Renaud Girard : «La Troisième Guerre mondiale sans le vouloir?»

Renaud Girard, Le Figaro

L’Histoire a prouvé que mener une politique extérieure avec des considérations de politique intérieure est d’une extrême dangerosité.

Traversons-nous aujourd’hui, dans le détroit de Formose, une phase géopolitique dangereuse, qui rappellerait celle de l’Europe balkanique du début de l’été 1914 ? La Chine, les États-Unis et Taïwan avancent-ils désormais, comme des somnambules, vers la confrontation armée, à l’image de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie, alliée de la Russie, après l’attentat de Sarajevo?

On peut se poser la question quand on constate les postures inutilement risquées choisies d’abord par les Américains, puis par les Chinois.

L’Américaine Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants, avait-elle vraiment besoin de se rendre à Taïwan le 3 août 2022, sachant que cette visite exaspérerait le pouvoir communiste chinois ? N’était-il pas suffisant, pour le moral de la courageuse démocratie taïwanaise, que Joe Biden ait, dans une conférence de presse tenue à Tokyo le 23 mai 2022, assuré que l’Amérique interviendrait militairement si l’île était agressée par les forces de la Chine communiste ? Après les protestations de Pékin, Washington avait précisé que rien n’avait changé au statu quo durant depuis 1978 : l’Amérique ne reconnaissait officiellement qu’une seule Chine mais Pékin s’abstenait de prendre des mesures coercitives envers Taipei. Était-il nécessaire que Mme Pelosi, bête noire des Chinois communistes, en rajoute ? Quels avantages diplomatiques offre donc la politique du chiffon rouge sous le nez du taureau ?

Trois mois avant des élections de mi-mandat (du premier mardi de novembre), qui s’annoncent extrêmement difficiles pour le Parti démocrate américain – qui pourrait perdre sa majorité à la Chambre des représentants au profit du Parti républicain -, on peut comprendre que Mme Pelosi ait voulu faire parler d’elle. Mais choisir une démarche diplomatique aussi provocatrice était, de sa part, irresponsable.

La surréaction chinoise n’a pas été davantage responsable. L’APL (l’Armée populaire de libération) a orchestré des manœuvres aériennes et navales à balles réelles dans le détroit de Formose, parfois bien au-delà de la ligne médiane entre la Chine continentale et l’île. Ce sont les manœuvres navales les plus importantes que la Chine communiste ait jamais organisées autour de Taïwan. Il est vrai que, ce même mois de novembre 2022, aura lieu le 20e congrès du Parti communiste chinois. Le président Xi Jinping compte y briguer un troisième mandat et veut y apparaître en homme fort. L’exigence du rattachement de l’île de Taïwan à la mère patrie continentale est sans conteste partagée par la très grande majorité des Chinois.

Rien n’est plus dangereux qu’une politique étrangère menée sur des considérations de politique intérieure

Les principales motivations de Nancy Pelosi et de Xi Jinping sont actuellement de politique intérieure. Rien n’est plus dangereux qu’une politique étrangère menée sur des considérations de politique intérieure.

Dans la mesure où de nombreux navires de l’US Navy croisent dans les eaux internationales de cette partie de la mer de Chine, on a affaire à une situation explosive. Car on ne peut plus exclure un incident naval sino-américain, qui dégénérerait. Et, sous la pression médiatico-nationaliste, en Chine comme aux États-Unis, pourrait se créer une escalade que personne, bientôt, n’arriverait plus à arrêter. Après l’attentat du 28 juin 1914 contre l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, la presse viennoise avait jeté beaucoup d’huile sur le feu, sans mesurer les dangers encourus par le continent européen.

Il est dangereux, pour les Chinois comme pour les Américains, de toucher au statu quo de Taïwan. Il y a une ambiguïté stratégique : il faut la conserver à tout prix. Dans un article récent du National Interest, le professeur à Harvard Graham Allison, a souligné que si la politique somnambulique des gouvernements américain et chinois se poursuivait comme d’habitude, on aurait l’histoire comme d’habitude, c’est-à-dire la guerre. Le scénario de l’apocalypse n’est pas si difficile à écrire : la Russie se joindrait à la Chine et, par le jeu des alliances, nous aboutirions à une troisième guerre mondiale.

L’allumette chinoise est plus dangereuse que l’ukrainienne. Aussi horrible soit-elle, la guerre d’Ukraine reste encadrée par des bornes. Les Occidentaux ont dit que leurs forces n’entreraient pas sur le territoire de l’Ukraine agressée et qu’ils s’abstiendraient de lui fournir des armes qui pourraient atteindre le territoire de la Russie. Les Russes ont déclaré qu’ils n’utiliseraient pas leurs armes nucléaires, réservées pour le cas où un intérêt vital de la Russie serait menacé. En outre, l’ONU parvient à agir positivement sur le conflit, comme le montre le corridor céréalier entre Odessa et le Bosphore.

Hélas, de telles bornes n’existent actuellement pas en mer de Chine orientale. Ce n’est pas parce que le monde a vécu pendant soixante-douze ans sans affrontement direct entre grandes puissances que cette paix nucléaire va se prolonger mécaniquement.

3 commentaires sur Renaud Girard : «La Troisième Guerre mondiale sans le vouloir?»

  1. Paul Agratey // 6 septembre 2022 à 14 h 32 min //

    « Il est dangereux, pour les Chinois comme pour les Américains, de toucher au statut quo de Taïwan » !.., est ce à dire que la RPC n’a pas vocation historique à récupérer de droit l’Ile rebelle ?. Si la diplomatie ne marche pas et que l’objectif des Américains est de systémétiquement entraver la Chine pour maintenir à tout prix leur domination mondiale, que reste t’il pour résoudre le « problème » ?, l’usure ?, mais la patiente Chinoise à ses limites; la force ?, c’est sans doute ce que les Américains souhaitent avant tout pour battre militairement les Chinois dans leur propre zone d’influence immédiate, avec la même logique que celle employée en Ukraine vis à vis de la Russie. « On peu condamner celui qui déclenche une guerre mais on doit beaucoup plus condamner encore celui ou ceux qui la rende inévitable », le cas du conflit Ukrainien est exemplaire.

  2. Excelent article, je ne peux rien r’ajouter que feliciter l’auteur.

  3. Le risque politique existe depuis l’origine des temps et devient particulièrement dangereux lorsque tous les politicards trans horizon planétaire se prennent pour le Maître du Monde. mais comme disait Antoine de St Exupéry depuis son cockpit : Dans la vie deux choses sont simples, raconter le passé ou prédire l’avenir. Y voir clair au jour le jour est une affire beaucoup plus complexe.

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