« Plus on fait de concessions, plus le niveau de violence augmente et l’imbécilité qui va avec »

Entretien de Jean-Pierre Chevènement au journal « L’Opinion », propos recueillis par Marie-Amélie Lombard-Latune
jeudi 17 mars 2022..

  • L’Opinion : Gérald Darmanin arrive en Corse en annonçant que le gouvernement est « prêt à aller jusqu’à l’autonomie ». Est-ce un passage obligé ou une ligne rouge pour vous ?

    Jean-Pierre Chevènement : Nous assistons à un chantage permanent à la violence. Depuis 1975, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, y compris ceux auxquels j’ai appartenu, sont allés de reculade en reculade. Je déplore l’agression d’Yvan Colonna. Mais légitime-t-elle cette violence ? Les forces de l’ordre en paient le coût et non pas ces braillards plus ou moins appointés par l’Assemblée de Corse dont la présidente, Mme Maupertuis, a signé une tribune d’une insolence rare dans Le Monde. Je souhaite bonne chance à M. Darmanin même si évoquer « l’autonomie » n’aurait pas été ma manière de faire.
  • L’Opinion : Peut-on totalement fermer la porte aux demandes des nationalistes ?

    Jean-Pierre Chevènement : On leur a déjà beaucoup concédé ! L’Assemblée de Corse dispose d’immenses prérogatives, d’un budget considérable d’1,3 milliard d’euros pour 300 000 habitants. Valéry Giscard d’Estaing avait créé l’université de Corte où l’on façonne désormais cette jeunesse inconsciente que des idéologues poussent au premier rang des manifestations. Nicolas Sarkozy a organisé un référendum sur l’avenir des deux départements corses. La population a refusé leur disparition mais la collectivité de Corse, aux mains des nationalistes, les a absorbés…
  • L’Opinion : N’est-il pas cependant indispensable d’ouvrir des discussions sur le statut de l’île ?

    Jean-Pierre Chevènement : Les statuts, on ne les compte plus ! Prenons quelques exemples de demandes nationalistes. Ils revendiquent qu’un acheteur d’un bien immobilier soit titulaire d’un certificat de résidence. C’est la négation de l’égalité entre citoyens. Autre réclamation : que les prisonniers, condamnés pour l’assassinat du préfet Erignac, purgent leur peine dans la prison de Borgo qui est une passoire où les seuls vrais détenus sont les agents de la pénitentiaire qu’on doit protéger des agressions. Ils parlent aussi de «co-officialité» de la langue corse, ce qui aboutirait à réserver les emplois à ses locuteurs.
  • L’Opinion : Il n’empêche, c’est aussi le suffrage universel qui a reconduit une majorité nationaliste aux récentes élections…

    Jean-Pierre Chevènement : Le suffrage universel, c’est le jet de cocktails Molotov ? Ce sont aussi 120 000 personnes qui manifestaient au lendemain de l’assassinat de Claude Erignac. En Corse, les élus attendent des avancées qui vont dans leur sens et qui leur permettent d’aller contre la loi. Plus on fait de concessions, plus le niveau de violence augmente et l’imbécilité qui va avec. La France s’est-elle construite depuis des siècles sur la base de faiblesses ? Mon modèle, c’est plutôt Clemenceau.
  • L’Opinion : La menace par le FLNC de repasser à l’action, est une provocation ?

    Jean-Pierre Chevènement : Le FLNC avait annoncé en 2014 qu’il avait déposé les armes. Ce n’était, je le constate, que pour mieux les reprendre. Rien de bien surprenant.
  • L’Opinion : Y a-t-il eu des occasions de dialogue manquées ?

    Jean-Pierre Chevènement : Après l’assassinat du préfet Erignac, qui avait provoqué une commotion nationale — c’était la première fois qu’un préfet était tué depuis Jean Moulin… — tout le monde était prêt à purger l’abcès. On a assisté à une prise de conscience mais, très vite, sont apparues des inscriptions comme « Gloire à Yvan (Colonna) »…
  • L’Opinion : En 2018, votre présence en Corse au côté d’Emmanuel Macron était vue comme un message de fermeté. Comment jugez-vous l’action du gouvernement depuis ?

    Jean-Pierre Chevènement : Le gouvernement ne doit pas se laisser soumettre aux variations de l’opinion. Il lui appartient d’y résister. C’est encore possible. Mais, en général, depuis des décennies, l’Etat arbitre en faveur des nationalistes dont il a peur. Depuis ce déplacement en 2018, je n’ai pas eu l’occasion de reparler du sujet avec Emmanuel Macron. La situation est difficile. Des gamins de 15 ans arrivent à ébranler les structures de l’Etat. Où va-t-on ?
  • L’Opinion : A vous écouter, on se demande si, au fond, vous ne préféreriez pas l’indépendance à cette fuite en avant ?

    Jean-Pierre Chevènement : Si les Corses pouvaient prendre cette indépendance sans que cela ait de graves conséquences pour l’ordre public et la paix en France et en Méditerranée, cela pourrait se discuter. Mais il faut voir ce que cela signifierait pour les Basques, les Bretons, le Territoire de Belfort… où se lèverait le drapeau de la sédition. Un Etat, cela se maintient. Est-ce l’intérêt de la France de voir s’ériger une île mafieuse, lieu de tous les trafics ? Car les parrains corses ont montré qu’ils savaient toucher au sommet de leur art. Est-ce ce que nous souhaitons pour l’avenir ?
  • L’Opinion : En 1996, Raymond Barre avait eu cette formule : « Si les Corses veulent leur indépendance, qu’ils la prennent ! »…

    Jean-Pierre Chevènement : Si la question était posée en Corse par voie de référendum, je ne serais pas sûr du résultat. Encore faudrait-il qu’on précise bien que cette indépendance emporterait la fin de tous les crédits de la métropole. Il y a du bon sens chez nos concitoyens mais beaucoup d’irresponsabilité parmi les sphères du pouvoir et les médias. Une immense complaisance à tous les étages.

  • L’Opinion : Comment imaginez-vous la Corse dans quelques années ?

    Jean-Pierre Chevènement : Ce que je sais, c’est qu’elle évolue depuis près de 50 ans dans un sens que je déplore et que la manière dont les pouvoirs publics ont répondu à ces vagues de violence n’a pas permis d’y mettre fin. Je préconise donc un changement de méthode, en Corse comme ailleurs. J’ai passé une fois des vacances en Corse, en 1981. J’y ai rencontré des gens fort sympathiques mais qui n’étaient capables que de parler d’un seul sujet : la Corse, la Corse, la Corse. Et, quand on leur disait qu’il existait d’autres cieux, ils répondaient : « Oui, mais il n’y a qu’en Corse qu’on trouve un si beau soleil »…

3 commentaires sur « Plus on fait de concessions, plus le niveau de violence augmente et l’imbécilité qui va avec »

  1. Laurent Bouger // 29 mars 2022 à 11 h 07 min //

    Il rejoint Macron… Pourquoi ne suis-je pas surpris ?
    En bon socialiste il aura toujours trahi.
    Les élections approchent, jamais été aussi grotesques, et Macron sera ré-élu…
    La seule alternative gaulliste est l’union Dupont-Aignan, Philippot, Gallois.

  2. Quelqu’un qui sait de quoi il parle an ayant été le chantre de Il est interdit d’interdire!!!!

  3. Jean-Dominique Gladieu // 17 mars 2022 à 17 h 26 min //

    Visiblement JPC n’est guère informé de récents événements que connait la Corse !
    Ces derniers jours, ont eu lieu des manifestations émaillées d’incidents suite à la tentative d’assassinat dont a été victime Yvan Colonna.
    Même s’il déclare déplorer cette agression, JPC parle de chantage à la violence (sous-entendu de la part des nationalistes) alors qu’en l’occurrence la cause des incidents est à chercher dans l’incurie de l’administration pénitentiaire (c’est vraiment le moins qu’on puisse dire !) donc de l’état.
    Peut être les nationalistes parlent-ils un peu vite de « statu francese assassinu » mais « état français responsable », ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
    Etat français responsable de l’emprisonnement depuis 20 ans d’une personne contre laquelle l’accusation n’a pas été capable d’apporter la preuve de la culpabilité (sentence par ailleurs prononcée par un « tribunal » aux ordres composé de « magistrats » professionnels non issus du peuple mais désignés par la bureaucratie judiciaire).
    Etat français responsable de refuser la transfert des prisonniers corses dans une prison corse au mépris de la loi française qui permet ce transfert.
    Etat français responsable du non-équipement de la prison de Borgu en matière d’accueil des prisonniers catégorisés « DPS » (car si elle n’est pas équipée c’est parce que le ministère de la « justice » ne l’a pas équipée).
    Etat français responsable du maintien en « DPS » (jusqu’à ces jours-ci) d’Yvan Colonna et des autres condamnés de l’affaire Erignac alors que rien ne le justifie (ils sont au contraire considérés par l’administration pénitentiaire comme des détenus « modèles »).
    Etat français responsable de ne pas avoir assuré la sécurité d’Yvan Colonna à l’intérieur de la prison d’Arles et de l’avoir laissé se faire tabasser pendant près de 10 minutes sans qu’un agent de surveillance n’intervienne (c’est l’agresseur lui-même qui a prévenu l’administration).
    Etat français responsable de faire la sourde oreille aux revendications nationalistes alors que les 3/4 des élus à l’Assemblée de Corse sont des nationalistes (bonjour le respect du suffrage universel).
    Après, c’est un peu facile, monsieur JPC d’accuser les nationalistes de faire du chantage à la violence !

    Par ailleurs, JPC remet en cause la légitimité des nationalistes corses oubliant que ceux-ci sont à la tête des « institutions locales » depuis 2015, que 2 des 3 principales villes de Corse (Bastia et Porto-Vecchio) ont des maires nationalistes, que sur les 4 députés que possèdent la Corse 3 sont nationalistes, qu’aux dernières élections territoriales le mouvement nationaliste (toutes tendances confondues) a recueilli 70% des suffrages exprimés !
    JPC nie tout ceci par omission et ne retient que les « 120 000″ manifestants protestant contre l’assassinat du préfet Erignac (en divisant par 10, c’est à peu près ça !) ou le rejet du référendum de 2003 sur la collectivité unique. Précisons que l’assassinat du préfet Erignac a été en son temps condamné par les nationalistes (donc parmi les manifestants, il y avait des nationalistes même s’il n’y avait pas qu’eux). Quant au référendum de 2003, le résultat avait été très étroit et si l’on doit désigner un vainqueur, ce serait plutôt le  » ni oui ni non » (abstentions + bulletins blancs et nuls) qui culmine à 40% des électeurs inscrits devant le « non » (31% des inscrits) et le « oui » (29%). Ecarts loin d’être significatifs entre le oui et le non (dans le cadre d’un référendum purement consultatif) qui justifient que 15 ans plus tard se repose la question de la collectivité unique.

    Enfin JPC semble avoir oublié que le FLNC a suspendu ses actions depuis 2014.

    Il fait partie de ceux qui il y a quelques années se rangeaient derrière le prétexte des attentats et de la non-représentativité des nationalistes pour justifier le refus du gouvernement de négocier.
    Aujourd’hui, les conditions d’une discussion sont réunies mais, à moins que Darmanin sorte une surprise de sa manche, il ne se passe toujours rien.
    Mais comme disent les anglais : wait and see !

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