« La France a eu raison de dénoncer la complaisance de l’OTAN envers la Turquie »

La frégate Courbet qui est à l’origine des tensions entre la France et la Turquie sur le dossier Lybien. PATRICE COPPEE/AFP

En se retirant de l’opération Sea Gardian conduite par l’OTAN, afin de protester contre l’absence de réaction de l’organisation atlantiste dans le différend qui oppose Paris et Ankara, la France adopte une position ferme mais justifée par l’agressivité d’Erdogan, analyse Hadrien Desuin*.

  • Spécialiste des questions internationales et de défense, Hadrien Desuin est essayiste. Il a publié La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (éd. du Cerf, 2017).

FIGAROVOX.-La France a-t-elle eu raison de se retirer de l’opération Sea Guardian conduite en Méditerranée par l’OTAN, pour protester contre l’absence d’arbitrage de l’organisation atlantiste dans le différend avec la Turquie ?

Hadrien DESUIN.- La France sauve l’honneur après que l’OTAN a refusé de prendre son parti à l’occasion de cet incident naval entre la flotte française et turque, au large de la Libye. Cette suspension française est un mouvement d’humeur envoyé au grand frère américain qui donne de la consistance au constat de «mort cérébrale de l’OTAN» évoqué avant le dernier sommet de l’alliance à Londres en décembre dernier. C’est un geste qui peut, à moindre échelle évidemment, faire penser au retrait gaullien du comité militaire intégré de l’OTAN en 1966.

On lutte au Moyen-Orient d’abord et surtout contre le retour ou l’avancée de la Russie dans la région.

L’alliance atlantique (OTAN), qui reste sous tutelle américaine, déteste aborder le sujet de la Turquie, véritable tabou stratégique. Idéalement placée face au sud de la Russie et face à l’ouest du Moyen-Orient, la Turquie est une pièce maîtresse pour le Pentagone et l’OTAN. Ce positionnement explique la complaisance otanienne envers le soutien clandestin de Erdogan aux milices djihadistes et fréristes de Misrata et Tripoli. Il ne s’agit pas tant de soutenir à bout de bras le gouvernement fantoche de Fayez El Saraj ou de brider le maréchal Haftar à Benghazi, Washington a simplement peur que la Libye de Haftar devienne un protectorat russe en Méditerranée, sur le modèle syrien. Et donc Washington et l’OTAN laissent la Turquie grignoter du terrain en Syrie, en Irak et maintenant en Libye, sans jamais s’émouvoir de la dérive autoritaire et militaire en cours à Ankara.

Comment comprendre le silence de l’OTAN ?

L’ADN de l’OTAN, créée en 1949, est le refoulement stratégique de la Russie au plus loin, rien de plus. Les missions annexes de l’OTAN au Moyen-Orient peuvent tout à fait être interprétées comme un prolongement de cette mission principale : on lutte au Moyen-Orient d’abord et surtout contre le retour ou l’avancée de la Russie dans la région. La lutte contre le terrorisme est perçue comme assez secondaire, c’est un pion dans la lutte contre Moscou. Cette tendance s’est accentuée depuis que les pays de l’Est européen, autrefois sous la tutelle du pacte de Varsovie, ont intégré l’alliance atlantique et ont le regard fixé vers l’est. Le soutien tacite de ces derniers à la Turquie dans l’affaire du Courbet pourrait d’ailleurs avoir été négocié en échange de la validation par la Turquie des nouveaux plans de défense de l’OTAN, lesquels sont toujours en direction de la Russie. L’OTAN se trompe d’adversaire, en réalité. La Turquie est nettement plus dangereuse pour la sécurité de la méditerranée et de l’Europe que la Russie. C’est ainsi que la Turquie, sans que l’OTAN ne bouge, soutien des milices islamistes et djihadistes en Syrie et en Libye contre nos propres intérêts de sécurité (terrorisme au Sahel et immigration illégale).

L’hypothèse d’un conflit plus grave de la Turquie contre la France est à prendre très au sérieux.

La politique d’Ankara est-elle de plus en plus menaçante à l’égard des intérêts français ?

Ce n’est qu’un début car il est fort probable que la puissance militaire turque s’accroisse dans les années à venir. Pour le moment, Erdogan se contente d’attaquer des puissances faibles ou moyennes et ce n’est certes ni la première ni la dernière polémique entre les deux présidents français et turcs mais l’hypothèse d’un conflit plus grave de la Turquie contre la France est à prendre très au sérieux. L’affaire du Courbet est une alerte d’autant que Erdogan dispose de puissants relais d’influence dans l’hexagone mais aussi dans les Balkans. Le soutien de la France à la Grèce et à Chypre doit maintenant se renforcer.

La Turquie est-elle fondée à affirmer qu’elle est indispensable au bon fonctionnement de l’OTAN ?

Le rôle de la Turquie dans l’OTAN était de contribuer à la défense avancée de l’Europe. Dès lors que Ankara se retourne contre l’Europe, et en particulier contre la France, l’intérêt d’avoir la Turquie dans l’OTAN est nul. La Turquie est le cheval de Troie de l’OTAN. Voilà pourquoi, la France aimerait tant développer l’Europe de la défense, ce qui lui permettrait de s’émanciper de la puissance américaine mais aussi de la menace turque. Hélas, elle est bien seule.

 

6 commentaires sur « La France a eu raison de dénoncer la complaisance de l’OTAN envers la Turquie »

  1. Jean-Dominique Gladieu // 23 juillet 2020 à 9 h 30 min //

    Toujours la même question qui se pose : que faisons-nous encore dans l’OTAN ?

  2. Complaisance

    Il y a l’ America First de Trump
    Dans ce cas, il y a aussi la France First et à ce titre la France n’a pas à être la filiale des Etats – Unis, la succursale de l’Otan, et le grossiste en courbettes de la Turquie.
    Rf

  3. Pour le Général, l’Europe , c’était la France et l’Allemagne, le reste n’était que de la « salade ». Les temps ont changé, mais il serait opportun de remettre les pendules à l’heure.

  4. La Turquie est plutôt le cheval de Troie de l’islamisme radical des frères musulmans dans l’OTAN. Le grand Mamamouchi se voit pousser des ailes pour imposer sa révolution au Maghreb. La Tunisie déjà se rapproche. On va vers un conflit direct entre des pays de la Méditerranée, Algérie, Egypte qui sont aux portes de l’Europe.

  5. Paul Agratey // 6 juillet 2020 à 12 h 48 min //

    Nous avons largement contribué à répandre le chaos au proche-Orient et en Libye en étroite collaboration avec notre maître l’oncle Sam, nous récoltons désormais ce que nous avons semé : une turquie hostile, cheval de Troie de l’Otan (inutile et dangereuse) et soutien du djihadisme islamiste radical qui hurle « mort aux mécréans » que nous sommes sensés être. Cet imbroglio vire à la folie qui s’ajoute au chaos, tout cela ne peut que mal finir pour nous à moins d’un énergique sursaut devenu urgent.

  6. Latini Jacques // 6 juillet 2020 à 12 h 35 min //

    La Turquie est effectivement une menace non seulement pour la France mais pour l’Europe

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