L’anticatholicisme n’est-il aujourd’hui qu’un antioccidentalisme?

En direct de Montréal. Mathieu Bock-Côté (né en 1980 à Lorraine au Canada) est un sociologue, enseignant, essayiste et chroniqueur québécois.

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Dans un monde menacé par un islam politique particulièrement militant, certains esprits anachroniques sentent encore le besoin de sonner la charge contre le catholicisme, comme s’il fallait enfin en finir avec lui. C’est le cas d’une Femen qui s’est jetée sur la crèche du Vatican lundi matin pour s’emparer de la statue de l’Enfant Jésus en dénonçant le travers sexiste du catholicisme. Le procès est entendu: l’Église catholique est encore assignée au mauvais rôle, et les médias, globalement, aiment l’y maintenir, comme si elle représentait une survivance anachronique dans le monde moderne. Il faut lutter contre le catholicisme comme s’il demeurait le principal obstacle avant l’avènement d’un nouveau monde pour de bon délivré de la tradition. Chaque fois qu’on l’humiliera, on applaudira, d’autant plus que l’orthodoxie diversitaire aime mettre toutes «les religions» dans le même sac dès qu’il est question de l’émancipation féminine, ce qui permet de ne pas réfléchir à la question bien particulière de l’islam.

Il est difficile de ne pas mettre en relation cette intervention des Femen avec l’absurde censure d’un film de Noël dans une école française quand les enseignants ont compris qu’il n’était pas sans lien avec les origines de cette fête et se sont empressés de l’arrêter en plein milieu. Pour reprendre l’explication loufoque rapportée par les journalistes qui ont rendue publique cette histoire, «il ne s’agit pas d’un film sur une légende de Noël mais sur l’histoire de la nativité». On se demandera si celui qui a dit ça est complètement bête ou simplement de mauvaise foi. La scène est quand même d’une invraisemblable stupidité. On veut bien croire que la fête de Noël est aujourd’hui déchristianisée, au point même d’être neutralisée dans de plus vastes «fêtes de fin d’année», mais il n’en demeure pas moins que si l’histoire a ses droits, on conviendra au moins de ses origines chrétiennes. Faut-il désormais censurer toute mention des racines chrétiennes de l’Occident pour ne pas froisser les tenants de l’orthodoxie diversitaire et les représentants les plus intransigeants des religions non-chrétiennes? Les Américains, sans se tromper, parlent depuis des années d’une guerre contre Noël.

Plusieurs l’ont noté, le remplacement du traditionnel Joyeux Noël par Joyeuses Fêtes s’inscrit, consciemment ou inconsciemment, dans ce processus de déchristianisation de la culture. En 2009, les commerçants du Plateau Mont-Royal, à Montréal, avaient cru trouver la formule la plus inclusive qui soit pour ne vexer personne en souhaitant «Joyeux Décembre». La formule était incroyablement ridicule mais montrait jusqu’où peut aller la censure du réel pour ne pas heurter les sensibilités minoritaires exacerbées qui hurlent à la discrimination dès qu’on redécouvre que toutes les religions n’ont pas laissé la même empreinte sur notre civilisation. Il y a dans le monde occidental un zèle déconstructeur qui pousse à vouloir éradiquer toutes les traces du christianisme, comme si on espérait un jour le chasser du décor et l’effacer de la vie publique: la diversité pourrait alors s’exprimer et le christianisme serait privé de ses derniers privilèges . On a pu le constater il y a quelques semaines encore avec l’affaire de la croix de Ploërmel, qu’on a prétendu condamner au nom de la laïcité alors qu’il s’agissait surtout de pousser plus loin la neutralisation de l’identité historique de la France. Un jour pour ne plus heurter personne, faudra-t-il changer de calendrier?

Sommes-nous encore dans un monde au moins partiellement chrétien? Telle est la question. Il ne s’agit pas de savoir si nous croyons personnellement à la religion catholique, mais si nous assumons ce que Pierre Manent appelle la «marque chrétienne» de notre civilisation – c’est-à-dire que le catholicisme a servi de matrice civilisationnelle au monde occidental et qu’on ne peut nous y arracher complètement sans mutiler notre propre identité. On oublie aussi qu’on peut parfaitement assumer cette marque chrétienne et l’idée de laïcité, aussi fondamentale que nécessaire – les deux ne sont contradictoires que pour ceux qui peinent à réconcilier les différentes facettes d’une même civilisation. Il faut une certaine excentricité intellectuelle, en fait, aujourd’hui, pour croire que c’est le catholicisme qui menace la laïcité et qui cherche à occuper de nombreuses manières l’espace public en y faisant sentir de manière de plus en plus agressive sa présence.

Une question essentielle surgit: comment maintenir vivant un patrimoine de civilisation marqué par le christianisme quand la foi qui l’alimentait est morte, ou du moins, complètement déculturée et pratiquée sérieusement seulement dans les marges? Il faut, pour cela, amener la philosophie politique à réfléchir aux conditions mêmes de possibilité de notre civilisation. Il ne s’agit plus seulement de réfléchir au régime politique de la cité mais à la conception de l’homme sur laquelle elle repose – sur son anthropologie, pour le dire autrement. Cela implique aussi de dégager notre compréhension du politique d’un présentisme asséchant en renouant avec une conception historique de la communauté politique, qui fasse droit à la part sacrée de l’appartenance à la cité. En d’autres mots, on peut ressaisir le christianisme à travers un patriotisme de civilisation qui n’impose à personne quelque foi que ce soit mais qui réinscrit le politique dans l’histoire en se tenant loin de la tentation de la table-rase. L’art politique a davantage à voir avec l’histoire qu’avec la gestion.

On y revient alors: ce n’est pas en déconstruisant elles-mêmes leur propre socle de civilisation que les sociétés occidentales sauront vraiment se montrer à la hauteur des exigences de l’hospitalité. Au contraire, plus elles se renient et moins ceux qui les rejoignent peuvent vraiment les aimer. La haine de soi ne fait rêver personne, le nihilisme non plus. Il ne s’agit pas de fantasmer sur je ne sais quelle reconfessionnalisation de l’État ou d’idéaliser de quelque manière que ce soit la parole du Pape ou d’autres officiels du monde catholique mais simplement d’assumer ce qu’on pourrait appeler les marqueurs identitaires les plus profonds de notre civilisation: la cité ne saurait être une simple structure juridique sans épaisseur historique et culturelle. Elle plonge ses racines dans le cœur de l’homme et ne saurait se fermer aux besoins fondamentaux de l’âme humaine. Mais pour plusieurs, aujourd’hui, cette simple évidence passe étrangement pour un scandale.

Mathieu Bock-Côté


Source : http://www.journaldemontreal.com/2017/12/25/lanticatholicisme-nest-il-aujourdhui-quun-antioccidentalisme


 

11 commentaires sur L’anticatholicisme n’est-il aujourd’hui qu’un antioccidentalisme?

  1. « il est plus que temps d’en finir avec les pièges à cons »….vaste programme et qui sait l’ouverture de nouveaux horizons de développement pour les chercheurs en intelligence artificielle au service de la machine à détecter les cons fossoyeurs des religions.

  2. Edmond Romano // 27 décembre 2017 à 13 h 16 min //

    La déchristianisation des sociétés est elle le fait des sociétés civiles? Personnellement, je pense qu’elle est plutôt le fait de l’Eglise catholique elle -même. Durant des siècles, nous avions une doctrine affirmée. Depuis le Concile Vatican II et son application anarchique, beaucoup de chrétiens se sont sentis perdus. Le relativisme dénoncé (faiblement) par Benoit XVI a pris le pas. Tout se vaut et quand tout se vaut plus rien n’existe. Pour l’Eglise être chrétien, musulmans, bouddhistes ou autre n’est qu’une façon différente d’honorer Dieu et les valeurs et doctrines de ces religions valent les nôtres.

  3. Jean-Dominique Gladieu // 27 décembre 2017 à 11 h 59 min //

    Chers Didier Hamelin et Henri Paskal,

    Il ne faut pas confondre laïcité et athéisme.
    La laïcité c’est la neutralité de l’Etat par rapport aux religions.
    L’Etat laïc renvoie la religion dans la sphère du privé. C’est à dire que chacun est libre d’exercer ou non la religion de son choix, de croire en Dieu ou non ou d’être agnostique. Il s’agit là de choix privés qui ne doivent pas interférer dans l’action publique.

    Dans une de ses chansons (« Don Juan »), Brassens déclare ceci :
    « Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint
    Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins  » !

  4. Jean-Dominique Gladieu // 27 décembre 2017 à 11 h 53 min //

    Cher Cording,

    Je crois que la déchristianisation pendant la Révolution Française a surtout fait beaucoup de mal à la Révolution elle même !

  5. GENTY Jean Claude // 26 décembre 2017 à 19 h 35 min //

    Qu’il est donc révolutionnaire le message d’un certain Jésus de Nazareth !!! pour que tant de gens le combattent et tentent de l’éradiquer, quitte à se laisser dominer par une religion autrement plus esclavagisante. Oui, mesdames les « Femmen » et autres libres penseurs, vous n’avez rien à proposer qui fasse rêver ! Juste la haine de ceux qui ne partagent pas votre effarent nihilisme qui ne mène qu’au néant.
    J’ai été élevé dans un milieu catholique ET laïc. En effet, d’un côté le brave curé du village et de l’autre le « hussard noir » d’instituteur. Ces deux personnages, en fait, m’ont donné la meilleure éducation possible, du fait que l’un corrigeait les outrances de l’autre et vice-versa. Aussi, m’étant, comme nombre de Français détourné de la « pratique » religieuse, je suis persuadé que le message de paix et d’amour du Nazaréen devrait plus que jamais être écouté.
    Notre planète bleue serait tellement plus belle !

  6. La cathédrale Ste- Réparate à NICE pour la Messe de minuit , avec le 1er Adjoint et l’évêque , était archi-comble !!!

  7. Lors de la Révolution française il y eut une phase de déchristianisation qui a laissé des traces dans le paysage politique actuel.

  8. L’ Anticatholicisme ou antichristianisme ne sort que des haines de soi qui dont partie d’une repentance généralisée dans un pays en bonne voie de déchristianisation comme l’analyse Marcel Gauchet à travers une oeuvre philosophique plus que trentenaire. Voir son dernier et conséquent livre : Un nouveau monde.

  9. Il faut se rappeler que la loi sur la laïcité a en fait été créée et votée par un bloc de gauche franc-maçon contre l’influence de l’église catholique … dont la hiérarchie avait probablement oublié certaines paroles fondamentales de l’évangile : « mon royaume n’est pas de ce monde » ou « rends à César… » et à une époque où l’Islam était dans un « creux de vague », puisque ses zones d’influence étaient contrôlées ou colonisées par les puissances occidentales. A une époque où les mêmes politiques claironnaient amener les valeurs de la civilisation aux peuples colonisés ! J’ajouterai à ce texte extrêmement clair que, à mon point de vue, la laïcité ne pourra rien contre cette théocratie intolérante (dans son fonctionnement sociétal : nourriture, mariage, apostasie …)aujourd’hui minoritaire (mais la pyramide des âges de l’ensemble du monde occidental est bien inquiétante).
    Nos petits enfants connaîtront-il la dhimmitude ?
    Je pense que ces « laïcards » ne sont que les « idiots utiles » de l’Islam.

  10. En fait je pense que c’est l’inverse ! la perversion du monde Occidental fait que le quitter devient une nécessité absolue . le catholicisme là dedans est combattu par le bloc occidental lui même (en tout cas concernant la France) Le Bolivarien Hugo Chavez , chrétien mystique l’avait bien compris !

  11. Jean-Dominique Gladieu // 26 décembre 2017 à 11 h 57 min //

    Bien évidemment, l’article de Mathieu Bock-Côté est lumineux de bon sens.
    Mais si nos anticatholiques primaires (je précise que pour ma part je suis parfaitement agnostique) veulent pousser leur logique jusqu’au bout, pourquoi ne demandent-ils pas l’annulation pure et simple de toutes les fêtes chrétiennes du calendrier (Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption, Toussaint et bien sûr Noël) voire la suppression du calendrier grégorien lui-même ? Et je vous fait grâce du dimanche, jour du seigneur !
    Cela s’est fait par le passé avec le calendrier « révolutionnaire » qui s’est traduit par un rallongement du temps de travail (entre autre : suppression des 4 dimanches mensuels remplacés par 3 « décadis ») parfaitement contre-révolutionnaire ! Et je vous fait encore grâce de la prétendue « déchristianisation » qui n’a servi qu’à occulter les vrais problèmes de fond et à préparer le terrain pour les « thermidoriens ».
    Mathieu Bock-Côté a raison : il est plus que temps d’en finir avec les pièges à cons.

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