Luc Ferry : « Pour le passe sanitaire, philosophiquement ! »

Ce passe, validé par un Parlement démocratique, est le seul et unique moyen, non seulement de s’émanciper d’un individualisme narcissique qui mine le civisme, mais aussi de retrouver nos libertés.

Je lis, parmi une pléiade d’autres articles à prétention philosophique dirigés contre le passe sanitaire, celui d’un certain Blanchet-Gravel publié dans Valeurs actuelles. Il commence par ces quelques lignes que je cite parce qu’elles sont typiques des discours antivax et anti-passe à prétention intellectuelle (rappelons que 92 % de ceux qui soutiennent les anti-passe sont antivax) : « Une civilisation qui nie la mort en vient à nier la vie” écrivait le poète et essayiste Octavio Paz. Avec l’avènement du nouvel ordre sanitaire, c’est exactement ce qui se déroule sous nos yeux. Nous entrons dans un monde aseptisé, hypnotisé par l’idéal du risque zéro où la prévention de tous les périls imaginables semble être devenue le projet ultime ». Suit l’inévitable litanie des arguments hostiles à ce passe sanitaire qui nous priverait de nos libertés fondamentales, marquerait une rupture dans notre civilisation, franchirait un pas vers la dictature, etc., etc.

Le couplet étant trop connu pour que je m’y attarde, je voudrais plutôt dire pourquoi, précisément en me plaçant d’un point de vue philosophique, je pense exactement l’inverse, à savoir que ce passe, validé par un Parlement démocratique, est le seul et unique moyen, non seulement de s’émanciper d’un individualisme narcissique qui mine le civisme, mais aussi de retrouver nos libertés. Pour commencer, je rappellerai quand même qu’à l’issue d’une année et demie d’une pandémie hélas encore en cours, notre pays a connu près de 120 000 morts, une situation que les anti-passe trouvent peut-être anodine, moi pas. D’abord parce qu’elle est inédite depuis la grippe espagnole, mais plus incompréhensible encore en raison des formidables progrès accomplis par une médecine dont on pensait qu’elle nous protégerait contre ce type de désastre. Ensuite, parce que même si je ne suis pas plus angoissé qu’un autre face à la finitude humaine, l’idée de mourir de cette saloperie après des semaines en réanimation ne m’enchante que moyennement. Bref, je ne vois pas bien en quoi le fait de prendre des mesures de bon sens pour éviter la catastrophe serait ridicule, liberticide ou pusillanime. En général, les fiers à bras en paroles ne sont pas plus vaillants que les autres lorsque la mort les rattrape.

Le fait qu’une majorité de nos concitoyens aient envie de vivre, qu’ils refusent de mourir parce que des inconscients les auraient contaminés au nom d’une conception infantile de la liberté comme droit absolu de se moquer d’autrui, me semble être non une régression, mais un formidable progrès, à la fois de l’intelligence, qui consiste à préférer la science à l’obscurantisme, et de l’éthique, qui nous invite à protéger les autres en présentant son passe dans un lieu public. Du reste, la sentence d’Octavio Paz n’a aucun rapport avec ce que l’article veut lui faire dire. Elle invitait au courage dans la lutte contre des totalitarismes qui firent des dizaines de millions de morts, pas au n’importe quoi face à une maladie mortelle.

Sans la vaccination et le passe […] nous plongerions à nouveau les soignants dans une situation insupportable sur le plan moral

Mais il y a plus encore. Même si on refusait les constats que je viens d’évoquer, rappelons que sans la vaccination et le passe qui, fort heureusement, nous y contraint dans les circonstances de la vie où nous risquerions de contaminer les autres, nous plongerions à nouveau les soignants dans une situation insupportable sur le plan moral: sans même parler de la quantité de stress qu’on leur infligerait, ils seraient obligés de retarder des diagnostics, ce qui, notamment dans le cas du cancer, entraîne tout simplement une augmentation des décès, mais aussi de différer des opérations, voire, le cas échéant, de choisir entre ceux qu’on va sauver et ceux qu’on va laisser mourir faute de places suffisantes! J’ai vu des médecins au bord des larmes et du désespoir face à cette alternative atroce. Or c’est très exactement à cela qu’aboutirait l’absence de passe sanitaire.

Selon les constitutionnalistes que j’ai pu consulter, la vaccination obligatoire pour tous risquait fort d’être retoquée par le Conseil d’État ou par le Conseil constitutionnel. Restait donc le passe, si du moins on voulait éviter les calamités que je viens d’évoquer. Mon seul regret, c’est qu’on ne l’ait pas mis en place plus tôt, en mai, comme nous étions déjà nombreux à le demander, afin que ceux de nos concitoyens qui se soucient de ne pas contaminer les autres ou qui du moins veulent profiter des vacances, aient le temps de se faire vacciner avant. Erreur de timing qui explique une grande partie des réactions d’hostilité. Cela dit, mieux vaut tard que jamais.

Luc Ferry. Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

7 commentaires sur Luc Ferry : « Pour le passe sanitaire, philosophiquement ! »

  1. A Messieurs Thévenet et Mazard :

    Il est très aisé d’affirmer que les scientifiques sont majoritairement d’accord sur la façon de traiter la pandémie. Disons plutôt que l’on entend plus certains que d’autres.

    Ce sur quoi, tous se rejoignent, c’est pour convenir que la vaccination n’en est encore qu’à son stade expérimental même si elle est déjà très pratiquée. Stade expérimental, cela signifie qu’il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions fiables et definitives.

    Enfin, pour faire primer la lumière sur l’obsucurantisme, nous sommes d’accord.
    Toutefois, la science n’est pas toujours « exact ».

    Pour conclure je rappelle que je suis vacciné (je fais même partie des premiers vaccinés) mais pour autant je ne prétends pas détenir la vérité et ne veux pas imposer mon point de vue à quiconque.

  2. christian mazard // 8 août 2021 à 14 h 43 min //

    Je partage le commentaire de Thierry Thevenet. Choisissons la science à l’obscurantisme. Pour ceux qui semblent l’avoir oublié je rappele que le gaullisme c’est aussi le progrè
    s.

  3. En réponse à Mr Gladieu, les scientifiques et nos Académies sont très très largement unanimes sur la façon de lutter contre la pandémie et les chiffres ne sont pas illusoires. Et Luc Ferry développe une analyse parfaitement pertinente.

  4. @ berlier
    C’est la dernière fois que j’accepte ce genre de commentaire. Gaullisme.fr n’est pas un réseau social. les commentaires doivent être raisonnables et pas « insultants ».

  5. Jean-Dominique Gladieu // 7 août 2021 à 12 h 16 min //

    Le texte de Luc Ferry commence par une affirmation dont on aimerait quand même savoir sur quoi elle se fonde : « 92% de ceux qui soutiennent les anti-passe sont antivax » !
    Un peu plus loin, il est question de 120.000 morts dues à la pandémie. Est-il établi que ces 120.000 décès sont le fait de la Covid ou bien nous trouvons-nous face à 120.000 personnes décédées en étant positives au virus ? Ce qui ne signifie pas tout à fait la même chose …
    Puis, vient l’inévitable recours à « l’intelligence qui consiste à préférer la science à l’obscurantisme ». Le problème, en l’occurrence, c’est que tous les scientifiques ne sont pas d’accord dans la manière de combattre la pandémie ! En effet, la médecine n’est pas une science exacte (existe-t-il d’ailleurs une science « exacte » ?).
    On passe ensuite de la science à la science-fiction par le biais de suppositions : si on n’avait pas fait ci ou ça, on aurait eu ceci ou cela. L’avantage avec ce genre discours, c’est qu’on ne risque pas d’être démenti car on ne saura jamais ce qu’il serait advenu si on avait fait telle ou telle chose plutôt que telle ou telle autre !
    De mes cours de Philosophie en « terminale », je me souviens que notre professeur nous enseignait que l’essence de cette discipline se situait dans le doute. Visiblement, Luc Ferry n’a pas l’air de beaucoup douter. Tant mieux pour lui s’il est sûr de son coup.
    Pour ma part, modeste citoyen, je me dis que la vaccination en étant encore en sa phase expérimentale et les spécialistes de la question n’étant pas unanimes il est peut-être un peu tôt pour tirer des conclusions définitives et obligatoires.
    Suis-je, par conséquent, un complotiste, un négationniste, un antisémite ?

  6. Pour contrer les maux qui nous assaillent le corona virus 19 en l’occurrence, tous nos politicards se gargarisent de mots qui entretiennent la confusion entre cause et conséquences. Le vaccin et peut-être un jour des médicaments sont des moyens qui permettent d’éviter les catastrophes sanitaires. mais le but demeure de tordre le cou à l’agent pathogène pour qu’il cesse de se propager. La limitation des mouvements de population, la désinfection , les mesures de décontamination et la détection massive précoce demeurent incontournables pour ne pas développer des foyers d’infection .Persister à vouloir faire cohabiter les contaminés les vaccinés et les porteurs sains relève de la « fumisterie » politicarde et conduit aux joutes oratoires insipides et sans effet sur la cause de nos malheurs !!!!

  7. Il est bon pour une retraite dans un EHPAD

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