L’impasse révolutionnaire,

Par Henri Guaino

Henri Guaino
  • par Henri Guaino.

Face à la persistance de la révolte des Gilets jaunes, Henri Guaino pointe les limites de la «violence révolutionnaire». Selon lui, en raison de la complexité de la crise, il n’y a pas de solution politique immédiate. Mais alors, quelle issue ?

Le président de la République écrit aux Français qu’il veut transformer avec eux les colères en solutions. Intention louable mais qui néglige un fait majeur : la révolution est à la mode. Depuis que les Gilets jaunes sont sur les ronds-points et dans la rue, tout le monde sur les plateaux de télévision devient de plus en plus révolutionnaire. Il faut tout casser, plus rien ne vaut rien à commencer par les institutions : «Du passé faisons table rase !» Mais à chacun sa révolution et ses lendemains qui chantent : révolution prolétarienne, nationale, conservatrice, libérale, démocratique…

Les uns espèrent que l’insurrection balaiera le néocapitalisme mondialisé, les autres qu’elle en finira avec ce qui reste de l’État-providence, les uns que la France va enfin s’adapter à la mondialisation, les autres qu’elle va enfin lui tourner le dos, les uns que les corps intermédiaires vont être mis à bas, les autres qu’ils vont reprendre le pouvoir… Mais dans les têtes de tous ceux qui sont en colère, qui en ont ras-le-bol, qui ont le sentiment, non sans raison, qu’ils ne maîtrisent pas leur vie, qu’elle est broyée par quelque chose qui les dépasse, que faire des efforts ne sert à rien, que voter ne change rien, ne pas voter non plus, il y a deux obsessions : punir ceux qu’ils jugent responsables de leur situation et le changement immédiat de celle-ci.

40 ans de sacrifices, 40 ans d’efforts, 40 ans de frustrations, 40 ans de mépris, ça suffit ! Voilà le cri des révoltés qui manifestent ou qui restent chez eux en ruminant leur colère. Cette urgence sociale et psychologique, tout à coup libérée, qui appelle tant de gens à vouloir reprendre leur destin en mains, se heurte à l’incompréhension du pouvoir q.ui doit en outre assumer la nécessité de l’ordre public, elle se heurte aussi aux arrières-pensées de tous ceux qui n’ont d’autres soucis que de ne pas rater le train de l’histoire et cherchent a récupérer la colère à leur profit. Elle se heurte surtout à la réalité qui fait que l’on ne sort pas du jour au lendemain de 40 ans de pensée unique, de financiarisation, de traités, de directives européennes, de privatisations, d’austérité…

Il faut pour changer les choses se battre sur tellement de fronts qu’à ce stade il n’y a pas de solution politique immédiate à cette crise. Il y a donc gros à parier que chacun cherchera à prendre à l’autre ce que l’on ne lui donnera pas. C’est ce qu’il faut entendre derrière certains mots. Ainsi du mot «privilèges» et de la revendication de leur abolition, figure imposée tous les mouvements révolutionnaires qui mêle toujours un vrai sentiment d’injustice, une vraie aspiration à l’égalité et la recherche de boucs émissaires. Ainsi, aussi, du mot «riches». Opposer les 20% de plus «riches» qui doivent continuer à payer la taxe d’habitation aux 80 autres pour cent de la population fracture la société. Mettre les célibataires qui gagnent 2 500 euros par mois net dans la même catégorie que les cadres dirigeants de multinationales, les financiers qui gagnent des millions d’euros par an et qui représentent moins de 1% des ménages, pose un problème qui n’est pas anodin, non seulement parce qu’on mélange des situations qui n’ont absolument rien de comparable, mais aussi et surtout parce que cela conduit à séparer les diplômés, les cadres du reste de la société. Mais que serait notre société sans les ingénieurs, les avocats, les médecins, les chirurgiens, les entrepreneurs…

Et sans la reconnaissance du savoir, des compétences et de la promotion sociale par les études ? Il flotte déjà autour de cette histoire des 20% les plus riches comme un petit parfum de révolution culturelle maoïste contre les plus diplômés qui ne seraient pas le peuple. Mais quand chacun se prend pour le peuple à lui tout seul, les choses prennent toujours une mauvaise tournure. Si chacun veut prendre à l’autre, qui soi-disant ne fait pas partie du peuple, ce qu’on ne lui donne pas, les haines et les violences que l’on sent monter ne sont qu’un début.

Qui plus est, comme de toutes les façons la pensée dominante n’est pas prête à changer, et que c’est exactement ce que dit le président quand il réaffirme dans sa lettre qu’il ne changera pas de cap, le risque est grand que cette violence révolutionnaire s’installe sans pouvoir déboucher sur un monde meilleur. Le référendum d’initiative citoyenne n’y changera rien. Si la Révolution française a finalement, après bien des violences, laissé un héritage positif c’est parce que celui-ci avait été préparé par un siècle de pensée, de philosophie et de science.

Si la crise des années 1930 et la Seconde guerre mondiale ont engendré le programme du Conseil national de la Résistance, c’est par ce qu’elles avaient d’abord engendré un renouvellement en profondeur de la pensée économique, sociale et politique. Aujourd’hui rien de semblable à ces révolutions intellectuelles : face à face, seulement la pensée unique et la colère. On peut détruire la société de toutes sortes de façons, pour toutes sortes de raisons. On ne la reconstruit que sur des idées. Quand la pensée est sourde aux cris de la colère et la colère aveugle, la révolution n’a pas beaucoup de chances de fabriquer des lendemains qui chantent mais plutôt le contraire.

6 commentaires sur L’impasse révolutionnaire,

  1.  » on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités … « 

  2. La violence génère la violence

    Nous sommes tous désemparés. En dehors de toute piqure de mouche, on découvre avec étonnement notre capacité à être rebelle.
    On en veut particulièrement à l’homme, autant inutile que malfaisant, dans l’incapacité de résoudre les maux de notre société et qui à l’aplomb de vous dominer d’un air suffisant.
    Le pur-sang qui se loge en nous, découvre que toute impasse, pas forcément révolutionnaire, signifie presque inévitablement une voie sans issue et la fin d’une histoire qui peut se terminer tragiquement.
    Par instinct de survie, il pense pouvoir par chance revenir sur ses pas s’il en est encore temps et changer ainsi le cours de l’histoire. Il tente le tout pour le tout. Il ne veut pas rendre les armes et s’avouer vaincu. Il se battra avec les honneurs et pour sa survie, quoi de plus naturel pour un dominant qui a horreur d’être dominé.
    Alors pour survivre, il n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence graduée face à d’autres violences infligées durant des décennies par des hommes conditionnés par un système approuvé majoritairement par confort ou idéologie et qui consistera à sacrifier quelques âmes pour assurer la survie de quelques autres qui constituent parfois l’infime minorité d’une population.
    Aujourd’hui, les 26 milliardaires les plus riches détiendraient autant d’argent que la moitié de l’humanité. Je doute très fort que ce soit par la seule force du poignet.
    D’un côté je me fiche éperdument de la richesse des autres. L’argent n’est pas forcément mon indicateur du bonheur. L’accumulation des richesses conduira à terme vers une impasse douloureuse pour le matérialiste assoiffé. De l’autre, on peut comprendre par extension que les déséquilibres de la planète puissent provoquer des crises majeures liées à une mauvaise redistribution des richesses car après tout, pourquoi faudrait-il systématiquement au nom d’un paradigme immuable, que toujours les mêmes soient broyés, sacrifiés, méprisés ?
    La colère est justifiée et la révolte inévitable qui peut se manifester sous diverses formes y compris violentes au risque qu’ elles débouchent sur une impasse et au pire des cas, jusqu’à la mort.
    Le travail, l’effort, les sacrifices de toute une vie ne sont pas récompensés à leur juste valeur, c’est une vérité planétaire!
    L’esprit tourmenté se révolte et il y a de quoi. Il ne s’agit pas de traiter une simple crise épidermique, un coup de chaud, une passade amoureuse, un mimétisme.
    Un volcan dont on mésestime la colère potentielle, sommeille dans beaucoup de nos coeurs et un jour il explose d’un trop plein.
    Plusieurs générations qui se côtoient sont touchées simultanément d’un mal similaire. Elles n’ont connu que chômage et la précarité et vivent le désarroi chaque jour, parfois au sein d’une même famille. Comment espérer un avenir stable et serein dans ces conditions ?
    Et Dieu sait, combien parmi elles, la volonté est farouche de sortir chaque jour de la détresse. Loin d’être des fainéantes ou des moins que rien perdues dans un hall de gare! Elles sont bousillées, massacrées et abandonnées lâchement et par égoïsme. L’Etat providence comme bouée de secours, ne comble pas les vrais manques, celui d’un vrai travail, de ressources suffisantes pour vivre dignement et qu’une démocratie creuse et des paroles apaisantes ne compensent plus.
    Maquillés en jaune ou en rouge, nous redécouvrons que la lutte des classes n’était qu’une maladie cachée honteusement au nom d’une union de façade.
    Ne nous y trompons pas, la part arrachée de la bouche de l’un servira immuablement à combler les appétits aiguisés des lionnes et des hyènes. La guerre sera sans pitié au milieu des mêmes bourreaux.
    C’est une loi économique générale est permanente qui veut qu’il y ait des perdants et des gagnants avec des écarts de traitements disproportionnés même pour des besoins pour le moins similaires.
    Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on baissera la température. Notre esprit ne supporte pas les limites des impasses dans lesquelles on le plonge. Il s’échauffera au point de devenir révolutionnaire. Le prix fort sera la seule limite indépassable.
    Rf 30.1.2019

  3. Toute révolution est d’abord destructrice d’un ordre avant qu’un nouveau monde ne soit établi. Pour justifier sa lutte armée Nelson Mandela a dit que c’était l’oppresseur qui déterminait le niveau de la lutte et non l’opprimé. Le Général s’est d’abord révolté conte un ordre injuste avant d’en créer par sa lutte victorieuse.

  4. Monde d’aujourd’hui, déjà monde de demain, royaume de l’éphémère, notre société, en ce début de troisième millénaire, entre dans une ère de changements profonds et tente vaille que vaille de survivre dans l’œil d’un cyclone géo-socio-économique, qui n’a pas encore délivré ses modèles comportementaux. Alors que l’on assiste à une accélération sans précédent de tous les processus, y compris politiques et socio-économiques.Face à ces transformations profondes d’une société et de ses valeurs, les individus, comme les états et les gouvernements qui les représentent, éprouvent de réelles difficultés à s’adapter et, certains, sous le choc, finissent « par perdre les pédales » et ne peuvent éviter la catastrophe.
    Nous en sommes là…pour l’instant !

  5. Henri Guaino est un homme cultivé et qui connait l’histoire, ce qui ne sont pas les moindres de ses qualités. Il n’en a pas moins été aux affaires, proche de Nicolas Sarkozy, ce qui était son droit mais il a ainsi participé d’une politique intérieure et extérieure qui n’avait rien de gaullien…

  6. Paskal Henri // 28 janvier 2019 à 17 h 30 min //

    pourquoi parler de révolution ? il faut enlever la lettre R . Hélas nous savons que nous ne pouvons pas éradiquer le capitalisme , mais foncer vers l’économie sociale et solidaire , impliquer ainsi le monde su travail par les différentes formes de coopératives (SCOP SAPO SCIC…)est aussi la meilleure façon d’affaiblir ce dernier,évidemment un minimum de protectionnisme et sortir du libre échange systématique , sortir de l’OTAN et du giron étasunien (que j’appelle Satasunien) et rejoindre le non alignement des MRICS (anciennement BRICS le Mexique remplaçant le Brésil). c’est celà que les gilets jaunes veulent entendre et garder mordicus les acquits du CNR. Donc c’est bien sur le levier des recettes et de leur provenance que doit se faire l’action permettant de maintenir cet « état providence » contre vents et marées.

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