La consultation médicale est-elle appelée à disparaître ?

par Dr Jack Petroussenko

La meilleure des médecines est celle où le médecin est présent. Mais la télémédecine a fait son apparition et en raison de l’engouement qu’elle suscite on peut se demander s’il en sera toujours de même.

La consultation médicale habituelle au cabinet est un échange en tête à tête entre malade et praticien. Le patient demande un diagnostic, et un traitement, qui le guérit ou l’améliore. Le médecin, doit l’examiner, rédiger une ordonnance et fixer éventuellement un autre rendez-vous. Si la question est difficile il demande des examens complémentaires, voire l’adresse à un spécialiste. Le patient règle les honoraires et le médecin lui remet une feuille de maladie destinée au remboursement par la SS. Aujourd’hui la carte vitale remplace la feuille de maladie par télétransmission. Une participation financière du malade qu’on appelle le ticket modérateur est susceptible d’être remboursée par une mutuelle si le malade en a une, et le justificatif est transmis par la même voie.

La visite au domicile obéit au même schéma, sauf le lieu qui est le domicile du patient et les honoraires qui font l’objet d’une majoration.

Dans les deux situations obligatoirement il y a une rencontre et un contact entre malade et médecin, avec interrogatoire, examen, conclusion. Cette rencontre est physique, non virtuelle. Il en sera de même avec un spécialiste. Le contact direct et le dialogue ont un effet rassurant.

La transmission limitée au dossier est en train de s’étendre au diagnostic sur le malade pour de multiples raisons.

En effet il y a aujourd’hui des inégalités de soins entre deux régions, deux départements deux bassins de population. De plus certains malades sont éloignés, ou ne peuvent pas se déplacer, ou n’en ont pas les moyens Il y a aujourd’hui des déserts médicaux ou il n’y a pas de médecins, et d’autres régions ou il y en a de trop. La répartition est très mauvaise. Il y a aussi des médecins débordés qui ne peuvent pas voir tout le monde et reportent les rendez-vous Il y a donc de sérieuses questions que les pouvoirs publics doivent à tout prix résoudre, pour que règne une égalité de soins, toujours obligés d’être de qualité en 2017. C’est pourquoi aujourd’hui on fait appel à la télémédecine qui permettrait de trouver des solutions pour installer durablement l’égalité des soins.

Précisons pour ne plus en parler que la télémédecine est un progrès notable, mais qu’elle ne résoudra que des problèmes techniques simples avec des solutions faciles à mettre en œuvre En aucun cas la télémédecine ne saurait résoudre la question des déserts médicaux Ceux-ci sont le résultat des politiques de la santé menées jusqu’à présent. Si les médecins abandonnent certains territoires, ou ne veulent pas y venir s’installer, c’est qu’ils ne sont pas attrayants pour de multiples raisons qui sont entre les seules mains des responsables politiques. C’est un problème de société dont ne sont pas responsables les médecins.

Si la télémédecine est un grand progrès, elle reste une médecine virtuelle, qui se fait à distance et devra faire ses preuves. Il est certain qu’elle les fera, mais elle ne pourra pas résoudre toutes les questions. Il faudra vaincre outre divers problèmes tels que la culture de la pratique médicale depuis Hippocrate, avec un contact physique, et une ordonnance rédigée par le médecin, la liaison entre médecins et malades, l’installation, l’utilisation, le maniement et la qualité du nouveau matériel. En outre en télémédecine la simplicité soulève bien des problèmes. Un exemple : rédiger une ordonnance et la transmettre sans examiner le malade. Qui osera ? Quelle est la responsabilité en cas d’erreur ou de perte d’information ? Il suffit d’une panne d’électricité pour que la meilleure informatique devienne inutilisable. D’ailleurs une informatique que malades ou gens âgés ont toujours des difficultés diverses à utiliser correctement.

Ainsi dessinée la télémédecine regroupe 4 chapitres. La téléconsultation, la télé expertise, la télésurveillance, et aussi la téléassistance.

La téléconsultation est de la médecine pour tous, certes mais avec des limites, tout se passe sur deux écrans. Écran malade et écran médecin. Elle permet l’échange verbal ou écrit, mais pas l’examen physique sauf ce qui est visible, pas de palper, pas d’auscultation, (sera probablement possible) pas l’odeur parfois si caractéristique, pas le gout qui n’est plus de mise aujourd’hui. Pour l’anecdote nos anciens confrères goutaient encore il y a peu la sueur des enfants atteints de mucoviscidose…l’information reste donc très incomplète pour un diagnostic et donc un traitement. Si un médecin présent au chevet du malade a fait l’examen, mais « sèche » il peut faire appel a un spécialiste pour l’éclairer. Le téléphone était déjà un grand progrès. Certaines pathologies, nécessitant un examen physique approfondi, sont d’emblée exclues du champ de cette pratique. Une téléconsultation peut rassurer et l’examen fait ultérieurement. Elle permet une meilleure diffusion des progrès faits en médecine ?  Mais cela ne concerne que le médecin. Les revues professionnelles, les stages de formation continue, améliorés par la télévision font vite connaitre les dernières découvertes. Être informé de celles-ci en temps réel, offre rarement un intérêt immédiat dans le cadre de la télémédecine. Recevoir les meilleurs conseils par télévision des plus éminents spécialistes quel que soit le lieu du domicile dans l’immédiat est illusoire, elle se heurte à la barrière, de la disponibilité, du cas de la personne demandeuse, et des honoraires. Internet peut suffire. C’est aux Médecins en outre de décider s’il y a lieu de donner l’information au malade et décider qui doit la recevoir. La télémédecine loin de rapprocher ainsi le praticien de la population, restera impersonnelle et l’éloignera certainement de son patient. Supposons qu’il soit très sollicité ?

Définie et organisée d’abord à un niveau international, notamment par des directives de l’Organisation Mondiale de la Santé en 1997 en France, elle est encadrée par la loi Bachelot HPST (Hôpital, Patient, Santé, Territoires), adoptée en 2009 qui a installé les consultations par télémédecine, la télésurveillance, la télé assistance et la télé expertise. Instaurée en 2014, la télémédecine était destinée à l’insuffisance cardiaque et aux plaies chroniques, dans neuf régions. À la fin de l’année 2016, le gouvernement l’a généralisée à toutes les affections de longue durée dans toutes les régions de France. La tarification des honoraires pose encore problème. Une feuille de soins serait nécessaire pour que le patient puisse être remboursé de sa consultation. Car si tout est virtuel, bien des abus pourraient se faire. En revanche, ne seraient pris en charge par l’assurance maladie que deux cas : le patient accompagné par un praticien, consultant un médecin à distance, et un médecin donnant son avis à un confrère, en l’absence de son patient. Seul le professionnel interrogé serait rémunéré. Le suivi des patients à domicile pourrait être tarifé à l’abonnement. Ce n’est pas encore très clair.

Même si des progrès et des évolutions sont attendus ces téléconsultations nécessitent avant tout des compétences et une formation particulière des médecins, en ce qui concerne la communication avec les patients. C’est en cours.

La télésurveillance existe déjà pour les logements, les entreprises, les banques. La Surveillance de locaux vides qui doivent le rester, est connue. Elle commence seulement en matière de santé car surveiller des êtres vivants, n’est pas du même ordre. Il faut avoir présent à l’esprit que ce n’est pas un appareil qui viendra secourir le patient. Quelqu’un doit intervenir mais pour cela il faut du personnel en nombre suffisant prêt à le faire. Elle ne remplacera jamais une consultation mais elle peut aider en complément. Elle a son utilité dans les apnées du sommeil chez les sujets jeunes ou d’âge moyen, notamment pour contrôler certains constantes (tension, rythme cardiaque, …). En gériatrie chez les gens plus âgés la télésurveillance trouve son meilleur emploi et surtout dans les EHPAD (établissements d’hospitalisation personnes âgées dépendantes) pour les maladies chroniques et les « queues » d’hospitalisation. Son utilité est d’améliorer le suivi à distance de pathologies chroniques à domicile, ou pour des malades de peu d’autonomie. Favoriser le maintien à domicile est un moyen utile, ce n’est pas un but, car on ne règle pas la question de la dépendance. On sera dépendants d’une plateforme capable d’envoyer quelqu’un dans les meilleurs délais. Certes les abus seront moins nombreux mais une plateforme rodée qui fonctionne de manière parfaite sera indispensable ainsi qu’un personnel disponible. Autrement dit SOS médecins, SOS infirmières etc. la télésurveillance permettra d’éviter aussi les hospitalisations inutiles et autoriser le retour au domicile, mais seulement pour les patients en fin de traitement, avec le même résultat pratique que le bracelet alarme qui existe depuis des lustres On ne peut pas espérer suivre un malade aigu à distance.

La téléassistance médicale (TAM) permet à un praticien d’en assister un autre au cours d’un acte médical, chirurgical, obstétrical, para médical ou radiologique. Ce domaine d’assistance n’en est qu’à ses débuts, mais il est prometteur. Il peut servir dans des situations d’urgence. Une anecdote la réalisation chirurgicale d’une ablation de la vésicule biliaire par-dessus l’océan atlantique malade aux États unis chirurgien à Paris. On voit que le champ des possibles est large. Par exemple, une opération dans des conditions d’isolement géographique (pôle nord) est possible à condition d’installation suffisante et prête à l’utilisation, avec un minimum de mains humaines.La TAM est soumise à des règles de droit. Il faut le consentement du patient, qui doit être correctement informé et peut, à tout moment, s’y opposer. Les praticiens qui réalisent l’acte doivent être clairement identifiés auprès du patient. On doit reporter les actes médicaux dans le dossier médical. Les modalités de prise en charge de l’acte de télémédecine doivent être définies d’avance avec le patient. L’acte peut être pris en charge par l’Assurance maladie sous certaines conditions prévues dans le code de la SS, mais en général c’est une médecine payante d’ordre privé.

La télé expertise médicale appartient grandement à la télé assistance médicale. C’est demander l’avis d’un praticien plus compétent pour aider à résoudre un problème épineux sur un cas particulier dans un domaine de la médecine. Cette activité soulève davantage de problèmes de déontologie, de responsabilités, de rémunération, de cadre de pratique de pertinence de l’information, et de compétence que de problèmes techniques, sans parler de la fiabilité du matériel, « Au-delà des réticences des praticiens vis-à-vis d’une technique informatique avec laquelle ils sont peu familiarisés, la crainte du flou juridique qui encadre la télé-expertise est l’origine de bien des hésitations »(ODM)

Nous n’avons pas évoqué la question des matériels, des installations télématiques qui sont réputées parfaites et fiables on ne sait pourquoi. Rien n’est moins sûr. Or on en connait les insuffisances, les pannes, les piratages etc. Et à condition de ne pas l’installer dans une pharmacie on est bien loin de pouvoir mettre tout un chacun dans une cabine de télémédecine, couteuse et souvent peu rentable, mais qui peut rendre service aux malades, très loin de tout et en phase non aigue. J’aurai l’occasion de voir comment on pratique ces matériels, la pertinence de leur information et les précautions nécessaires.

Pour conclure il faut regarder la télémédecine d’abord comme une pratique médical utile, qui trouvera ses limites, tout en étant appelée à un certain développement dans nombre d’endroits. Mais ne pas la regarder comme la panacée qui luttera contre les déserts médicaux, elle aidera seulement à une égalité de soins.  il sera indispensable d’assurer la formation des praticiens à cette médecine à distance, pour qu’elle soit efficace et résoudre une à une toutes les questions qu’elle soulève. Cela demandera un certain temps. Pour répondre à la question posée dans le titre la consultation ne peut pas disparaitre, mais elle subira des modifications. Comme toute innovation elle doit trouver un point d’équilibre dans son utilisation en médecine de tous les jours. Souhaitons que les couts ne soient pas la principale préoccupation.

Dr Jack Petroussenko,
Membre du CA du Forum Pour la France et du CNR,
Membre du CA de l’association « Gaullisme.fr »

6 commentaires sur La consultation médicale est-elle appelée à disparaître ?

  1. Di Battista // 18 février 2019 à 1 h 13 min //

    Cher docteur
    Abandonner sa fille, pensez vous que ce soit éthique ?

  2. L’IA n’est pas en cause….mais la machine de télémédecine en libre service ,celle là est dangereuse car le praticien n’est plus au contact physique du malade même si dans un premier temps une auxiliaire de soins manipule les boutons pour un médecin géographiquement situé ailleurs. Pour être définitivement optimiste militons pour que le médecin garde les mains sur le patient avec l’aide d’une machine « big data » « big sensors » pour l’aider dans son oeuvre de praticien!

  3. Petroussenko // 21 août 2017 à 22 h 10 min //

    Au contraire l’IA peut rendre de très grands services en médecine. Il faut être réaliste, ce progrès ne remplacera pas l’homme puisque c’est lui qui « injecte » les données des programmes, mais en ce moment les recherchez portent sur l’esprit critique inculqué à la machine, une autre paire de manches. Il faut être optimiste et se dire que « tout ça » va être au service de l’homme. Cdlt. J. Petroussenko

  4. Cher Docteur Petroussenko. » Un code éthique qui soit clair net et précis pour le recours à la télémédecine »….autant demander à un éléphant de voler à haute altitude, car le bon sens politique ne sera jamais au rendez-vous d’une telle exigence. Certes les progrès de la science ,notamment dans les domaines du Spatial, de la Défense et des Biotechnologies font rêver à l’homme « bionique » qui rentrerait dans une machine test pour déterminer quelle « pièce ou logiciel d’IA » doit être remplacé pour que l’individu puisse récupérer toutes ses facultés dans un environnement hostile de la vie humaine….REVONS, nous en sommes encore capables !!!!!

  5. Petroussenko // 18 août 2017 à 22 h 10 min //

    j’approuve ce que dit BAERTJC. il va donc falloir un code Ethique et d’utilisation qui soit clair net et précis.Dr J. Petroussenko

  6. L’imagination ne peut être que débordante pour se propulser vers les fausses bonnes idées d’une intelligence artificielle. La télémédecine ne peut-être et ne sera jamais qu’un auxiliaire d’un praticien en chair et en os qui sait encore toucher le sujet, lui parler et se référer, lorsque cela est possible, à ses antécédents. Lever de doute précoce, consultation « flash » pour orientation, recherche rapide d’antécédents ,examen des cas « bobologies », suivi de traitements, prise rapide de paramètres biologiques etc,etc sont certainement des aides innovantes pour prendre en charge le patient quelque fois isolé ou en perte de mobilité Imaginons donc ce qui arrivera lorsque les réseaux télématiques qui sont au cœur de cette télémédecine seront en « carafe » comme cela est tout à fait plausible et redouté par les professionnels ?
    Si donc aujourd’hui les voitures « google » sans pilote font rêver celles et ceux qui voudraient se passer de médecins sur les chemins de la vie qui frappent à la porte des « illusionnistes technologiques ». Bonne aventure et bonne chance car la médecine est d’abord une science HUMAINE!

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