Jean-Louis Debré sur Emmanuel Macron : « Tout le monde n’est pas De Gaulle »

Ancien président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, le gaulliste Jean-Louis Debré doute du contenu de la réforme institutionnelle voulue par Macron.

Introduction d’une dose de proportionnelle, limitation du nombre de mandats dans le temps, recours au référendum : Jean-Louis Debré met en garde le chef de l’État, engagé dans une réforme constitutionnelle, contre la tentation de démagogie.

Que pensez-vous de la réforme des institutions, engagée par Emmanuel Macron ?

« Il y a un mal français qui consiste à changer sans cesse les règles du jeu politique », explique-t-il en développant avec une métaphore sportive : « Cela me fait penser aux joueurs de football qui n’arrivent pas à marquer : pour y parvenir, soit ils s’entraînent plus, soit ils élargissent les buts. Et nous, nous sommes sans arrêt en train d’élargir les buts. »

Faut-il introduire une dose de proportionnelle aux législatives ?

Si l’on considère que le rôle d’un mode de scrutin, c’est de faire une photographie de l’opinion, adoptons la proportionnelle. Mais comme les Français changent d’opinion régulièrement, alors faisons des élections tous les ans ! Si l’on considère, en revanche, que le mode de scrutin est la technique démocratique par laquelle le peuple choisit une majorité qui va permettre à un gouvernement de diriger pendant une période donnée, alors choisissons le scrutin majoritaire. La proportionnelle a été une des causes, sous la IVe République, de l’instabilité gouvernementale : près de 15 gouvernements en onze ans ! Nos institutions actuelles sont le résultat d’une analyse très précise de ces dysfonctionnements.

Beaucoup de pays ont pourtant adopté la proportionnelle, intégrale ou partielle…

Regardons ce qui s’y passe. En Allemagne, Angela Merkel a dû mener des négociations interminables avec les partis politiques. En Italie, on parle même de nouvelles élections ! La répétition des scrutins avec une dose de proportionnelle conduit à la multiplication des partis. Elle aboutira au retour d’une instabilité chronique, d’autant plus qu’elle se cumulera avec les règles de financement de la vie politique, qui incitent déjà les petits partis à multiplier les candidatures.

Votre avis sur la limitation à trois du nombre de mandats successifs ?

La Constitution de 1958 a été rédigé par un groupe d experts dirigé par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice du gouvernement De Gaulle, M. Michel Debré.

Elle me choque, parce que dans le système démocratique, c’est à l’électeur de choisir qui il veut comme élu. Mais je comprends aussi qu’il faille un renouvellement de la vie politique. Il faut surtout changer les pratiques politiques. Revenons aux deux sessions parlementaires de jadis. Celle d’hiver serait consacrée à l’examen des budgets. Elle s’ouvrirait avec la loi de règlement budgétaire qui clôt le précédent exercice, ce qui permettrait de voir si le gouvernement a respecté ses engagements. En avril, s’ouvrirait la session législative, et chaque ministre viendrait alors dire publiquement comment ont été appliqués les textes votés à la session précédente.

Et la réduction du nombre de parlementaires ?

Il y a trop de parlementaires. Dans la Constitution initiale, il n’y avait d’ailleurs que 482 députés et 301 sénateurs. C’est la réforme de 2008 qui en a augmenté le nombre.

Êtes-vous favorable au recours aux ordonnances ?

J’y suis favorable. En 1936, Léon Blum réforme par décrets-lois. De Gaulle, en 1959, réforme les institutions, la justice, l’éducation, tout, par voie d’ordonnances. De même pour Mitterrand, en 1981, et Chirac. Ils avaient compris qu’on ne réforme pas lentement en France. Il faut aller vite, parce que l’état de grâce ne dure pas.

Emmanuel Macron veut aussi limiter le droit d’amendement des députés…

Je ne connais pas le détail de ces mesures, mais le Conseil constitutionnel a toujours considéré que le droit d’amendement faisait partie de la fonction parlementaire, et qu’on ne pouvait pas limiter ce droit.

Que pensez-vous du recours éventuel au référendum pour faire adopter cette réforme ?

Je dis : attention. Sur ces questions institutionnelles, les Français ne répondent jamais à la question posée. Lorsque le général de Gaulle a décidé le recours au référendum, en 1969, sur la régionalisation et sur la réforme du Sénat, tout le monde était d’accord sur le principe. Mais les partis politiques traditionnels ont préféré faire de la politique. Ils voulaient virer de Gaulle. Voilà comment une réforme nécessaire, voulue, a échoué. Attention, donc, à ce que cela ne se renouvelle pas.

Le recours au référendum via l’article 11 de la Constitution, envisagé par l’Élysée, vous paraît-il possible juridiquement ?

De Gaulle l’a fait. Mais tout le monde n’est pas de Gaulle. Et a-t-on intérêt à dresser les Français les uns contre les autres, à ouvrir des débats politiques alors qu’on a tellement besoin d’union et de cohésion ?

Vous êtes d’accord, sur ce point, avec Nicolas Sarkozy…

Non, parce que Nicolas Sarkozy n’aurait pas dû faire la réforme de 2008. Hormis la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui a été une révolution juridique, le reste était purement démagogique. On voulait que le président de la République aille parler à Versailles… Gadget ! C’est purement et simplement le discours du trône.

Mentionner la Corse dans la Constitution, est-ce nécessaire ?

La France est une République une et indivisible. Introduire la notion de Corse, en disant que cela n’aura aucun effet juridique, quel est l’intérêt ? Et vous aurez immédiatement des revendications des Bretons, des Basques… La Constitution n’est pas là pour faire plaisir à tel ou tel, mais pour conduire le pays dans la stabilité, la durée et l’intérêt général. Qu’on réforme la France, qu’on change un certain nombre de règles du jeu, oui. Mais qu’on ne le fasse pas par démagogie ou populisme.

 


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13 commentaires sur Jean-Louis Debré sur Emmanuel Macron : « Tout le monde n’est pas De Gaulle »

  1. Merci M.Debré. Mais aussi: personne n’est de Gaulle ?

  2. Edmond Romano // 13 mars 2018 à 16 h 54 min //

    Jacques Payen: pour mémoire en 2000 ce sont les socialistes et leurs alliés qui étaient majoritaires. Le groupe RPR était dans l’Opposition. Jean Louis Debré pas plus que son frère n’ont jamais trahi la pensée gaulliste. Et en définitive qui sommes-nous vous et moi pour attribuer des brevets de bons gaullistes ou de mauvais gaullistes?

  3. Je crois préférable de ne pas parler de Jean-Louis Debré qui ridiculise tout ce qu’il touche. Il n’est lui, ni son père, ni son frère Bernard, ni , évidemment, le général de Gaulle… Il a fait carrière à cause de sa famille à qui il fait honte.

  4. Stop. Mon site gaullisme.fr veut créer les bonnes conditions d’un débat autour des valeurs et doctrine gaulliste; Ce qui se traduit dans les faits par la publication de commentaires libres comme c’est le cas pour le votre. Le quinquennat a été une très grave erreur reconnue comme telle aujourd’hui y compris par ceux qui l’ont défendu. Le reconnaître est déjà un pas positif.

  5. Flamant rose // 13 mars 2018 à 12 h 04 min //

    Le général de Gaulle s’est expliqué sur la constitution. Pourquoi un premier ministre ? Pourquoi il s’est opposé à une vice présidence ? Pourquoi l’article 16 ? etc.

    En ce qui concerne le scrutin majoritaire de Gaulle s’explique dans « Mémoires d’espoir » tome1″ Le renouveau », il explique son rejet de la représentation proportionnelle et sa préférence pour le scrutin majoritaire. Afin d’avoir une majorité, il faut un scrutin majoritaire dit-il « C’est ce que décide mon gouvernement qui fixe le système électoral en vertu des pouvoirs spéciaux, rejetant la représentation proportionnelle chère aux rivalités et aux exclusives des partis mais incompatibles avec le soutien continu d’une politique, et adoptant tout bonnement le scrutin uninominal à deux tours. »

  6. Jacques Payen // 13 mars 2018 à 11 h 00 min //

    Ah la mémoire courte des français !
    Que vient faire ce personnage dans une tribune qui se réclame de la continuité gaulliste ?
    Car Jean Louis Debré se dressant en rempart de l’intégrité de la Constitution contre les projets de Macron, c’est tout à fait l’Hôpital qui se fiche de la Charité !

    Président du groupe RPR à l’Assemblée Nationale en 2000, lors du vote du projet de loi approuvant le passage au quinquennat, on ne se souvient pas que monsieur le donneur de leçons d’aujourd’hui ait, alors, beaucoup, beaucoup mouillé sa chemise pour empêcher que ne soient gravement mutilées les Institutions par une réforme irresponsable !

    Vous voulez le score ? 466 voix pour le quinquennat, 28 contre et 9 abstentions ! Quasiment l’unanimité ! Encore merci les « gaullistes du groupe RPR » pour votre intelligence politique !

    C’est d’ailleurs le même Jean Louis Debré qui, lors des Primaires de la « droite » en 2016 soutiendra la candidature de Juppé… oui, vous savez le monsieur de Bordeaux qui évoque la possibilité de constituer un « mouvement central avec Emmanuel Macron en vue des élections européennes de 2019 ».

    Avec des « gaullistes » de cet acabit, dormez tranquilles braves gens. Vous allez encore longtemps regarder passer le train de l’Histoire en spectateurs…

  7. Edmond Romano // 13 mars 2018 à 8 h 54 min //

    Jean Louis Debré a raison. Le scrutin majoritaire permet depuis 1958 d’avoir des majorités stables, et, à mon sens, il serait hasardeux d’introduire la proportionnelle aux élections législatives. Toutefois, il est vrai que ce scrutin défavorise une partie des petits mouvements politiques. Afin d’obtenir une meilleure représentation de l’électorat dans une des deux chambres ne pourrait-on pas envisager une élection au suffrage universel direct et au scrutin proportionnel des Sénateurs? Cette solution aurait l’avantage de donner à tous les partis une représentation équitable sans pour autant mettre en danger la stabilité .

  8. Ce n’est pas parce que l’on est fils de, que l’on a eu un comportement Gaulliste!

  9. « le chérubin du palais » est à la parade et les éminences grises qui ont servi la France sont en rade !
    Seul le peuple a le pouvoir de son avenir entre ses mains et n’est effectivement pas le Gl de Gaulle qui le veut pour donner au peuple le pouvoir de décider.
    Dans l’ADN de « Jupiter » le peuple n’existe pas. Qu’on se le dise.

  10. Delaisse Jean-Paul // 12 mars 2018 à 19 h 49 min //

    A fore de « détricoter » la Constitution, il n’en restera plus rien d’efficace. A chque fois, ces modifications n’ont aboutit qu’à des fiascos potentiels, la plus marquante étant le quinquennat, dont la seule conséquence aura été d’apporter une première instabilité majeure dans l’exécutif. Déjà, avec un septennat, il était un peu difficile d’exécuter des programmes politiques et économiques sérieux. A cinq ans, l’exécutif a tout juste le temps de faire quelques réformettes à la hussarde, et de préparer les nouvelles élections….en espérant une réélection…

  11. J’aime bien quand un gaulliste s’exprime.

  12. OH NON ! PERSONNE NE REMPLACERA LE GRAND CHARLES , FAUT DE L’ENVERGURE , MAIS SURTOUT DE LA PROBITÉ , UNE ÉTHIQUE ; CES DEUX DERNIÈRES DISPARUES AVEC LUI . NOUS AVONS QUE DES TRAÎTRES À LA NATION DEPUIS MITTERRAND .

  13. Jean Louis Debré a largement raison. Cependant lui non plus n’est pas de Gaulle et loin de là puisqu’il a contribué par le quinquennat à déséquilibrer la Constitution héritée du Général. Le quinquennat a transformé le président en super premier ministre et ce dernier en directeur de cabinet du premier.

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