Jamet le dimanche :URUBU ROI

Dominique Jamet

Longtemps, le pronunciamiento a fait figure de spécialité espagnole ou latino-américaine, au même titre que la paella, les tapas ou la corrida. En ce temps-là, les militaires y allaient franco, si j’ose dire. De Santa-Anna au Caudillo et de Porfirio Diaz à Pinochet, le scénario, rodé, obéissait à des règles immuables. Pour un si pour un no, l’armée sortait de ses casernes, balayait de façon plus ou moins brutale le pouvoir civil et portait l’un des siens, plus ou moins galonné, (et s’il n’était pas encore maréchal ou généralissime, il ne tardait pas à le devenir) à la tête de l’État, pour une durée extrêmement variable et aléatoire.

C’est dans la ligne de cette grande tradition – putsch, je ne joue plus – et sous les auspices d’innombrables prédécesseurs que le colonel Hugo Chavez sortit une première fois de l’anonymat en 1992. Son coup (d’État) ayant raté à deux reprises, assagi par l’échec, instruit par l’expérience et auréolé de quelques années de prison, le bouillant parachutiste choisit avec succès de parvenir par la voie des urnes au but qu’il n’avait pas atteint par celle des armes. Il devait, comme on sait, régner en maître sur le Venezuela de 1999 à 2013.

Le bilan de la « révolution bolivarienne » dont il se fit alors l’inventeur et le promoteur, est fortement contrasté. En reprenant le contrôle de l’industrie pétrolière, unique et fabuleuse richesse du pays, Chavez a libéré le Venezuela de la lourde tutelle du capitalisme nord-américain et déversé cette manne miraculeuse sur les classes les plus défavorisées. En faisant du Cuba des frères Castro son allié et son modèle, il a organisé comme eux l’isolement et la paupérisation de son pays, qu’il n’a cessé d’aggraver a par une gestion économique opaque, erratique et désastreuse. Sur le plan politique, il a cherché son salut dans une démagogie sociale et un populisme effrénés. Quoi qu’il en soit, même s’il avait une fâcheuse tendance à ignorer, voire à piétiner les libertés bourgeoises, force est de reconnaître que jusqu’au bout, et en dépit des multiples tentatives de déstabilisation venues de l’intérieur et appuyées de l’extérieur, le défunt et flamboyant leader bolivarien a pu se prévaloir du soutien inconditionnel d’une majorité du peuple qu’il conduisait à sa ruine et donc d’une légitimité démocratique à la tête d’un État et d’une société qui l’étaient de moins en moins.

Sans éloquence, sans talent, sans relief, sans envergure, sans popularité, c’est très classiquement parce qu’il ne faisait pas d’ombre à son chef que Nicolas Maduro accéda il y a quatre ans au rang de vice-président de la République. Son seul mérite et sa chance furent d’avoir été le numéro 2 au moment où disparaissait un numéro 1 qui s’était bien gardé de former et de cautionner son successeur. Ultime effet d’un chavisme déjà sur le déclin, Maduro l’emporta d’un souffle (50,6% des voix) à l’élection présidentielle de 2013.

Maduro après Chavez, c’est Staline après Lénine, c’est Raul après Fidel, c’est le bureaucrate médiocre et cynique après le fondateur charismatique. De cet apparatchik brutal et borné, on pouvait attendre le pire. Le pire est advenu. Chaque jour, sous nos yeux, le Venezuela s’enfonce un peu plus dans le malheur. Qui l’emportera, de la répression impitoyable d’un pouvoir aux abois ou de la révolte qui monte ? Les dernières décisions de Maduro ne laissent plus aux Vénézuéliens que le choix entre la soumission à la dictature et la guerre civile.

L’Assemblée nationale légalement élue et authentiquement représentative du peuple, est dissoute au profit d’une prétendue Assemblée constituante issue de la fraude. Les leaders de « l’opposition », c’est-à-dire de la majorité réelle, sont incarcérés les uns après les autres. L’armée, la garde nationale et les colectivos, ces milices populaires armées par le régime font la chasse aux manifestants. Le pouvoir législatif, avec la bénédiction de l’exécutif, démet de ses fonctions la plus haute autorité judiciaire du Venezuela. Les arrestations arbitraires débouchent désormais sur des mauvais traitements, des humiliations, des passages à tabac. Le recours à la torture est désormais systématique. Des files d’attente de clients dont le pouvoir d’achat est proche de zéro s’allongent devant des magasins qui n’ont plus rien à vendre. Le socialisme selon Maduro, c’est le socialisme du père Urubu.

Comment, sur de telle bases, le boucher de Caracas, vacillant sur son trône, peut-il encore bénéficier du silence complice, de l’indulgence, voire du soutien explicite de certains dirigeants politiques français ? Comment le Parti communiste, qui se prétend définitivement déstalinisé, comment la France insoumise peuvent-ils voler au secours d’une dictature, qui, comme d’autres dans un passé encore tout récent, déshonore l’idéologie dont elle se réclame ?

Mettons les points sur les i. Le combat, le grand combat d’aujourd’hui et de demain, est à nos yeux celui de l’indépendance de la France, indépendance politique, indépendance économique, indépendance culturelle, il est aussi celui de la justice sociale. Égalité, fraternité, laïcité, sont pour nous des mots et des valeurs indissolublement liées à l’idée que nous nous faisons de la République. Mais nous ne saurions transiger sur notre attachement au premier mot de la devise républicaine, au mot de « liberté ». Plus de deux siècles après la Terreur révolutionnaire, moins d’un siècle après la Terreur stalinienne, à la lumière de l’inhumanité de régimes qui se réclament du progressisme ou du socialisme, il est temps d’avoir une réflexion et un regard adultes. Même quand une dictature se dit « de gauche », même quand elle se pare des oripeaux menteurs de la Révolution, elle est une dictature, qui doit être dénoncée et combattue, comme telle et comme le furent les dictatures fasciste et nazie. Jean-Luc Mélenchon admettra-t-il un jour que trop souvent lorsque certains lèvent le drapeau rouge, celui-ci n’est rien d’autre que l’étendard sanglant de la tyrannie ?

Dominique Jamet,
Membre du CA de l’Association
« Gaullisme.fr »

8 commentaires sur Jamet le dimanche :URUBU ROI

  1. Jean-Dominique GLADIEU // 17 août 2017 à 11 h 59 min //

    D’ordinaire les analyses de D. Jamet sont autrement plus fines ! Cording a raison : une étude sérieuse sur l’histoire du Vénézuéla aurait certainement évité à l’auteur de conclure en présentant N. Maduro comme le « boucher de Caracas ».
    Quant à la « terreur révolutionnaire », M. Jamet devrait également revoir son histoire de France.

    Quant au fond, je suis un peu étonné de voir que sur un site gaulliste, on qualifie de dictatorial et de fauteur de guerre civile un projet de réforme constitutionnelle visant à un renforcement du rôle du président ! Car, c’est de bien de cela qu’il s’agit avec l’élection de l’assemblée constituante.
    Par ailleurs, élire une assemblée constituante pour donner une nouvelle constitution à un pays ne me parait pas une incongruité néo-stalinienne.
    Enfin, Est-ce Maduro (et quoi qu’on pense de lui) qui a créé les conditions d’une « guerre civile » ou ceux qui refusent que des élections se déroulent normalement ?
    Quant à l’opposition « démocratique » vénézuélienne, c’est la même que celle qui en 2002 a si piteusement tenté de renverser le président Chavez. Démocratie pour le moins à géométrie variable !

    Maintenant, la question de fond demeure : cette réforme constitutionnelle voulue par N. Maduro est-elle légitime ? Ceux qui pensent que non, n’auraient-ils pas pu la combattre en participant aux élections et en obtenant un maximum de députés susceptibles de s’y opposer plutôt que d’en empêcher la tenue ? … Simple et naïve question !!!

  2. Gilles Le Dorner 77 // 11 août 2017 à 19 h 30 min //

    Ni Bush deux ni Bush trois . Et si un certain qualifiait l’ONU de machin , il est une Nation qui de ses gouvernants s’est crue placée un jour outre les Nations en l’ ONU et en allant jusqu’ en Irak . Non bis repetita . En raison gardée et sang-froid , face aux dangers de la voix d’ un seul homme , le poids du Sénat là-bas comme de la Diplomatie , car avec le feu on ne joue pas

  3. GENTY Jean Claude // 10 août 2017 à 19 h 12 min //

    D’accord avec Cording. Je suis d’ailleurs assez surpris de cette charge venant de M. Jamet. Celui-çi est habituellement beaucoup plus fin et nuancé. Déçu je suis!

  4. « trop souvent lorsque certains lèvent le drapeau rouge, celui-ci n’est rien d’autre que l’étendard sanglant de la tyrannie ? »…tout dépend de la température extérieure, mais fondamentalement lorsque les peuples sont humiliés par les trahisons ou les oukases du pouvoir en place ,généralement le chaos n’est pas loin…et vous remarquerez que chaos rime avec Maduro !!!

  5. Monsieur Jamet, il serait intéressant que vous nous racontiez enfin les quelques jours qui ont précédé la décision officielle de NDA de rejoindre MLP à la veille du 2ème tour car le mystère demeure sur les véritables motivations de cet incroyable retournement quand on sait que n’importe quel observateur avisé de la politique ne peut ignorer que le FN n’obtiendra jamais le Pouvoir et que son rôle est d’être un parti d’opposition plus ou moins puissant suivant les circonstances. Vous avez donc quitté DLF alors que vous en étiez pourtant un de ses rares piliers puis NDA a balayé d’un revers de main les démissions et défections avec arrogance et suffisance qui m’ont stupéfait !.. La question est : qui est en réalité cet énarque Young Leader NDA sans aucun charisme dont l’étiquette Gaulliste m’a toujours paru n’être que pure imposture afin de ratisser plus large ?
    Pouvez vous enfin nous éclairer … sans langue de bois !.

  6. Merci Monsieur Jamet pour ce bel édito qui met effectivement les points sur les i. On n’entend que trop peu ce genres de propos dans les médias. Merci à Gaullisme.fr que je suis régulièrement.

  7. Une analyse un peu superficielle qui ignore tout de histoire politique et sociale du Venezuela depuis plus de 60 ans et du rôle des USA.

  8. Joëlle Liberté // 6 août 2017 à 15 h 21 min //

    Macron nous réserve le même sort, avec le soutien de Attali son mentor !!!!

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