« Mentionner la Corse dans la Constitution ? Ce serait tout sauf anecdotique

Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007, Jean-Eric Schoettl, conseiller d’État honoraire, explique pourquoi nommer la Corse dans la Constitution peut être lourd de conséquences.

Le président de la République s’est déclaré, le 7 février, favorable à la «mention» de la Corse dans la Constitution. Cette annonce a résonné comme une note discordante au terme d’un parcours sans faute, dont la fermeté républicaine était rehaussée par la présence à ses côtés de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur en 1998 lorsque le préfet Claude Érignac fut assassiné.

Mentionner la Corse dans la Constitution ? Voilà qui pose des questions de syntaxe et de sémantique. Une simple mention – c’est-à-dire l’insertion du mot – suppose de trouver une disposition qui serve de support dans la Constitution.

La mention de la Corse dans la Constitution peut emprunter deux voies. Soit semer des exceptions corses ici et là. Soit créer un article corse, débouchant sur un sixième type de statut de collectivité territoriale

Serait-ce à l’article 72-3, le seul à dresser une liste de territoires ? « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité », proclame le premier alinéa de cet article. Ce même article énumère, dans l’alinéa suivant, «la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française (…) ». Mais une telle insertion ferait de la Corse une collectivité d’outre-mer. L’identification de la Corse à l’outre-mer ne serait évitée qu’en ajoutant le mot « Corse » au premier alinéa de l’article 72-3, qui se lirait : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer et de Corse (…). » Ce serait à la fois symboliquement indigeste pour les nationalistes (qui se veulent porteurs des aspirations d’un peuple et non d’une population) et très déstabilisant, car cette incise corse au premier alinéa de l’article 72-3 appellerait un complément quant à son statut dans le corps de l’article. Elle imposerait soit de rattacher la Corse à l’article 73 de la Constitution (famille des départements d’outre-mer, ici avec assemblée unique, soumise aux lois votées par le Parlement de la République), soit de la faire relever de l’article 74, comme la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie (ce qui appelle l’intervention d’une loi organique statutaire avec dévolution de compétences et fiscalité propre), soit de renvoyer à un type de statut aujourd’hui inconnu.

Une autre mention possible du mot « Corse » consisterait à insérer les termes : « telle la Corse » au premier alinéa de l’article 72, qui se lirait : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier, telle la Corse, et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. (…). » Mais cette incrustation inélégante aurait divers inconvénients.

Tout d’abord, le caractère général de l’article 72 ne se prête pas à l’insertion d’exemples. En second lieu, pourquoi illustrer la catégorie des « collectivités à statut particulier » en citant la seule Corse, alors qu’il en existe à ce jour une autre représentante : la métropole de Lyon ? Et faudra-t-il mettre à jour l’article 72 de la Constitution lorsqu’une loi ordinaire en créera de nouvelles ?

Alors où mentionner la Corse dans le texte constitutionnel ? Le président de la République a invité ses interlocuteurs corses à faire des propositions à ce sujet.

On les connaît d’avance. Elles vont au-delà d’une simple mention. Ces propositions se présenteront sous la forme d’une série de phrases comprenant, comme on enseigne aux enfants à l’école, un sujet et un « prédicat ». Le sujet sera la Corse (ou le peuple corse ou la langue corse) et le prédicat portera dérogations (aux principes républicains, à l’égalité des droits) et transferts de compétences (éducation, culture, communication, fiscalité, comme en Catalogne).

Ainsi largement comprise, sur le plan de la syntaxe comme de la sémantique, la mention de la Corse dans la Constitution peut emprunter deux voies. Soit semer des exceptions corses ici et là (le peuple, la langue, les privilèges des résidents corses). Soit créer un article corse (voire un titre, comme pour la Nouvelle-Calédonie), débouchant sur un sixième type de statut de collectivité territoriale (en plus des départements et régions métropolitains, des collectivités métropolitaines à statut particulier, des collectivités d’outre-mer de l’article 73, des collectivités d’outre-mer de l’article 74 et de la Nouvelle-Calédonie).

De telles modifications ouvriraient la boîte de Pandore de demandes de changement de statut provenant d’autres zones du territoire français. Elles donneraient corps à des revendications (existence d’un peuple corse, co-officialité de la langue corse, statut particulier des résidents corses) qui se sont toutes heurtées à une fin de non-recevoir du chef de l’État. Aussi ce dernier semblait-il opposer une fin de non-recevoir à toute exception constitutionnelle corse. Envisage-t-il désormais de mentionner sans déroger ? À titre cosmétique ? C’est oublier qu’on ne modifie pas sans risque la Constitution.

Le souci de rester droit dans ses bottes régaliennes a conduit le chef de l’État à rappeler très justement et très pédagogiquement que tout pouvait certes être étudié en matière de développement économique de l’île, de son équipement hospitalier, de la formation de ses jeunes, du desserrement des contraintes insulaires, de la régulation du marché immobilier, de la valorisation du patrimoine culturel ; mais le président de la République a souligné que quatre statuts depuis 1982 cela suffisait, que la Corse avait assez souffert du culte des symboles, que les compétences spécifiques actuelles gagneraient à être mieux utilisées et que les assouplissements prévus demain pour toutes les collectivités territoriales – différenciation, expérimentation – lui bénéficieraient. N’est-il pas contradictoire, d’accepter « en même temps » d’introduire le mot « Corse » dans la Constitution ?

La contradiction disparaîtrait, il est vrai, si la mention imaginée consistait à n’évoquer la Corse dans la Constitution que pour l’enfermer dans son statut actuel de « collectivité à statut particulier » au sens du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution. Cette élévation constitutionnelle sans effet juridique immédiat, mais en forme de verrouillage pour l’avenir, serait interprétée comme un dernier outrage par les nationalistes corses.

Jean-Eric Schoettl

3 commentaires sur « Mentionner la Corse dans la Constitution ? Ce serait tout sauf anecdotique

  1. HUMM CELA SENT L’INDÉPENDANCE DE LA CORSE À VENIR À PLEIN NEZ !
    CE QUI FERAIT DE LA FRANCE , UNE FRANCE ENCORE PLUS AFFAIBLIE !
    SA DESTRUCTION TOTALE ET EN CHANTIER !

  2. Cette analyse est remplie de bon sens et c’est là que tout se corse car on mesure à cette lecture le degré d’extrême fourberie de tous ces politicards qui mènent la France par le bout du nez et se disent prêts à lui faire prendre des vessies pour des lanternes !

  3. Jean-Dominique Gladieu // 13 février 2018 à 13 h 26 min //

    Effectivement, l’aspect contradictoire du discours prononcé par le Président de la République la semaine dernière à Bastia n’aura échappé à personne.
    Si on ne reconnaît pas l’existence d’un peuple corse, la co-officialité entre le Corse et le Français et le statut de résident corse, on se demande bien à quoi va servir la prise en compte dans la Constitution de la spécificité de la Corse ?
    La seule solution serait la définition d’un statut conciliant les justes aspirations de corses à prendre leur destin en mains et le maintien au sein de la République. Est-ce qu’on ne pourrait pas réfléchir à l’idée d’un peuple corse associé à la République Française ?

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