirme être attaché à l'expression populaire. Citons-le : "En France, les valeurs de la République et la conception de la nation créent un penchant pour la démocratie directe plus marqué que dans les autres grandes démocraties où l'on attache plus de prix aux corps intermédiaires et à la démocratie représentative. On peut s'en réjouir ou au contraire le déplorer, mais c'est cela l'identité de la France. C'est cela l'héritage de l'histoire de France." Bravo ! Mais qu'en est-il du traité européen simplifié ? En application du principe qu'il énonce, pourquoi ne pas donner la parole au peuple ? Que retient-il du référendum du 29 mai 2005 et du NON largement majoritaire ?

Modifier la constitution… mais attention…

"Je ne suis pas sûr que dans le passé on n'ait pas déjà pris trop de libertés avec notre Constitution sans en peser toutes les conséquences." affirme le chef de l'Etat. De quoi parle-t-il ? Du quinquennat ? Si c'est le cas, pourquoi ne propose-t-il pas une durée du mandat présidentiel plus longue que celle des députés ? Nous reviendrions ainsi aux principes fondamentaux de la république gaullienne à laquelle il se réfère constamment. Stabilité et solidarité gouvernementale sont les maîtres mots de notre constitution. Il faut les conserver.

…de ne pas déraper

Sa proposition présentée par les différents médias comme anodine concernant l'intervention formelle du Président devant le parlement[1] est, en réalité, l'axe structurant d'une réforme fondamentale de notre constitution.

Sous le prétexte "d'expliquer son action et … rendre compte de ses résultats", il déplace le centre de gravité de la responsabilité présidentielle du corps électoral (suffrage universel national) vers le parlement. Dangereux ! Dans l'état actuel de notre constitution, rien ne s'oppose à ce que le Président s'adresse directement à la Nation entière, car c'est à tous les Français qu'il doit expliquer son action et rendre compte des résultats, et pas seulement tous les 5 ans lors de l'élection présidentielle.

Notons au passage que si le régime d'assemblée a reçu, à juste titre, sa part de critiques, Nicolas Sarkozy n'a fait que constater, à propos du régime présidentiel "que la France n'est pas prête à cette évolution et que les conditions ne sont pas réunies pour qu'un tel système fonctionne correctement." Cette réforme est en réalité la première marche y conduisant. La nomination d'Edouard Balladur à la présidence de la commission chargée de la modernisation de nos institutions et l'invitation faite à Jack Lang (qui vient de l'accepter*) d'y siéger ne sont pas de pure forme. Chacun sait leur attachement à la présidentialisation de notre constitution.

L'article 49.3 sur la sellette

Mais il existe une contradiction entre cette orientation et son revirement concernant la suppression de l'article 49.3 et sa volonté de conserver la possibilité au Président de dissoudre l'Assemblée Nationale. Pour nous, gaullistes de conviction, le pouvoir exécutif doit garder la main en cas de difficultés. L'article 49.3 et la dissolution, pour peu qu'ils soient utilisés à bon-escient, sont des outils indispensables à la stabilité gouvernementale et à la continuité de l'Etat.

Deux mandats, ou plus ?

L'élection présidentielle au suffrage universel mise en œuvre par le général de Gaulle en 1962 implique qu'il appartient aux seuls électeurs de déterminer qui assumera, pour la première ou pour la nième fois, la magistrature suprême. Faisons confiance au bon sens des Français. L'exemple américain doit rester dans notre mémoire. George W. Bush aurait-il été élu si Bill Clinton avait eu la possibilité de briguer un 3ème mandat ?

La proportionnelle … au Sénat ?

Nicolas Sarkozy accepte que la commission aborde la représentativité du parlement, mais il émet des réserves de poids : "Je suis pour le scrutin majoritaire qui permet de dégager des majorités stables pour gouverner". Pour légitimer, une fois encore, une éventuelle dose de proportionnelle au Sénat, il se sert du général de Gaulle. "Il y a un vieux débat sur le rôle du Sénat qui va et vient depuis que le Général De Gaulle l'a ouvert en 1969 ? Pourquoi nous interdirions-nous de reprendre ce débat ?"Ce faisant, il omet de rappeler que la réforme proposée en 1969 ne concernait pas l'introduction d'une dose de proportionnelle au Sénat, mais sa composition par une ouverture aux forces vives de la Nation - notamment aux milieux économiques et sociaux - et ses prérogatives.

La séparation des pouvoirs et la solidarité gouvernementale

Un point n'a cependant pas été abordé. Le non cumul des fonctions législatives et gouvernementales. Depuis plus d'un an, et à plusieurs reprises, a été évoqué le souhait de "banaliser" les nominations ministérielles. Comme sous les précédentes républiques, les députés nommés ministres retrouveraient automatiquement leur siège à l'assemblée en cas de démission ou de "licenciement". Tout serait permis, et la main mise des partis politiques sur le gouvernement totale, comme au bon vieux temps où chaque député était ministrable tant les gouvernements se succédaient. La solidarité gouvernementale volerait en éclats.
 

Les gaullistes de conviction ont un devoir de veille et de vigilance. Ils ne peuvent laisser glisser la constitution gaullienne vers des transformations qui l'anéantiraient. "Les institutions ne valent qu'au regard de l'identité des peuples pour lesquels elles sont faites" a admis le nouveau Président plagiant, nous ne pouvons l'en blâmer, le Général qui déclarait, au cours du Conseil des Ministres du 19 septembre 62 : "Le régime présidentiel à l'américaine n'est pas un régime pour la France".

Alain KERHERVE


[1] Assemblée Nationale et Sénat

* Dès sa nomination, J. Lang a lancé une offensive pour un régime présidentiel