De Gaulle et la Covid-19

L’historien et journaliste Éric Branca (source: Éditions Perrin)

Par Eric Branca

Philippe Loubière : Suite à la lecture de son excellent De Gaulle et les grands publié chez Perrin, je me suis entretenu avec l’historien et journaliste Éric Branca à propos du général et de la crise de la Covid-19. Voici, sans plus de cérémonies, le contenu de notre échange, pour lequel je lui suis d’ailleurs sincèrement très reconnaissant.

***

Est-ce que Charles de Gaulle serait bien équipé pour affronter une crise comme celle de la Covid-19 et pourquoi ?

Vous savez, il est toujours imprudent de refaire l’histoire avec des « si » ! Mais votre question est pleine d’intérêt parce que, dans ce cas précis, on sait très exactement ce que de Gaulle aurait fait… puisqu’il l’a fait ! De Gaulle ou plutôt la France redevenue une très grande puissance économique grâce à son action.

Le monde a connu une crise sanitaire très semblable à celle de 2020 : la grippe de Hong Kong de 1968.

On l’a oublié aujourd’hui, mais le monde a connu une crise sanitaire très semblable à celle de 2020 : la grippe de Hong Kong de 1968 qui a tué non pas 130 000 personnes dans le monde, comme le Covid-19 à la mi-avril, mais largement plus d’1 million, à une époque où la planète comptait moins de 4 milliards d’hommes. La moitié moins qu’aujourd’hui… En France, cette même grippe de 1968 a tué 17 000 personnes, sur une population de 50 millions d’habitants (contre 65 millions en 2020). C’est dire si l’alerte a été sévère.

Pour autant, le système de santé n’a pas été débordé, on n’a pas confiné toute une population chez elle, l’économie ne s’est pas arrêtée, bref, personne n’a pensé une seconde qu’une grippe, aussi contagieuse soit-elle, allait provoquer un collapsus économique planétaire semblable à la crise de 1929.

L’ouragan néo-libéral a rendu nos sociétés fragiles et détruit nos réflexes de survie sous prétexte de rationalité comptable.

Pourquoi ? Parce que l’ouragan néo-libéral n’avait pas encore rendu nos sociétés si fragiles ni surtout détruit nos réflexes de survie sous prétexte de rationalité comptable. Parce que la santé publique était encore considérée comme un sanctuaire. Bref, parce que nos hôpitaux avaient les moyens de recevoir tout le monde dans de bonnes conditions, y compris les personnes âgées les plus fragiles. Pensez qu’entre 1980 et 2020 la France a perdu 40.000 lits d’hôpitaux ! 1000 par an pendant 40 ans. Sous prétexte de « bonne gestion » on a généralisé les soins dits « ambulatoires », au point qu’en 2019, la doctrine officielle du ministère français de la santé, c’était qu’un établissement de santé bien géré était un établissement avec 0 lit disponible. 0 lit disponible comme 0 stock disponible pour une entreprise prétendument « bien gérée » elle aussi !!!

Le flux tendu, en fait, c’est la pensée 0. Le primat de l’immédiateté sur la mémoire, donc sur la projection dans l’avenir. Flux tendu, et rationnement (sauf pour les stock options), voilà pourtant le maître-mot du néolibéralisme dans tous les domaines. Y compris d’ailleurs pour la Défense nationale. Est-ce utile d’épiloguer sur le résultat ? Si un ministre avait expliqué cela à de Gaulle, c’est lui que le Général aurait envoyé en confinement immédiatement… Et définitivement. Pas les Français !

J’ajoute que si la situation n’était pas aussi tragique, on aurait envie de rire en entendant ceux qui ont désarmé la France nous expliquer qu’elle est en « guerre ».

Bref, pour lui comme d’ailleurs pour la plupart des dirigeants de l’époque, soyons juste, l’idée que l’hôpital ne possède pas une force de réserve pour faire face à une épidémie de grande ampleur était aussi stupide que d’envisager une économie dépendante de l’étranger pour ses stocks stratégiques, une armée dont les soldats tiennent à peine dans le stade de France et une police qui renonce à entrer dans certains quartiers…  J’ajoute que si la situation n’était pas aussi tragique, on aurait envie de rire en entendant ceux qui ont désarmé la France nous expliquer qu’elle est en « guerre ».

De Gaulle qui, c’est le moins qu’on puisse dire, savait ce qu’était la guerre, n’employait jamais ce mot à tort et à travers. Faire avancer la cause de la paix (en s’opposant à l’hégémonie des super grands) et œuvrer à long terme pour la prospérité et la sécurité des Français dont il avait la responsabilité suffisait à son bonheur. Qui peut dire qu’il n’a pas réussi dans le temps si court qui lui fut imparti et au milieu des crises qu’il eut à affronter ?

Quelle fut, selon vous, la pire crise affrontée par le général de Gaulle et comment y a-t-il répondu ?

 Celle, justement qui l’a fait émerger dans l’histoire : l’effondrement de la France et de ses élites, ou prétendues telles, en moins de six semaines, au printemps 1940. Lisez ou relisez les Mémoires de guerre, tout est dit en peu de mots sur ce traumatisme originel quand, le 16 mai 1940, alors que lui-même monte au front, il croise des soldats qui refluent en troupeau et auxquels les Allemands ont seulement confisqué leurs armes en leur criant : « Nous n’avons pas le temps de vous faire prisonniers ! ». Il écrit : « Alors, au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute, au récit de cette insolence méprisante de l’adversaire, je me sens soulevé d’une fureur sans bornes. Ah ! c’est trop bête ! La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. Il y a, pour cela, de l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai, où il faudra, tant qu’il faudra, jusqu’à ce que l’ennemi soit défait et lavée la tache nationale. Ce que j’ai pu faire, par la suite, c’est ce jour-là que je l’ai résolu. »

Ce n’est pas le Covid-19 qui a dévoré les stocks de masques dont nos hôpitaux disposaient pour protéger nos soignants.

Serait-il exagéré de comparer la crise actuelle au péril nazi qui a déferlé sur la majeure partie de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Non seulement exagéré mais injurieux pour la mémoire des 50 millions de morts de ce conflit. Comparer un virus à un ennemi est un biais utilisé par les dirigeants incapables pour dissimuler leur propre impéritie. Les virus et les microbes ont toujours fait partie de la vie : ils ne sont ni mauvais ni bons, ils existent.

Ce n’est pas le Covid-19 qui a dévoré les stocks de masques dont nos hôpitaux disposaient pour protéger nos soignants ; ce n’est pas le Covid-19 qui a englouti le gel hydro-alcoolique que nous n’avions pas ;  ce n’est pas le Covid-19 qui a empêché le gouvernement d’acheter, en temps voulu, les tests qui auraient permis de détecter sur une grande échelle et de soigner à temps ceux qui en sont atteints, au lieu de mettre une population entière « aux arrêts de rigueur» ; ce n’est pas le Covid-19 qui a rendu notre pays dépendant des molécules que nos laboratoires (quand ils existent encore) ne produisent plus et que fabriquent à leur place les Chinois! Ce n’est pas le Covid-19 qui a convaincu nos dirigeants de fermer les dizaines et dizaines de petits hôpitaux qui pourraient aujourd’hui servir à accueillir dans de bonnes conditions les personnes âgées ou les patients non justiciables des urgences, afin que nos structures les mieux équipées se consacrent à l’essentiel !

En un mot comme en cent, ce n’est pas le Covid-19, mais le virus néo-libéral qui empêche nos dirigeants de penser… Enfin pas tous, puisqu’en Allemagne, en Suisse et en Corée du Sud, où, que je sache, l’économie de marché n’est pas sacrifiée – bien au contraire ! – on dispose d’assez de tests pour déterminer qui doit être « confiné » et qui peut aller travailler avec, bien sûr, les précautions qui s’imposent ! Et où, surtout, on a gardé assez de lits disponibles (9 pour 1000 habitants en Allemagne, contre 6 pour la France) pour ne pas avoir à choisir qui a le droit d’être soigné et qui ne l’a pas…

Puisque nous sommes dans la période de Pâques, êtes-vous d’avis que la foi religieuse y était pour quelque chose dans sa légendaire détermination ?

La foi de De Gaulle est quelque chose d’inséparable de sa conception de la France. Vous connaissez la devise des Français libres, rédigée de la main même du Général, le 10 août 1940 : « Je suis un Français libre, je crois en Dieu et en l’avenir de ma Patrie ». En même temps, de Gaulle n’était pas un « dévot ». Il détestait l’ostentation, d’où ses rapports souvent tendus, sous la IV° République, avec les démocrate-chrétiens du MRP qu’il comparait à « des enfants de cœur qui auraient bu les burettes ». N’ayant que le mot « religion » à la bouche, mais aussi à l’aise dans les « délices et les poisons du régime » que des poissons dans l’eau (bénite)… Des Tartuffe, en quelque sorte.

En vérité, de Gaulle détestait parler de sa foi. Malraux, qui avait souvent tenté d’amener le Général sur le terrain métaphysique – sans toujours y parvenir car, disait-il, son interlocuteur ébauchait alors « un geste qui semblait chasser les mouches », a bien résumé les choses dans Les chênes qu’on abat « Je crois sa foi si profonde quelle néglige tout domaine qui la mettrait en question.  C’est pourquoi mon agnosticisme ne le gêne pas. […] Sa foi n’est pas une question, c’est une donnée, comme la France. Mais s’il aime parler de sa France, il n’aime pas parler de sa foi. »

En fait, il n’en a parlé qu’en une seule occasion en public, et c’était d’ailleurs, devant des religieux, réunis, le 31 mai 1967 à la villa Bonaparte. Bien que mentionné à l’époque, et publié depuis dans l’édition complète de ses discours et messages, ce texte n’est pratiquement jamais cité. En voici la fin : « L’avenir, la France qui est aussi la fille aînée de l’Église, le voit avec sérénité, avec fermeté, avec confiance. L’Église est éternelle et la France ne mourra pas. L’essentiel, pour elle, est qu’elle reste fidèle à ce qu’elle est et, par conséquent, fidèle à tous les liens qui l’attachent à notre Église. C’est le cas ! Et c’est pourquoi, quels que soient les dangers, les crises, les drames, que nous avons à traverser, par-dessus-tout et toujours, nous savons où nous allons. Nous allons, même quand nous mourrons, vers la Vie ».  C’est autre chose que le prêchi-prêcha actuel, non ?

Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. – Charles de Gaulle

Quel était son principal atout, sa principale qualité, pour surmonter tous les écueils qui se sont présentés à lui ?

La mémoire qui permet de disposer d’assez de ressources pour comprendre le présent et, partant, pour maîtriser l’avenir… Donc pour garder l’espoir, ce mot-clé du vocabulaire gaullien ! Tout est dans l’appel du 18 juin, auquel il faut toujours revenir : « Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. […] Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là ».

Couper les crédits à l’OMS, et après ? Déclarer la guerre à la Chine, puisque le virus en vient ?

Puisque je suis impatient de débuter la lecture de L’ami américain, je présume que la politique américaine figure parmi les sujets qui retiennent votre attention. Quelle est votre opinion sur la manière dont la crise de la Covid-19 est gérée par l’administration Trump ?

N’étant pas citoyen américain, je me garderai bien de porter un jugement ex cathedra. La seule chose que je peux constater, comme tout le monde, c’est que les États-Unis, qui ont été frappés avant la France par le virus néo-libéral, semblent encore plus désarmés qu’elle pour résister convenablement au covid-19…  Quant au président Trump, comment s’étonner que sa politique (ou plutôt son absence de politique) soit à l’avenant de sa pensée, ou de ce qui en tient lieu, à savoir le portefeuille ? Couper les crédits à l’OMS, et après ? Déclarer la guerre à la Chine, puisque le virus en vient ?

Finalement, et j’espère que vous pardonnerez ma curiosité, mais après avoir lu la dernière ligne de votre plus récent livre De Gaulle et les grands, je me demandais sur quoi portera votre prochain (je prends pour acquis qu’un auteur de votre trempe ne demeure pas inactif longtemps) ?

Tout ce que je peux dire c’est qu’il sera largement question de la politique américaine au lendemain de la Seconde guerre mondiale…

13 commentaires sur De Gaulle et la Covid-19

  1. J’ai ecouté une « dame politique le 1er mai et l’approuve à 10p100
    Elle n’a je crois pas parlé de Juin 40 et des piteux Lebrun et Gamelin mais de Sedan et de 1870
    Force est de constater que 150 ans plus tard,nous en sommes toujours à la guerre de 1870
    En étant la 3ème puissance nucleraire du monde,en disposant d’infectologues hors-pair,la France est vide….c’est le mot qui convient:vide……..
    quand verrons nous de nouveau des De gaulle ou des G.Pompidou????????

  2. au début de cette pas drôle et pas guerre non plus , nous n’étions pas prêts . Pas la peine d’en rajouter , car nous ne sommes pas prêts en lits de réanimation de dite sécurité dont le nombre fut évoqué des 13000 ou 15000 n’est il pas vrai ? cela dit sans obscurantisme ni manoeuvre de parti / ni même évoquer les errances ni proférer à nouveau le mot forfaiture subi depuis 2005 , ce n’est pas le lieu ni le temps . Il existe d’autres priorités . Une année blanche , année blanche scolaire , car ce n’est pas une année ordinaire , une année blanche c’est dur mais c’est ainsi . Et si le coup peut dans des foyers être rude , ce n’est pas un argument en soi , préparer en prudence sans seconde vague en rationnalité aussi et prudence sans aveuglément économique en pari ni lâcheté . Et si une année scolaire doit être blanche , si elle peut risquer d’être rude en argent chez des précaires comptant jours et années , il faudra par dessus les porte feuilles aider plutôt que de jouer . On ne joue pas

  3. Et s’il faut se serrer la ceinture ou serrer les dents parfois , le faire

  4. Coeurs d’enfants il est vrai ou certes ou peut être. Il n’est pas d’article ni de décret en virus . Sans culte obscurantiste .Et quand on ne sait pas ou qu’on n’est pas prêts , on ne joue pas . Sans « laisser le temps au temps » , une année blanche scolaire

  5. Pour les scolaires , a t on jamais évoqué la prudence jusqu’à relativiser une année , la prudence et par un peu de temps pour se préparer , la prudence sans rompre les liens scolaires et du travail actuels , la prudence du report de rentrée et même d’une année blanche ? Une rentrée préparée

  6. Tout de même et sans renier , une belle leçon en politique le dit gaullisme , les pieds sur terre il est vrai et , certes sans idolâtrie , une boussole c’est un fait

  7. Sanctifier n’ est pas effacer . Ce n’était et ce n’est pas une fièvre , c’est sans idolâtrie un souffle , une jeunesse qu’importe l’âge , de JMJ et même de Ma Maison , de jours d’Assise aussi , de Jean Paul II toujours vivant . Et puis c’est aussi un abbé dit d’Emmaûs , comme « je ne suis qu’un homme » dit Pierre , et presque reprenant la silhouette de Monsieur Vincent . De Paul

  8. Jean-Dominique Gladieu // 18 avril 2020 à 15 h 30 min //

    Il est toujours réjouissant d’entendre rappeler quelques évidences.

  9. « Si je recule , tuez moi » , « si j’avance » mais je n’exige rien , « si je meurs » bannissez la vengeance , Espérance

  10. La France , c’est aussi d’ Assise , comme en autrefois malgré tout , journées d’Assise sans mensonge,
    c’est ou ce peut être un hors les murs aussi , c’est le grain qui ne se gonfle pas ni ne se glorifie en cocoricos de soi en murs ou communautarismes , c’est un grain peut être et même rien ou presque rien Mais un grain d’Orient aussi . De Palestine et ailleurs plus encore , d’Assise en simple lecture , et par Saint Jacques et de nos actes aussi

  11. Chère Vendée , de France . Sans fioritures ni masque , sans calcul sans déguisements , sans esprit de com’ ni de mensonge , sans mensonge et du parfois dur à vivre certes en masque ou en confinements , sans bignouseries de bretonnant ni grenouilleries de bénitiers , sans freluquets des arrogances sans jeux de rôles en croisades de jeux ni autres jeux de rôles , et certes aussi sans Bretagne , et racine il est vrai , un franc certes de loin et franc simple merci . Merci du simple accueil même de loin . La France , c’ est un roc ou grain de sable , c’est un brin d’Espérance , une histoire sans doute plus qu’un roman , de cape et d’épée , d’honneur et de volonté et volontés aussi , d’honneur et de pudeur , une chose très particulière , une chanson peut être et et mais sans esprit de vengeance ,  » souviens toi que ton père avais une sainte horreur du mensonge  » travailler

  12. Philippe DEGROOTE // 17 avril 2020 à 19 h 13 min //

    Mais pourquoi ces personnes, avec qui vous vous entretenez, ne sont pas aux responsabilités de Notre France. Jamais nous les entendons dans les radios dites d’Etat. Il va falloir que tout cela change et que l’on soit gouverné par des personnes responsables et imaginatives.

  13. BRAVO POUR CETTE ANALYSE
    j’ai aussi publie un livre sur le meme sujet celui de la pensée et de l’action . Penser la guerre et imaginer la paix qui redefinit les leaders assez rares que nous avons eu la chance de posseder

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