L’exploit et le sacrifice

Par Natacha Polony (Marianne)

La langueur estivale de ce début de mois d’août a vu émerger deux figures qui nous racontent une part de la France. L’un incarne la volonté, l’autre le dévouement. L’un l’exploit, l’autre le sacrifice. D’un côté, un fou volant sur sa drôle de machine, Franky Zapata, de l’autre, un simple édile donnant sa vie pour une idée du bien commun, Jean-Mathieu Michel. Et chacun à sa manière rend un peu de fierté à un pays en quête de lui-même, oublieux de ce qui fit sa grandeur : un mélange de ténacité et de civisme, de liberté transgressive et de respect des lois.

Le premier, Franky Zapata, a ce mélange de gouaille et de simplicité qu’on aime aimer. Un type qui parvient à bricoler une machine comme tout le monde en rêve, tout seul, dans son coin, à partir d’un premier prototype à propulsion à eau destiné à amuser les amateurs de jet-ski. Il teste, il perd deux doigts dans sa première tentative, mais il continue. Et, parce qu’on est en France, le premier réflexe des autorités est de le convoquer au commissariat pour violation de l’espace aérien sur un appareil non homologué.

Partout ailleurs, sans doute, le bricoleur génial aurait été contacté par des entreprises, soutenu par des banques, récupéré par une filière économique flairant le bon filon, avec la bienveillance d’un ministère de l’Économie soucieux de repérer les futurs producteurs de richesse. En France, non, on lui envoie la police pour avoir enfreint un règlement. Et ce n’est qu’après qu’il a menacé de quitter le pays avec son incroyable joujou que le ministère de la Défense, visiblement l’une des dernières administrations où l’on comprend la notion d’État stratège, le prend sous son aile. L’inflation de normes, contrairement à ce que croient certains, n’est pas la conséquence d’une omniprésence de l’État mais le signe de son recul par absence de vision et impuissance des politiques. Mais l’enthousiasme populaire qui accompagnait Franky Zapata sur la plage de Sangatte pour son second essai au-dessus de la Manche vaut plus que toutes les tracasseries administratives. Il y avait de la joie pure dans les voix aux accents ch’tis qui disaient leurs convictions que ce Marseillais fou allait y arriver. La joie d’un peuple qui croit en cette nation. Et cette joie n’a rien de contradictoire avec la colère des derniers mois. C’est parce qu’il croit encore en la France que ce peuple, parfois, laisse éclater sa colère. Une colère qui ne se confond pas avec la haine et l’individualisme que l’on voit aussi se manifester avec une violence croissante.

C’est pour cette raison que la France a également besoin de héros républicains. Le civisme, la défense du bien commun, le don de soi… autant de valeurs sans lesquelles une société s’effondre sur elle-même. Quel terrible symbole que la mort de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, dans le Var, renversé par la camionnette de deux ouvriers du bâtiment alors qu’il venait de les obliger à recharger les gravats qu’ils avaient déversés illégalement sur un chemin.

Il est de bon ton, dans les sphères de la haute administration française, de se gausser de ces 36 000 communes totalement archaïques, qu’il faudrait regrouper en communautés d’agglomérations pour ressembler un peu plus à nos voisins européens. Le dévouement d’hommes et de femmes qui choisissent de se consacrer à faire vivre des territoires, à maintenir le lien social, ne recueille qu’indifférence ou mépris chez les brillants technocrates qui jugent parfaitement inutile de connaître le pays pour le gouverner. Mais il n’est pas davantage considéré par des individus devenus consommateurs bien avant d’être des citoyens. Car le civisme est l’opposé absolu du consumérisme. Il consiste à refréner ses pulsions, à s’interdire certains comportements au nom de l’intérêt général, à limiter la toute-puissance de l’individu au nom de la collectivité. Dans l’émotion qui a entouré la mort de Jean-Mathieu Michel, il y a la révolte, mais aussi le regret devant notre impuissance collective à perpétuer et transmettre cette vertu cardinale de toute société civilisée qu’est le civisme. Il y a la tristesse devant l’indifférence qui gagne, une indifférence qui aurait pu inciter le maire à continuer sa route plutôt que de s’arrêter pour empêcher ces deux hommes de dégrader ce chemin. L’indifférence est le pire poison d’une société.

Deux Français sans aucun lien, sans rien de commun, mais dont le destin nous rappelle qu’un pays vit des modèles qu’il se choisit et qu’il offre à sa jeunesse. Le rêve, pour l’un, et la ténacité pour que ce rêve se concrétise. Le sens du devoir, pour l’autre, et l’obstination à défendre le bien commun. Deux leçons pour un pays qui ne veut pas se recroqueviller sur ses rancœurs et ses haines, mais retrouver ce qui pourrait être un destin.

5 commentaires sur L’exploit et le sacrifice

  1. charles Batlymos // 10 août 2019 à 18 h 06 min //

    C’est bien une des rares fois ou Me Natacha Polony se fend en hommages justifiés; sur un technicien génial qui a réussi à faire voler sa drôle de machine volante pour traverser la manche . il n’est que le continuateur de ces techniciens hors pairs qui ont porté l’excellence de la technologie française
    LE DEUXIÈME HOMMAGE EST RENDU A UN MAIRE D’UNE PETITE COMMUNE DU VAR QUI APRES TANT ET TANT D’ANNÉES au service de sa commune voulait faire respecter la loi , et a été victime du devoir; hommage lui soit rendu .
    MAIS ces deux exemples ne nous font pas oublier d’autres événements récents qui nous posent question sur l’évolution de notre société moderne ::: le premier c’est le référendum contre la nationalisation des aéroports de PARIS ; porté par le nombre requis de députés , il fut mis sous la gestion du conseil constitutionnel ; et depuis son lancement il atteint difficilement 700.000 signataires et pour qu’il aboutisse il faut 4.700.000 signatures !!!
    en effet il n’est porté par aucun média , il n’est diffusé nul part la majorité des français n’est pas au courant !!! et ainsi il n’aboutira jamais et la volonté de privatiser du gouvernement sera exaucée !!!
    un exemple de communication sociale fourvoyé dans dans les chicanes administrative de la gouvernance actuelle .
    un autre exemple plus scandaleux encore ::: c’est la ratification par le parlement de la république française du fameux traité de libre échange
    CETA ? QUI LÈVE LES BARRIÈRES DOUANIÈRES ENTRE L’ Europe ET LE CANADA / ET QUI EST COMBATTU par de larges franges de la société française qui a pu accéder à quelques conséquences pratiques de ce traité ( NEFASTE POUR NOTRE AGRICULTURE , qui est de plus en plus soumise a l’aggravation de la crise climatique et ces excès de plus en plus dévastateurs::: néfaste pour notre climat et notre santé !!! )
    l’ensemble des députés de droite et de gauche on t fait campagne auprès de leurs collègues LREM . EN VAIN ILS ONT VOTE POUR LA RATIFICATION DU TRAITE . EN DEHORS DU PARLEMENTS UNE CAMPAGNE SOCIALE ET MÉDIATIQUE A été portée et par tous les syndicats agricoles et par toutes les obéissances écologiques ::: il n’y a eu rien à faire ratifié et ratifié comme si il ne s’était rien passé … Voilà un bel exemple supplémentaire du fonctionnement du gouvernement ultra libéral qui gouverne la FRANCE … ET APRES L’ON S’ETONNE DE LA COLÈRE DES FRANÇAIS …
    Et là tout d’un coup, on se réveille et on se rappelle que en 1969 il y a eu un général qui avant tout le monde et contre pas mal de monde avait prévu de mettre en oeuvre une régionalisation et aussi une participation effective dans les entreprises et plus généralement au niveau du corps social….
    en cette période de crise sociétale globale , la « participation » des citoyens ( par des procédures claires , transparentes et bien organisées)
    est matériellement et techniquement réalisable !!! et elle constitue une des réponses pour réanimer le vivre ensemble démocratiquement !!! instituer
    une démocratie numérique qui positivera l’innovation numérique et la mettra au service de la communauté nationale !!! mais qui osera mettre une telle
    organisation en oeuvre !!!!

  2. très beau article ! il en faudrait souvent pour faire comprendre à la jeunesse actuelle certaines choses de la vie !

  3. L’exploit et le Sacrifice… n’exagérons rien dans un cas comme dans l’autre!
    Préférons plutôt cette citation empruntée à Pierre Corneille :
    A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
    Qu’il s’agisse d’un surdoué de l’innovation technologique ou d’un élu à la fibre citoyenne chevillée au corps , l’un et l’autre ne peuvent réussir dans la vie qu’au prix d’efforts redoublés , constants au prix d’une discipline personnelle forte et non pas en se servant des autres. La mise en péril de sa vie est de notre point de vue une question de comportement personnel dénué de tout mérite autre que celui d’avoir envie de vaincre les résistances et les difficultés redoutées par les autres. L’exploit accompli grâce aux efforts de recherche des autres en motorisation d’engins est un triomphe éphémère dénué de tout mérite autre que celui d’avoir tenté l’aventure . Le sacrifice de mise en danger de sa vie pour des « gravats sauvages » nullement imposé par les citoyens à contrario de ce qui fût le cas pour le Colonel Arnaud Beltram ou bien d’autres héros de guerres (civils ou militaires) tient plus selon nous de la promptitude à l’erreur qui expose chacun d’entre nous aux pires conséquences.Bref, Madame Natacha Polony, n’exagérons pas les mérites des uns et des autres pour avoir été les « vedettes médiatiques  » d’un jour !

  4. L’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, C’EST LE SEUL.
    – Gandhi –

  5. Excellent

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