Les syndromes totalitaires

par maxime tandonnet

Système totalitaire ne s’entend pas strictement au sens de jadis, celui des régimes soviétique, fasciste et nazi, fondés sur la violence et le meurtre de masse. Pourtant, nos sociétés des années 2010 comportent étrangement, à bien des égards, des caractéristiques du monde totalitaire que l’on croyait définitivement anéanti. Le totalitarisme renaît, plus vivace que jamais, sous des formes certes différentes, avec la violence d’État en moins, rendu intolérable par la médiatisation, mais plus sournois, plus subtil, plus pervers. Les signes d’une société totalitaire en gestation, nous les ressentons au quotidien.

  • Le mythe du chef, autour d’un dirigeant surexposé, au centre de la lumière médiatique, présenté comme l’incarnation du pouvoir alors que s’effacent les autres pôles de pouvoir, soumis ou affaiblis, gouvernement, parlement, partis politiques, collectivités territoriales. Cependant, à la grande différence des totalitarismes du passé, le nouveau chef est privé d’autorité et de leviers d’action efficaces sur le monde réel, sa puissance se déployant essentiellement dans un monde virtuel et mythique. Il règne avant tout par la communication (tweets, postures médiatiques, faire-semblant, images) et non à titre principal sur le monde des réalités. Tout pouvoir se ramène au reflet d’un visage, ce qui le rend à la fois déconnecté du monde réel et immensément fragile.
  • La puissance d’une idéologie dominante, qui rayonne sur le monde occidental, fondé sur le libre arbitre de l’individu roi, la négation des frontières et des nations, le culte des minorités et de la société ouverte. L’idéologie contemporaine, comme tous les totalitarismes du passé, vise à engendrer un homme neuf, un nouvel être humain (vaut-il mieux dire) interchangeable, sans passé, sans racine, indifférencié, indéfiniment malléable et servile.
  • La liberté de pensée et d’expression bafouée. Certains thèmes, au fil du temps deviennent absolument tabous. Toute forme d’expression qui n’est pas conforme à l’idéologie dominante est bannie, en rapport avec les thèmes des relations entre les sexes, l’orientation sexuelle, les minorités, la diversité, l’immigration, l’Europe, etc. Ceci n’est qu’un constat : jadis, il y a quelques décennies, il était possible d’avoir un avis divergent et de l’exprimer. Il était même possible de plaisanter, y compris à la télévision. Aujourd’hui, non. Il faut être dans le rang. Regardez à tout hasard les sketchs de Coluche (années 1980) ou des Inconnus (1990). Les deux tiers seraient interdits par le politiquement correct.
  • Les châtimentsde tout comportement divergent ont changé : ce n’est plus la hache des bourreaux, les camps de concentration, ou les hôpitaux psychiatrique, mais le lynchage médiatique. Celui qui, d’une manière ou d’une autre, sort du droit chemin est pris en chasse par les réseaux sociaux et les médias, roué de coups, insulté, traîné dans la boue, son honneur est bafoué. Les conséquences ne sont évidemment pas les mêmes, mais le risque de cette souffrance intime suffit à imposer le silence ou le conformisme (sauf à quelques inconscients…)
  • Une société sous surveillance. À tout moment, chacun est susceptible d’être enregistré, filmé, écouté, dénoncé. Certains sites Internet se sont spécialisés dans la délation de masse. La délation est banalisée, revendiquée (« balancetonporc») Tout faux pas, parole de travers, sortie incontrôlée comporte le risque de se trouver au cœur d’une polémique, méritée ou non. Tout se sait, tout remonte, tout sort. Big Brother est à l’œuvre. Un vieux député socialiste déchu a été sanctionné pour défaut de titre de transport. Qu’il soit sévèrement sanctionné, oui, mais a-t-on besoin de l’étaler sur la place publique ? D’en ricaner ? Et jusqu’où ?
  • Le déni du réel : l’essentiel du nouveau monde dans lequel nous vivons est de dissimuler la vérité. Voyez comme, au fil du temps, les statistiques disparaissent de notre paysage. Les chiffres de la délinquance, des migrations, qui étaient autrefois diffusés mensuellement ont été au fil du temps complètement éradiqués. Il fallait s’y attendre, la dernière statistique, celle du chômage, est en train d’être remise en cause. Les « braves gens » n’auront dorénavant plus accès aux statistiques mensuelles, mais ils ne connaîtront que les trimestrielles, demain, elles seront annuelles et puis, plus personne n’en parlera : le chômage sera devenu tabou. Quant à la situation désastreuse de certains quartiers, communautarisme islamiste, violence quotidienne, trafics, échec scolaire : silence, plus personne n’en parle.
  • Une presse uniforme : la mise au pas de 80% de la presse quotidienne ou hebdomadaire est un phénomène spectaculaire. Prenez l’immense majorité de la presse quotidienne, régionale, les grands journaux parisiens, le Monde, les Échos, les hebdomadaires, le Point, l’Express, l’Obs, Paris-Match, ils disent tous exactement pareil, au mot, à la virgule près, sur l’Europe, sur la politique française, sur Trump et les Etats-Unis, sur le Moyen-Orient, sur les migrations. Il reste Marianne, Charlie Hebdo, le Figaro, Valeurs actuelles pour garder une tonalité divergente. Mais pour combien de temps ? Je ne sais pas si jamais dans l’histoire contemporaine, disons depuis 1945, la morale du troupeau a ainsi régné sur la presse.
  • La table rase : la chasse au passé, à la connaissance de l’histoire est désormais entrée dans les mœurs. L’enseignement de l’histoire a été largement aboli dans les établissements scolaires français au profit d’un vague enseignement sur les civilisations. La monarchie, la Révolution, les guerres, napoléoniennes ne disent plus grand chose aux jeunes générations Le centenaire de la Grande Guerre, cet événement fondateur, est largement occulté. Les traces du passé sont pourchassées, jusqu’à la tentation d’éradiquer les croix des paysages, de détruire les statues des grands hommes de l’histoire.
  • Le sport comme obsession : les deux grands événements français de ces derniers mois : l’attribution des JO 2024 à Paris puis la coupe du monde de rugby de 2023. Ce n’est pas le sport qui est ici critiqué, mais l’obsession du sport, comme moyen de distraire le peuple, d’exalter la force physique et le chauvinisme de base. Une vieille recette des régimes totalitaires, Berlin, 1936, URSS et ses athlètes sur-dopés.
  • La crétinisation de masse : L’idéologie du nivellement qui emporte tout sur son passage comme un rouleau compresseur. Il faut briser l’intelligence collective, la connaissance, le savoir. Le bac a longtemps constitué un étalon de l’acquisition du savoir de base, récompensant le mérite intellectuel. L’ouvrir par tous moyens à 80% de la population en a banalisé le sens. De multiples études soulignent l’effondrement du niveau des jeunes Français, en mathématiques, en orthographe et un vertigineux déclin du quotient intellectuel. On veut aller encore plus loin désormais, par exemple en supprimant les séries du bac, ce qui reviendra à en réduire encore les exigences.
  • Le mépris du peuple : bien sûr, on fait semblant de l’aimer et de le respecter puisqu’en principe, en théorie, nous sommes en démocratie. Cependant la société moderne se caractérise par une profonde fracture et qui ne cesse de se creuser, entre l’infime minorité influente, bavarde, médiatisée, et l’immense majorité silencieuse. Et l’idéologie dominante donne une part croissante au mépris du peuple, de la « vile multitude ». Il est devenu totalement hors de question d’écouter ce que le peuple aurait à dire. Plus on l’invoque (« je suis le candidat du peuple ! »), plus on le méprise, comme on méprise ses angoisses et sa souffrance qui doivent être niées ou alors exploitées le temps d’une campagne à des fins électoralistes. C’est ainsi que dans la France « dite d’en haut », le mot « populiste » est devenu l’insulte suprême.

 

6 commentaires sur Les syndromes totalitaires

  1. Tout à fait d’accord avec vous et quand on essaye d’aborder le sujet avec les gens qui nous entourent beaucoup semblent surpris de ce que je leur dit, ne comprennent pas, ne croient pas, ne réalisent même pas ou l’on en est ! Ceux qui penchait un peu à gauche sont devenu des apôtres de la france insoumise à la sauce Mélenchon, sans réaliser qui plonge dans une autre dictature qui sera violente celle là si elle abouti un jour. La dictature molle est bien plus sournoise que les dictatures d’antan, car elle ne contraint pas le peuple, elle le lobotomise en douceur, c’est terrifiant.

  2. Nous vivons la globalité sous toutes se formes et Maxime Tandonnet met en exergue ,au travers d’une riche analyse, le pouvoir des « profiteurs de l’ignorance » dont à juste titre ce syndrome se mue en maladie congénitale pour les responsables politiques de la France (Pas tous peut-être ?).

  3. Le mensuel causeur est bien également (avec gaullisme .fr !! ) ….Pessimiste l’article MT …. ! Le QI des Français baisse , on devient nounouilles ,à l’image de ce pitre , bouffon dangereux et malsain de Hollande pendant 5 ans pour RIEN !! Macron est beaucoup plus sain ,en contraste c vrai , et va dans le bon sens ,espérons ….! FILLON eût été épatant , mais étant trop  » réformiste  » , le Peuple , méfiant ,se veut  » prudent  » ….

  4. Je partage l’essentiel des observations de Maxime Tandonnet quant au danger de la référence exclusive au  » chef » à la presse uniforme ( et en uniforme pourrais-je ajouter) quant au mépris du peuple et à la négation méprisante de ses angoisses et de ceux qui les révèlent.

    Je crains, hélas, que la racine du mal qui permet d’installer un totalitarisme mou et, heureusement sans effusion de sang soit grave.

    Tout se passe comme si le peuple français était devenu conformiste et que Gavroche avait renoncé à se relever.

    Apres tout, c’est en France que les moqueries à l’égard de ceux qui envisageaient que Trump puisse être élu ou même candidat ont été les plus fortes. Si on secouaient de la presse étrangère, c’est en France que le Brexit est apparu le plus impossible. c’est en France que tout commentateur qui osait dire que Syriza pouvait gagner se faisait toiser par les autres comme un imbécile.

    Emmanuel Macron est l’homme de tous les conformismes. Tout ce qu’il nous raconte est le reflet sans nuance des propos tenus par la classe moyenne dans les dîners en ville. Il exploite admirablement le filon.

    Nous gaullistes nous n’avons pas le droit d’être conformiste. Ce n’était certes pas conformiste que de lancer l’appel du 18 Juin, d’ouvrir des discussions avec le FLN ou de reconnaitre la Chine à la stupéfaction des chroniqueurs.

    Nous sommes par conséquent en grande difficulté. Peu importe. Gavroche se réveillera et Bécassine qu’ils traitent de bornée aussi. Ce qui compte c’est que ce jour là nous leur ayons préparé une perspective qui, sans doute fera dans l’instant rigoler les sachants mais à laquelle ils pourront adhérer.

    Quand ? c’est bien la seule chose que je ne puisse dire. mais est-ce si important ?

    Etienne Tarride
    Nous autres Gaullistes, n’avons pas le droit d’être conformiste

  5. Dubost Viviane // 18 novembre 2017 à 19 h 35 min //

    Merci Monsieur Maxime TANDONNET pour vos deux derniers articles. Pourquoi êtes-vous une des rares personnes qui ose dire la vérité? J’ai beaucoup apprécié aussi votre précédent article. Effectivement,dans le monde du travail, si nous pensons différemment de la majorité de nos concitoyens, toutes sortes d’ignominies, de graves violences psychologiques sont inventées dans le but de licencier celui ou celle qui dérange…Quelle Autorité acceptera de croire et de réhabiliter la victime de mensonges indignes de personnes de pouvoir?

  6. J’adhère à 200% à ces propos de Maxime Tandonnet qui sont d’une pertinence telle qu’ils eussent pu être écris par notre illustre général s’il eut vécu de nos jours.

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