« Le veto de la France au rachat de Carrefour est triplement justifié »

Le ministre de l’Économie des Finances Bruno Le Maire (à droite), aux côtés du Premier ministre Jean Castex. THOMAS COEX/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE En annonçant qu’il s’opposerait à un éventuel rachat de Carrefour par le québécois Couche-Tard, le ministre Bruno Le Maire a raison de soutenir que le géant français de la distribution est stratégique pour la souveraineté économique du pays, argumente Laurent Herblay.
Laurent Herblay est auteur du blog « gaulliste libre » depuis 2007, ancien porte-parole de Debout la République et de Nicolas Dupont-Aignan pour l’élection présidentielle de 2012.

Le procès en incohérence du gouvernement est légitime. Macron a laissé faire le rachat d’Alstom, d’Alcatel, de Technip, de l’aéroport de Toulouse par des chinois, s’apprêtait à vendre ADP et mène des négociations visant à démanteler plus encore EDF. Pourquoi devrait-il entraver le rachat de Carrefour, alors que les actionnaires du distributeur français sont d’accord?

Cela paraît d’autant plus incohérent que Macron fait le tour des investisseurs pour leur demander de choisir la France, en anglais dans le texte, que nous avons signé le CETA avec le Canada et qu’Airbus a pu racheter un programme de Bombardier (au soulagement de ce dernier). Comme le note Gaëtan de Capèle en une du Figaro, c’est une logique purement politique qui a présidé à ce choix: laisser faire était trop risqué électoralement à 15 mois de l’élection présidentielle, et alors que le bilan des opérations précédentes est si peu flatteur.

Car Carrefour n’est pas une entreprise comme une autre. Et ce n’est pas parce que «le jour où il n’y a plus de pâtes et de riz dans les rayons, comment on fait?», comme l’a dit de manière incongrue Bruno Le Maire. Le rachat de Carrefour ne menaçait en aucun cas l’approvisionnement des clients sur un marché concurrentiel dont le groupe ne détient que 20%. En outre, le nouveau propriétaire n’avait aucun intérêt à créer de tels problèmes.

En revanche, on peut trouver une logique de souveraineté économique pour s’opposer à ce rachat. Carrefour est la troisième entreprise du CAC40 par le chiffre d’affaires (plus de 80 milliards d’euros), et la seconde pour celui réalisé en France. Il n’est pas illégitime que le gouvernement songe à se saisir des dispositions légales mises en place en 2005, d’autant plus qu’elles ont été étendues à la distribution alimentaire par ce même gouvernement en 2019.

Et il est difficile de voir dans ce rachat le moindre intérêt pour la France. Dans de telles opérations, les centres de décision sont toujours en partie transférés de celui qui est acheté à celui qui achète. Il est illusoire de croire qu’il n’y aurait pas eu de conséquences sur l’emploi en France. Un tel rachat a un coût et il doit être rentabilisé, d’autant plus que Couche Tard est plus profitable que Carrefour et aurait exigé une convergence de la rentabilité de sa filiale, à la demande de ses actionnaires…

Et cette course à la rentabilité aurait été très dangereuse pour Carrefour, groupe passé de 30 à 20% du marché français en vingt ans pour avoir privilégié une rentabilité à court terme qui pénalisait son attractivité pour ses clients. En effet, le marché français est très atypique, ce qui est probablement mal compris outre-Atlantique, du fait de distributeurs indépendants non cotés plus agressifs sur les prix que Carrefour.

En clair, une telle opération aurait pu être extrêmement destructrice pour les deux distributeurs. D’abord, il faut rappeler que les grosses opérations de cette nature pénalisent en général l’activité du prédateur et de la proie, tant elles accaparent l’attention de leurs dirigeants, au détriment de la gestion des affaires courantes. De nombreux rapprochement ou rachats internationaux se sont terminés en fiasco, tel Daimler-Chrysler.

Nous sommes dans un pur intérêt spéculatif, permis par le différentiel de niveau entre les marchés européens et les marchés nord-américains

Il y avait une forte probabilité que la pression renforcée sur la rentabilité faite à Carrefour aurait fini par pénaliser les affaires du distributeur français, et que les actionnaires nord-américains de Couche Tard auraient fini par se lasser de la rentabilité plus faible de leur filiale, poussant dans un second temps à une revente de l’entité française… Bref, nous étions dans un cas où il était probable qu’un plus un n’aurait même pas fait deux, mais aurait pu, in fine, déstabiliser les deux parties.

Mais de cela, les actionnaires actuels de Carrefour ne se souciaient guère, voyant seulement l’occasion de vendre une partie ou la totalité de leurs positions à un bon prix par rapport au cours de l’action depuis près de quatre ans. Pour le coup, leur intérêt court terme était totalement décorrélé de l’intérêt à moyen terme de Carrefour, de Couche Tard ou de la France. Nous sommes dans un pur intérêt spéculatif, permis par le différentiel de niveau entre les marchés européens et les marchés nord-américains.

Il faut rappeler ici que les indices outre-Atlantique sont à plus du double d’avant le krach de 2008, quand les indices européens, et notamment en France, restent inférieurs à leur pic d’alors. C’est bien parce qu’il y a une bulle extravagante que Couche Tard peut envisager une telle opération (en étant sensiblement plus petit que Carrefour) et proposer un prix qui satisfait les actionnaires actuels de Carrefour.

Mais les intérêts d’une entreprise ne se mesurent pas uniquement aux intérêts de ses actionnaires du moment. Et cela est d’autant plus légitime pour une entreprise comme Carrefour, qui s’est aussi construite sur des autorisations d’ouverture données par la puissance publique. Nous sommes dans une activité très régulée, où l’État a permis à Carrefour de se développer, et ne permet pas une concurrence sauvage.

Cela justifie un mot à dire sur le rachat de la troisième entreprise du pays, surtout quand ce rachat est permis par la bulle financière nord-américaine, et ne sert que les intérêts des actionnaires, tout en présentant de très gros risques pour l’entreprise Carrefour. Les vingts dernières années ont trop souvent montré que ces fusions géantes internationales aboutissent à un échec lourd de conséquences pour la proie, qui finit souvent vendue à la découpe, comme on le voit avec Alstom.

Même s’il n’y a qu’un calcul politique, ce veto est positif. Bruno Le Maire gagnerait à souligner l’importance de Carrefour en France et les nombreux échecs de telles fusions, plutôt que de parler de risques d’approvisionnement en pâtes et riz. Si les actionnaires de Carrefour y perdent à court terme, les résultats actuels du distributeur indiquent qu’ils pourraient rapidement s’y retrouver. Et surtout, sera épargné à la France, à Carrefour et à Couche Tard, une opération dont le fiasco était probable.

 

2 commentaires sur « Le veto de la France au rachat de Carrefour est triplement justifié »

  1. Quelle est la situation financière de Carrefour? Pas très glorieuse actuellement et un manque évident de rentabilité dans ce créneau d’activités. Bruno Le Maire spécialiste des trous financiers à grande échelle sauvera-t-il Carrefour en mettant de l’argent au pot ?

  2. Carrefour, c justifié , mais Alstom, PSA , les autoroutes, etc.. ca l’aurait été aussi, de même que les transferts massifs de technologie à la Chine ,dictature communiste sanglante et dangereuse.

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