Henri Guaino : « Les enfants gâtés de mai 68 qui nous ont légué cette société égoïste, cynique et nihiliste sont aujourd’hui devenus macroniens »

Henri Guaino

L’Élysée veut organiser des célébrations autour de mai 68 parce qu’il trouve le discours ambiant sur cet événement « maussade ». Pour Henri Guaino, cette révolution estudiantine revendiquant un individualisme forcené et le relativisme moral ne mérite pas d’être un exemple.

Atlantico : L’Élysée confirme réfléchir actuellement à des célébrations de mai 68 et en serait au stade des consultations à ce sujet. Qu’est-ce que cette volonté de commémoration de ces événements révèle du macronisme ? 

Henri Guaino : Il y a une profonde contradiction entre l’analyse, assez juste, d’Emmanuel Macron sur la nécessité de rétablir l’autorité de l’Etat et une certaine verticalité avec la volonté de commémorer, c’est-à-dire de célébrer officiellement mai 68 qui fut l’une des contestations les plus radicales contre toute forme de hiérarchie, d’autorité, de verticalité.

Mais il est vrai que beaucoup de ceux qui ont été des figures de mai 68 sont devenus macroniens  et je ne pense pas à l’ultragauche ultra politisée, ni aux ouvriers qui réclamaient des augmentations de salaires mais je pense aux leaders des étudiants qui faisaient qui faisaient leur crise d’adolescence attardée en écrivant sur les murs « il est interdit d’interdire », « jouir sans entraves » ou plus bête encore « CRS=SS ». Derrière cette revendication des enfants gâtés des 30 glorieuses qu’y avait-t-il sinon la revendication d’un individualisme forcené, la valorisation de l’égoïsme, le relativisme moral, l’idée que tout se vaut, et c’est bien le monde que ces étudiants qui jouaient à la révolution nous ont construit une fois qu’ils ont occupé tous les postes de responsabilité pendant les décennies qui viennent de s’écouler. C’étaient des jeunes gens qui avaient, à l’époque, la chance de faire des études supérieures et qui venaient en général de milieux privilégiés pour la plupart, et qui étaient appelés, par la suite, à diriger à la fois l’administration, l’économie, la culture, l’Université. Les libertaires d’hier sont souvent devenus les ultralibéraux d’aujourd’hui, les apôtres cyniques d’une mondialisation exempte des règles de la morale.

Atl : 50 ans après, quel bilan peut-on dresser de mai 68. Quels en sont les aspects positifs et négatifs ?

En dehors de la thérapie collective que peut donc bien avoir eu comme conséquences positives ce défoulement estudiantin ? Il y a simplement ce que Georges Pompidou appelait à cette époque-là le premier signe d’une crise de civilisation qui n’en finit pas de s’aggraver. Il s’agissait de la première manifestation visible de la crise de la société de consommation, de son vide spirituel, de son matérialisme étriqué, et mai 68 n’apporte aucune réponse qui permette de combler ce vide. Il exprime simplement le désarroi d’une partie de la jeunesse encore une fois privilégiée, qui fait des études, dans une société de plein emploi.

J’ai cru comprendre que l’Élysée voulait célébrer mai 68 en commémorant à la fois le mai 68 français, qui est déjà très divers entre celui des ouvriers et celui des étudiants qui n’ont aucun rapport, mais également le printemps 68 américain qui était celui d’une jeunesse qui ne voulait pas être enrôlée pour aller faire la guerre dans les rizières du Vietnam, ce qui est une motivation bien différente. Alors quel point commun entre les campus américains et l’occupation de la Sorbonne : la libération sexuelle ? Mais la société française de l’époque était bien moins puritaine que la société américaine et la loi Neuwirth sur la libéralisation de la contraception en France date de 1967 et ne doit rien aux barricades de mai 68. Quant au printemps de Prague, osez le comparer aux étudiants qui jouent à la révolution sans risque en jetant des pavés sur les CRS, le rapprochement a quelque chose d’indécent : d’un côté un peuple qui cherche à se libérer d’une dictature totalitaire et contre lequel on envoie les chars du Pacte de Varsovie, et de l’autre des enfants gâtés qui vivent dans une démocratie, un pays de liberté et insulte le Général de Gaulle qui a sauvé deux fois la démocratie et les libertés.

Atl : Dans le sens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, quelle critique constructive, voire « moderne » pour éviter le qualificatif de « ringard », pourrait être formulée de ces événements par une droite républicaine ?

D’abord cessons d’être terrorisé par les mots de l’adversaire : « Ringard » est l’insulte que l’on envoie à la figure de ceux avec lesquels on est en désaccord lorsque l’on est à bout d’arguments, comme si l’air du temps devait être l’Ultima ratio de la pensée et de l’intelligence. Je ne trouve pas que l’air du temps d’aujourd’hui respire l’intelligence et le bonheur de vivre. En tout cas ce n’est pas celui de mai 68 : à l’époque tout le monde vivait dans l’idée que les lendemains seraient meilleurs et que les générations à venir vivraient mieux. Aujourd’hui de plus en plus de gens sont confrontés aux difficultés de la vie quotidienne, nous avons depuis longtemps quitté l’ère de la prospérité, nous vivons dans un monde où il y a encore plus de de violence et de désordre et qui est plus dangereux que celui de la fin des années 60. Les étudiants français de mai 68 n’avaient plus du tout conscience que l’histoire pouvait être tragique et la condition humaine aussi. Alors que nous vivons aujourd’hui dans une époque où le tragique nous ressaute à la figure, nous vivons avec cette dimension tragique de l’histoire, comme d’ailleurs les praguois du printemps de Prague la vivaient aussi. La question n’est pas de savoir si l’on est ringard ou moderne la question est de savoir si on valorise les actes, les idées, les slogans de mai 68, si l’on valorise l’attitude des étudiants qui criaient « CRS SS », et si l’on en fait des exemples, ou si, au contraire, on s’inscrit dans une opposition à ce qui a été exprimé à ce moment-là. C’est-à-dire une forme particulière de nihilisme qui nous a conduit à une forme de société égoïste, cynique, individualiste. Faudrait-il donc se féliciter que cette génération nous ait légué la crise de l’autorité, la démolition de l’école de la République, la contestation de la transmission, qui n’ont pas été vraiment des cadeaux pour les générations suivantes.

Mai 68 appartient à notre histoire, c’est un fait. Il n’est donc pas question de refaire l’histoire, de l’ignorer, mais la question est de savoir si nous devons nous en inspirer comme nous pouvons nous inspirer du courage des poilus de 14-18 dont allons célébrer le 100e anniversaire de l’armistice l’année prochaine. Allons-nous construire la société de demain sur les valeurs des soixante-huitards ou allons-nous la reconstruire avec d’autres idées et d’autres exemples. Les barricades et les slogans de mai 68 mis à l’honneur par une célébration officielle, hissée au même rang que le printemps de Prague, ou la tragédie des tranchées, ce serait quand même un peu pathétique. Mais cela en dirait long sur l’idéologie qui nous gouverne.

9 commentaires sur Henri Guaino : « Les enfants gâtés de mai 68 qui nous ont légué cette société égoïste, cynique et nihiliste sont aujourd’hui devenus macroniens »

  1. Jean-Dominique Gladieu // 2 novembre 2017 à 16 h 30 min //

    Cher Edmond Romano, me permettrez-vous, pour une fois de ne pas être entièrement d’accord avec vous ?
    Je ne crois pas, en effet, que Mélenchon soit un « gauchiste qui se drape dans le drapeau tricolore pour masquer le drapeau rouge ». Je crois au contraire qu’il se drape dans le drapeau rouge pour masquer le drapeau européen !
    C’est un miterrandien bon teint qui a mené bataille pour le « Oui » au référendum de Maastricht en 1992. Mais il fait l’analyse qu’il a besoin pour exister de l’appui des forces de gauche … comme son mentor l’avait fait dans les années 70.
    N’oublions pas les discours ultra-révolutionnaires (dans la forme) de Mitterrand à la grande époque du Congrès d’Epinay ou du Programme Commun pour ensuite en revenir au libéralisme et à l’atlantisme. et on connaît la suite.
    C’est l’occasion pour s’adresser aux gens de « gauche » qui se reconnaissent dans le « souverainisme » : l’avenir n’est pas dans le mélenchonisme mais dans l’unité de tous les partisans de la Souveraineté du Peuple et de l’Indépendance Nationale quelques soient les horizons politiques dont ils proviennent.

  2. Gilles Le Dorner 77 // 29 octobre 2017 à 9 h 23 min //

    Que voulez vous , les Français ont voté en 2017 puis se sont abstenus aux législatives , et on en a pris pour cinq ans , c’ est ainsi

  3. Mai 68 fera-t-il des petits en Mai 2018 pour donner au « chérubin du palais » les motifs de se comparer au Gl de Gaulle ?

  4. Gilles Le Dorner 77 // 27 octobre 2017 à 19 h 32 min //

    A voté Non , comme d’ autres , au referendum de 2005 , et , sans tendre la perche et être de ce fait obligatoirement taxés d’ imbéciles qui ne changent jamais d’ avis , même constitutionnellement , Non ce n’est pas Oui

  5. Edmond Romano // 27 octobre 2017 à 14 h 22 min //

    Prendre contact et se rapprocher de Mélenchon? Est-ce la dernière plaisanterie à la mode? Mélenchon et ses sbires sont des gauchistes internationalistes qui se drapent dans le drapeau français pour masquer le drapeau rouge et accéder au Pouvoir. Ils sont dangereux, cyniques et représentent le plus grand danger pour la démocratie. Je ne comprends pas ce que des gaullistes iraient faire avec eux. « Le diable se pare toujours d’habits de lumière pour séduire ».

  6. Mai 68 !! La majorité gaulliste de Juin 1967 avait une seule voix d’avance !! C’est pour ça que la gauche a essayé de prendre le pouvoir avec cette nouille de Mitterrand !! ça a duré 15 jours , puis une majorité incroyable pour De Gaulle après la dissolution !! Aucun avantages : L’avortement 1967 ,les épouses signaient déjà les chèques , la pilule existait aussi , mais le pouvoir économique à droite , et le pouvoir  » intellectuel  » à gauche à l’Université , infestée de marxistes !! Et Edgar Faure qui ne voulait pas sélectionner en Fac pour avoir la paix !!! La gueule de Kohn rigolant devant les CRS a fait le tour du monde!! Là c’est sympa … Sinon , que dalle ! Très pervers ET délirant …..!!

  7. Jacques Payen // 25 octobre 2017 à 16 h 53 min //

    Pensée claire. Expression limpide. Jugements pertinents. Sens de la perspective historique. Du pur Guaino !

    Un parti qui met à l’écart une telle pointure ne mérite pas de retourner au pouvoir.

  8. Jean-Dominique Gladieu // 25 octobre 2017 à 12 h 18 min //

    Point de vue lucide dans l’ensemble.
    Attention toutefois à ne pas limiter Mai 68 aux gesticulations de quelques uns devenus effectivement par la suite promoteurs d’un système qu’ils prétendaient combattre alors.
    Mai 68, ce sont aussi 10 millions de grévistes qui, eux, ne faisaient pas « une crise d’adolescence attardée ».
    S’il fallait apporter une critique constructive à Mai 68, ce serait de n’avoir pu faire la jonction avec le gaullisme. Ce qu’ont tenté de faire à l’époque les Gaullistes de Gauche. Je pense notamment à David Rousset qui mène campagne lors des législatives de Juin 68 en reliant les revendications des contestataires au projet du Général.
    En effet, la crise de 68 est mondiale et s’articule pour une très large part autour des questions palestinienne et vietnamienne. Or, De Gaulle avait clairement (discours de Pnohm Penh) pris ses distances avec les USA et Israel (ce fameux « peuple trop sûr de lui et dominateur »).
    Donc, si un pays présentait un terrain politique favorable à une Révolution, c’était bien la France. Mais encore aurait-il fallu que les dirigeant du mouvement de contestation aient eu l’intelligence de comprendre que l’intérêt du mouvement était de soutenir De Gaulle et de lui offrir ainsi l’opportunité de mettre la droite au pas.
    C’est ce qui s’appelle une occasion manquée.

  9. Je n’ai pas attendu Henri Guaino pour connaître les aspects délétères de Mai 68; Lire les livres de Jean-Pierre Le Goff paru en 1988 et celui de régis Debray « Mai 68, une contre-révolution réussie ». De plus Henri Guaino est un homme seul, plus encore que ne le fût en son temps Philippe Seguin.
    Il est plus important de suivre l’évolution en cours de Jean-Luc Mélenchon sur la question de l’UE et de la nécessaire souveraineté lors de son discours du 23 octobre dernier à l’Assemblée nationale. Prendre des contacts avec lui et les siens pour essayer d’accentuer son évolution patriotique-souverainiste. Leur montrer qu’il y a là un électorat potentiel décisif, le problème est de leur faire prendre conscience qu’on ne peut courir deux lièvres à la fois: une inutile et incertaine 6è République et tout le projet politique, économique et social qu’implique le retour à la souveraineté nationale dont le peuple est le détenteur.

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