Il faut encourager le développement d’un « islam des Lumières »

Par Aurélien Marq (Causeur)

Marche en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre2015, Bordeaux. SIPA. 00731541_000008

On peut démontrer que l’islam qui naît d’une lecture littérale de ses textes fondateurs est un totalitarisme conquérant, avide de régenter le moindre aspect de la société comme de la vie des individus, et nourri du fanatisme religieux le plus total. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ces textes en se souvenant qu’ils se veulent valables en tout temps et en tout lieu, d’analyser le projet politique de groupes comme les Frères musulmans, le Tabligh, le Mili Gorüs, ou de se renseigner sur l’Arabie saoudite.

Favoriser la démarche des musulmans de bonne volonté

Si les musulmans de bonne volonté veulent que leur religion soit autre chose que ce totalitarisme, et elle peut l’être, s’ils veulent qu’elle cesse d’en porter les germes, c’est à eux de s’en charger. Plusieurs, d’ailleurs, se sont depuis longtemps attelés à cette tâche immense mais porteuse des plus grands espoirs.

Passer de la croyance en un Coran dicté et incréé, de fait hypostase de la divinité, à un Coran inspiré et co-créé par Dieu et l’homme, comme le propose notamment Abdennour Bidar, serait un très grand pas vers une nécessaire autocritique de la religion. Cela aurait également l’avantage de faire évoluer la perception qu’a l’islam du rapport entre le divin et l’humain, l’homme n’étant plus un outil écrasé par le poids du sacré, mais un co-auteur grandi par son compagnonnage avec lui.

Ceci, néanmoins, ne peut venir que des musulmans eux-mêmes et ne saurait leur être imposé.

En revanche, il incombe au reste de la société de favoriser cette démarche, d’encourager le développement d’un « islam des Lumières » et, naturellement, de lutter contre la propagation de « l’islam de l’obscurantisme ». Dans ce but, voici quelques éléments de réflexion, que j’explorerai davantage par la suite mais déjà esquissés à grands traits.

1. Sur le plan sécuritaire

Combattre l’islam violent, djihadiste, reste une priorité absolue. Cela passe par l’étudier et le comprendre, dans ses incarnations récentes, du GIA devenu AQMI à l’EI en passant par les talibans ou les milices extrémistes de Bosnie, mais aussi dans son histoire et dans son idéologie, dont il est inséparable.

Car contrairement à ce que certains tentent de faire croire, le djihadisme n’est pas un phénomène récent, une réaction à la colonisation, à la création de l’état d’Israël ou aux inégalités sociales. Le djihad peul d’Usman dan Fodio date des premières années du XIXe siècle, les exactions du fondateur du wahhabisme de la première moitié du XVIIIe. Dès les origines, les armées de l’islam n’ont accepté de conclure la paix avec certaines tribus qu’à condition qu’elles se convertissent, par exemple les Banu Thaqif après la bataille de Tabouk, qui aurait été dirigée par le prophète lui-même en 630 ou 631.

Il faut aussi admettre qu’il est impossible de négocier une paix durable avec le djihadisme. D’une part, même lorsqu’il est teinté de nationalisme et ne veut initialement s’établir qu’à l’intérieur de frontières données, sa doctrine est par essence universaliste. D’autre part, là où il s’implante, seule une domination sans partage de tous les aspects de la société peut le satisfaire. Tout « accommodement raisonnable » sera au mieux une trêve temporaire, que les djihadistes mettront à profit pour accroître leur influence, au pire perçu comme un signe de faiblesse qui les poussera à intensifier immédiatement la lutte. Contrairement à ce que nous avons connus avec des groupes comme l’ETA ou les nationalistes corses, aucun compromis pacifique n’est possible sur le long terme.

2. Sur le plan culturel

Il faut confronter l’islam à d’autres modèles que le sien. Sans agressivité, mais sans complaisance. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que le problème est dans ses textes, et qu’un retour aux sources ne saurait donc être la solution. C’était l’analyse de feu Abdelwahab Medeb, qui avec des objectifs radicalement différents rejoint en partie celle de Mohammed ben Abdelwahhab. « L’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte », dit le philosophe, comme en réponse à la déclaration du fondateur du wahhabisme : « Il faut purifier la tradition par le retour à la religion. »

Il faut, de toute urgence, mettre fin à la propagation conjointe d’une légende noire de l’Occident et d’une légende dorée du monde musulman. A titre d’exemples, le tabou qui entoure trop souvent les traites négrières musulmanes est intolérable, alors même que l’on condamne avec véhémence, et à juste titre, les traites transatlantiques. La grandeur bien réelle d’al-Andalus ne doit pas en faire un « paradis sur terre », la liberté et la créativité intellectuelle n’y atteignaient pas celles de l’université d’Alexandrie du temps du paganisme.

Il ne saurait pour autant être question d’opposer une caricature à une autre. Une idéalisation béate de l’Occident serait tout aussi ridicule, et facilement démentie. Nous devons montrer que l’on peut être fier de sa civilisation et de ses accomplissements sans être aveugle face à ses fautes, sans la croire parfaite, sans renoncer à l’améliorer, et sans nier le génie propre et les grandeurs des autres civilisations, sans refuser d’admirer en elles ce qui nous inspire et nourrit notre joie d’appartenir à une commune humanité.

La capacité du monde occidental à générer ses propres critiques doit être enfin considérée comme un facteur de grandeur et non une marque de faiblesse, une source de fierté et non de perpétuelle repentance. Ainsi peut-être l’islam sera-t-il encouragé à faire de même, à ne plus se vouloir parfait dans son essence et à reconnaître ce qu’il doit à d’autres.

A ce sujet, notons que, comme le souligne fort justement l’islamologue Marie-Thérèse Urvoy, là où nous avons des mots distincts pour dire « christianisme » et « chrétienté », le mot « islam » désigne à la fois une religion et une aire culturelle. Ajoutons-y la diversité des pratiques religieuses. La vigilance est de mise, ne serait-ce que pour empêcher l’islam-religion de s’attribuer injustement les mérites de l’islam-civilisation, en particulier lorsque ceux-ci furent le fait de chrétiens ou de juifs vivant en terre d’islam. Pour éviter, aussi, de confondre les multiples manières de pratiquer l’islam avec les enseignements doctrinaux.

3. Sur le plan spirituel

Il faut rappeler qu’il existe d’autres manières de penser et de vivre le sacré et la relation au sacré. Dire que toutes les religions se valent est une absurdité, à moins de prétendre que la non-violence de l’ahimsâ est similaire aux sacrifices humains aztèques. De manière moins extrême, on peut comparer la situation des religions à celle des partis politiques : des convictions très différentes peuvent coexister, chacun est libre de choisir entre elles, mais elles ne sont ni similaires ni interchangeables.

Les autres religions présentes sur le territoire national ont, sur ce point, une responsabilité majeure. Pour louable qu’il puisse être, le désir de paix s’est trop souvent traduit par un déni des différences et des points d’achoppement. Hélas, la négation de l’altérité de l’autre n’est pas une ouverture mais un refus du dialogue, parfois par paresse intellectuelle, mais aussi par lâcheté (« ne nous fâchons pas ») ou pour dominer (« vous êtes une version imparfaite de ce que je suis »). Pire, les plus ouverts sont tentés de dénaturer leurs convictions pour se rapprocher de leurs interlocuteurs, dans l’espoir toujours déçu d’une réciprocité, et à force d’intransigeance c’est la vision la moins tolérante qui finit par mener la danse. Or, le but du dialogue aujourd’hui ne doit pas être d’abolir les différences, mais de permettre la coexistence dans le respect de la liberté de chacun.

Bien sûr, cette remarque vaut en priorité pour les religions monothéistes, que chacun croie que son dieu est le seul dieu ne signifiant pas que chacun croie au même dieu. Même Dabiq, la revue de l’Etat islamique, consacra en juillet 2016 un article très documenté à l’opposition entre unitariens et trinitariens au concile de Nicée, rappelant, en l’occurrence à juste titre, qu’islam et christianisme n’ont pas la même définition du monothéisme.

En outre, même en Occident la spiritualité ne se limite pas aux seuls monothéismes. Nombre de nos concitoyens sont polythéistes : bouddhistes, hindouistes, shintos, taoistes, druides, asatruar…. A ce sujet, la condamnation unanime et sans appel des « associateurs » dans l’islam doit nous interroger. Méfions-nous de tentatives de rapprochements des seules « religions du Livre » qui dédaigneraient les autres confessions en plus de reposer sur des bases théologiques très discutables. Le dieu chrétien, qui permet l’Ascension ou l’Assomption, a plus de points communs avec Zeus qui appelle ses enfants à la divinité à ses côtés, qu’avec le dieu férocement unique de l’islam.

Les traditions polythéistes portent des trésors, qui pour certaines font déjà partie intégrante de notre culture. L’union féconde du christianisme et des mythes celtes est à l’origine du cycle de la Table Ronde. François Cheng suffirait à lui seul à prouver les merveilles qui peuvent naître d’un dialogue avec la Chine. Comme jadis Claude Lévy-Strauss, j’espère beaucoup de la rencontre entre le christianisme et le bouddhisme, ou entre l’idéal arthurien et le bushidô. Et le monde hellénistique, dont la pensée a fait naître les Lumières par-delà les siècles, fut pour notre civilisation un berceau dans lequel le respect des dieux et du sacré ne s’opposait en rien à l’émancipation de l’humanité. Lorsque les Olympiens furent sollicités par les Athéniens pour juger Oreste, ils n’imposèrent pas leur volonté mais argumentèrent devant l’aréopage, laissant aux mortels le droit et la responsabilité de se gouverner eux-mêmes. Interrogée par Ulysse sur les périls auxquels son fils Télémaque avait dû faire face, Athéna – qui avait veillé discrètement sur le jeune homme en se faisant passer pour un humain, Mentor – lui répondit en substance : « Bien sûr qu’il devait prendre des risques et affronter des épreuves ! Tu m’as confié un enfant, j’en ai fait un homme. »

L’Occident n’est pas un vide spirituel que seul l’islam pourrait combler. Sans chercher à retourner à l’une ou l’autre époque mythifiée, il peut aisément puiser une nouvelle inspiration dans de multiples traditions, passées et présentes, pour dépasser le désenchantement et le nihilisme sans renoncer à la liberté.

4. Sur le plan politique

Enfin, il n’appartient pas à l’Etat de statuer sur ce qu’est ou n’est pas l’islam, mais d’édicter les règles auxquelles il doit se plier pour avoir droit de cité. Gageons que certains islams s’y adapteront aisément, tandis que d’autres les combattront – et devront être combattus en retour.

Ainsi, il faut réaffirmer sans cesse la primauté de la liberté de conscience. Ce droit qui nous semble acquis n’a malheureusement rien d’évident. Presque aucun pays dont l’islam est la religion dominante ne le respecte, puisque l’apostasie y est généralement interdite, et même en France il n’est pas accepté par tous, notamment au sein du CFCM.

De même, le droit de critiquer les religions doit être défendu sans compromis, y compris le droit au blasphème. Car toute critique d’une religion, aussi mesurée et courtoise soit-elle, sera considérée comme un blasphème par quelqu’un quelque part.

Est particulièrement précieux aussi le droit pour chaque femme de choisir sa place dans la société. Ne tombons pas dans le piège d’un débat sur « la place des femmes », ce qui reviendrait à leur en assigner une collectivement au mépris du libre choix de chacune.

Citons aussi, pêle-mêle, l’obligation de reconnaître la légitimité de la présence des juifs dans notre société, le droit au polythéisme, l’exigence d’autocritique face aux dérives, et l’obligation de reconnaître aux autres les droits dont on prétend bénéficier. Par exemple, pour le droit de choisir ses vêtements, en subordonnant la liberté de porter le voile à la liberté de ne pas le porter.

Il faudra aussi, bien sûr, repenser certaines de nos alliances et notre politique étrangère.

En somme, le pouvoir politique devra rappeler que l’islam ne peut en aucun cas se prévaloir de règles exorbitantes du droit commun, et les transgressions devront être sanctionnées sans faiblesse.

Hélas ! Le porte-parole du gouvernement vient de prouver qu’il n’a rien compris à ce sujet, qui est pourtant l’un des enjeux majeurs de notre temps. Il y a plusieurs islams, et l’Etat islamique est parfaitement fidèle à l’un d’entre eux, ainsi qu’à la lettre des textes. Nous savions déjà qu’il serait bon d’offrir à Christophe Castaner un exemplaire des Mémoires de De Gaulle, ajoutons-y la Lettre ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar.

Aurélien Marq (Causeur)

 

 

9 commentaires sur Il faut encourager le développement d’un « islam des Lumières »

  1. Edmond Romano // 12 août 2017 à 6 h 52 min //

    Il est effarant que personne ne veuille voir la vérité en face. Cette vérité est pourtant simple: l’Islam est totalement incompatible avec la laïcité. Cette religion entend non seulement établir les règles de la relation entre Dieu et les hommes, mais aussi donner les règles de vie quotidienne, la loi, et tout autre domaine. En conséquence, elle est le contraire de ce que nous entendons par laïcité où la religion doit être du strict domaine personnel. Tant que, nous ne prendrons pas en compte cette réalité nous serons à côté de la plaque.

  2. Cet article ne dit pas ça.

  3. Bien entendu, il n’est pas question de changer notre république pour s’adapter à cette religion. Les lois de la républiques sont imposables à tous.

  4. Jacques Payen // 7 août 2017 à 16 h 07 min //

    La pratique de la dite religion est-elle un peu, totalement ou pas du tout compatible avec les lois de la République ?
    Ou faudrait-il, pour satisfaire une minorité -qui vote- et dont les soutiens financiers extérieurs sont colossaux, « adapter » les lois de la République, au risque de les dénaturer ?

    Il me semble que l’on consacre beaucoup de temps et de contorsions intellectuelles à éviter de poser l’équation en ces termes.

    Autre question. Les « modérés » de la dite religion dénoncent-ils efficacement, s’opposent-ils sérieusement et concrètement aux intégristes violents qui défient ouvertement la République et ses lois ?

    Ma conclusion : énormément de littérature pour noyer le poisson.

    Et pendant ce temps, comme l’écrit Montherlant, « Les armées marchent la nuit ».

  5. Et pourquoi ne pas introduire dans le calendrier des postes les jours fériés pour les fêtes musulmanes ….Nous marchons sur la tête des déboussolés des religions et comme les têtes sont vides sur ce sujet, les élucubrations intellectuelles les plus folles sortent comme les radis après la pluie.

  6. Michel Chailloleau // 6 août 2017 à 11 h 09 min //

    Il est curieux que l’on veuille encourager le développement de l’Islam en France alors qu’il est interdit de parler des racines chrétiennes de l’Europe et de la France!! Si vous voulez avoir une idée très précise de l’Islam tel que définit dans le Coran, je vous invite à lire une édition dans la langue d’origine. Vous serez fixé sur la conversation obligatoire et universelle..et aussi sur le caractère antisioniste… Pour information un membre de ma famille a été enseignant de Français en Egypte avant l’arrivée de Nasser et pratiquait la langue Arabe au quotidien. Lors des attentats, on ne voit pas beaucoup de manifestations des musulmans modérés pour dénoncer ces attaques…La France étant un régime républicain ne doit pas encourager une religion, notamment après avoir attaqué de nombreuses fois la religion d’origine du pays.

  7. Gilles Le Dorner 77 // 6 août 2017 à 7 h 01 min //

    De quel droit oser dire ainsi encourager , ou promouvoir ? car c’ est encore désigner et s’immiscer , brandissant autant la laïcité en république laïque que s’ accrochant aux racines ou vestiges de racines non pour les honorer mais pour les taire ou s’ en servir ou s’ en affubler et parfois d’ affublements déguisés de miasmes d’ ostracisme . Il est un Etat , voilà tout , avec ses lois , lesquelles ne sont pas de religion ni de droit dit divin d’ autrefois . Ces lois , elles sont votées , remaniées ou abrogées parfois , expression par la démocratie en séparation des pouvoirs ; puisse la raison ou la sagesse les inspirer et les tempérer , lois votées et appliquées et respectées , même au pays traînant parfois ses lumières en tristes cocoricos du foot , des jeux et idoles , et de l’ abstention . « rendre à César » comme « la paille et la poutre » , chacun sa voie . Tolérance et d’ espérer d’ Assise en partage des tâches et en liberté

  8. HAMELIN Didier // 4 août 2017 à 22 h 35 min //

    J’ai lu cette chronique avec beaucoup de plaisir pour son ton mesuré et son analyse globale. Malheureusement, je crains que cette démarche soit à sens unique. Le couple Urvoy démontre bien dans un de ses derniers ouvrages sur les difficultés du dialogue christiano-musulman que la démarche et la volonté du dialogue inter-religieux sont trop souvent à sens unique, ne serait-ce que parce que les interlocuteurs musulmans ne représentent qu’eux-mêmes, alors que la religion catholique a une hiérarchie.
    Les autres religions qui sont citées ne posent pas de problèmes aujourd’hui, même si je n’oublie pas naturellement le sentiment anti-juif qui a trop longtemps empoisonné notre société, et qui n’est pas malheureusement totalement éteint.
    Si l’on compare la vie de Jésus et celle de Mahomet, si l’on compare les sourates du Coran (un seul exemple, en cas d’héritage la part d’un garçon vaut la part de deux filles) et les évangiles (que celui qui n’a jamais pêché me jette la première pierre alors que dans le Coran, le sort de la femme adultère ….), et n’oublions pas « mon royaume n’est pas de ce monde  » et autres !! Non, je veux bien admettre qu’une part importante des musulmans souhaite vivre en paix, mais malheureusement ce sont les minorités agissantes qui font l’histoire, et je suis personnellement très réticent, pour ne pas dire hostile, à la présence de l’Islam en France.

  9. Pour moi la France Laïque n’a pas à favoriser la religion musulmane qui est incompatible avec notre démocratie républicaine!
    Au contraire il faut imposer aux personnes qui veulent ou qui vivent en France de ne pas avoir de revendication religieuse!
    Nous sommes Français quelque soit nos origines, notre couleur de peau et nos croyances!
    Non au communautarisme, pas de faiblesse avec les bigots de tous poil!
    La France est une et indivisible! une seule communauté de destin est souhaitable!
    D’ailleurs la terre de France devrait être inaliénable!

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