Jamet le dimanche : « En même temps »

par Dominique Jamet

Comparaissant, ès qualité, à l’Assemblée nationale pour y donner, devant la Commission de la Défense, son sentiment sur la loi de programmation militaire, le général Pierre de Villiers s’y est exprimé le 12 juillet « avec la liberté/ D’un soldat qui sait mal farder la vérité » (Britannicus, acte I, scène 2). Faisant preuve d’une rude franchise, le chef d’état-major de nos armées n’a rien caché de l’usure de nos matériels et de nos hommes, ni de l’incapacité où ceux-ci pourraient se trouver de mener les nombreuses et lourdes missions qui leur sont assignées, surtout compte tenu de l’annonce faite par le gouvernement d’une coupe de 850 millions d’euros dans un budget qui lui semblait déjà insuffisant. Ce faisant, le général était pleinement dans son rôle, et tout au plus pourrait-on regretter que, dans un langage qui étonnerait moins au mess des officiers à l’heure des digestifs que devant la représentation parlementaire, il se soit laissé à dire qu’il « ne se laisserait pas baiser comme ça » (sic) par Bercy.

En revanche, M. de Villiers est sorti des limites autorisées, une première fois lorsqu’il a agité la menace, au cas où satisfaction ne lui serait pas donnée, de démissionner, un petit jeu qu’il avait inauguré et joué avec succès, il y a trois ans, du temps de M. Hollande. Une deuxième fois, et plus gravement, lorsque, sur un ton certes plus mesuré que devant les députés, il a signé dans Le Figaro une retentissante tribune où il ne se bornait pas à rendre hommage à nos forces armées, mais ne cachait ni son inquiétude ni sa désapprobation des mesures de restriction rendues publiques par le Premier ministre… et décidées par le président de la République en dépit des engagements du candidat Macron.

La riposte n’a pas tardé, foudroyante comme il se devait, dès lors qu’elle venait de l’Olympe présidentiel où trône en majesté le Jupiter républicain. Devant un parterre de généraux et d’officiers supérieurs, collègues, amis et subordonnés du chef d’état-major, à l’occasion de la garden-party annuelle de l’hôtel de Brienne, M. Macron a rappelé sans prendre de gants, le général de Villiers à ce que Vigny appelait la « servitude militaire », servitude qui n’est pas exempte de grandeur, en clair, à ses obligations disciplinaires de discrétion, voire de silence, et de discipline.

Qu’a voulu rappeler le chef de l’État, commandant en chef des armées ? D’abord qu’il est bien entendu qu’un militaire est un citoyen comme un autre, et qu’il a donc le même droit que tout autre à sa liberté d’opinion et d’expression… mais seulement s’il renonce à l’uniforme. Ruer dans les brancards, pourquoi pas, mais pas en public, et à condition de rentrer dans le rang. Ensuite, quels que soient les mérités, les vertus, le grade et les étoiles sur la manche de l’intéressé, que nul n’est irremplaçable et que le successeur de M. Hollande, lui, n’est pas homme à céder au chantage. Enfin, et au-delà de l’incident, qu’il y a une différence de nature entre le mandat du général de Villiers, mandat qui lui est confié par le président de la République et que celui-ci peut révoquer à tout moment et le mandat présidentiel, mandat donné par le peuple, limité à cinq ans mais qui confère à son titulaire l’autorité sur tous les emplois publics. Cedant arma togae, disaient les Romains. Les armes doivent s’abaisser devant la toge, la force devant le droit, le militaire devant le civil.

La forme choisie par M. Macron pour morigéner M. de Villiers aurait pu être plus courtoise. Quant au fond de l’affaire, chacun des deux protagonistes peut exciper de son bon droit ou de sa bonne foi. Eh oui, deux hommes peuvent être en opposition sur un point important, et avoir, « en même temps », pour justifier des positions contraires, d’excellentes raisons. Le général a parlé en conscience, sachant pertinemment qu’il ne respectait pas les règles de son emploi. Le président a mis en avant ses prérogatives régaliennes, sans faiblesse et sans indulgence. On aurait tort pour autant de voir dans le comportement de l’un ou de l’autre la moindre animosité personnelle, puisque le chef de l’État venait tout juste, le 30 juin dernier, de prolonger d’un an les fonctions du chef d’état-major des armées, atteint par la limite d’âge, eu égard à ses services et à ses compétences. La porte reste ouverte au général de Villiers. À lui de décider, à tête reposée, dans quel sens il la franchira.

Ajoutons, ce qui n’est pas accessoire, que M. Macron parle de partie remise et maintient, avec son droit à gérer le budget de la France, sa promesse de porter celui de la défense à 2% du P.I.B. d’ici 2025. Nous verrons bien, et nous jugerons, le moment venu, en fonction des faits.

Et à ce propos, j’aimerais, au moment où nous vivons une séquence politique inédite, que nous rompions avec le système usant et stérile d’outrances et d’anathèmes qui est censé être la marque d’une opposition sincère et véritable, que nous cessions de laisser les passions l’emporter sur la lucidité, les automatismes sur les analyses objectives et les injures sur les arguments. On n’est pas plus tenu, parce qu’on est dans l’opposition, de prendre avec violence le parti du général de Villiers, soudain promu au rang de héros national, que d’épouser avec servilité celui de M. Macron au prétexte qu’on se voudrait « constructif ».

Quoi que l’on pense du président élu le 7 mai dernier, de ses orientations, de ses ambiguïtés, comment pourrait-on se dire attaché à l’héritage du général de Gaulle et contester le retour spectaculaire à une lecture gaullienne de nos institutions, comment pourrait-on, français et attaché à la grandeur et à la dignité de notre pays, nier que, depuis deux mois, après cinq années « immobiles » qui suivaient cinq années « agitées », la France est enfin représentée par un président qui ne lui fait pas honte ?

On peut le reconnaître et ne pas tomber dans le piège d’apparences trompeuses. On peut le reconnaître et se demander comment M. Macron pourra concilier l’affirmation constante de son attachement à sa patrie et à la souveraineté nationale avec la poursuite et l’aggravation de leur dilution dans des organisations supranationales. On peut le reconnaître et dénoncer sans relâche et sans concessions une politique qui ne prend en considération et ne peut satisfaire que les catégories supérieures, les bobos, les start uppers et autres privilégiés. On peut le reconnaître et lutter pied à pied contre le néfaste projet de société que porte le président Macron, qui est celui de la marchandisation, de la globalisation, d’un monde déshumanisé où ceux qui réussissent laissent sur le bord du chemin ceux « qui ne sont rien ». C’est là le vrai champ des batailles futures, c’est sur ce terrain que nous mènerons et que nous gagnerons notre combat.

Dominique Jamet
membre du CA de l’Association

6 commentaires sur Jamet le dimanche : « En même temps »

  1. Michel Chailloleau // 21 juillet 2017 à 11 h 05 min //

    Comment peut on soutenir le président Macron? Le candidat promet d’augmenter le budget de la Défense. L’élu va sabrer ce même budget! Ca n’est pas le fait de s’habiller en militaire à Istres après avoir descendu les Champs-Elysées le 14 juillet en command-car qui fait de vous un militaire. Et à nouveau nous avons la promesse d’augmenter la budget des Armées. Que croire? je ne comprends pas que l’on puisse soutenir sur un site gaulliste, un tel personnage qui joue les girouettes. Ressaisissons nous vite.

  2. Jean-Dominique GLADIEU // 20 juillet 2017 à 17 h 04 min //

    Je comprends bien qu’un militaire doit s’effacer devant l’autorité politique, surtout que le président est élu au suffrage universel.
    Mais un chef d’état-major qui est convoqué devant la Commission Défense de l’Assemblée Nationale se doit de pointer ce qui à son avis ne va pas. C’est même pour cela que la commission l’a convoqué. Donc sur ce plan, pas grand-chose à reprocher au Général De Villiers (sauf peut-être un langage un peu trop imagé !). Que ce même général en profite pour dire tout le mal qu’il pense des coupes budgétaires ne me parait pas non plus un crime contre l’humanité ! Et qu’il en tire les conclusions en démissionnant, voilà une attitude quelque peu gaullienne qui ne saurait déplaire à personne !
    Concernant E. Macron, je suis un peu étonné que Dominique Jamet voit en lui un président qui « ne fait pas honte à la France » alors que sa récente sortie sur la rafle du Vel’ d’Hiv’ dévoile bien son camp, celui de l’europe supranationale contre la Souveraineté et l’ Indépendance Nationale. C’est à dire le camp de l’anti-France.
    D’ailleurs, « l’affaire De Villiers » pose bien l’enjeu de la Défense Nationale. Quel coup tordu le président de la république nous réserve-t-il encore ?

  3. Le Bras Yves // 19 juillet 2017 à 11 h 22 min //

    On peut avoir plus que des doutes sur la politique de Macron.On peut être opposé à cette politique.Je le suis.Mais en même temps, il faut reconnaître en disant que Macron a bien fait en recadrant le Général De Villiers.Il a simplement rappelé la suprématie du pouvoir exécutif.Totalement d’accord avec la tribune de Jamet.

  4. Edmond Romano // 17 juillet 2017 à 14 h 05 min //

    Bravo pour cette Tribune qui résume très justement cette polémique. Je n’ai rien à ajouter que de dire, une fois encore: BRAVO monsieur Jamet.

  5. « C’estmoilechef » continuera « en même temps » à ne rien faire qui ne soit dicter par un autre souci que d’apparaître et à parler en « JE » au nom du peuple de France.Personne n’est à ce jour capable de lui faire perdre son « JE » pour parler de la France et non de sa petite personne. Mais à vaincre sans péril « en même temps » on triomphe sans gloire….heureusement !

  6. Quand Macron tente la conciliation entre l’affirmation constante de son attachement à la patrie et à la souveraineté nationale c’est au mieux une patrie et souveraineté limité comme la doctrine Brejnev de souveraineté limitée des pays du Comceoom sous tutelle soviétique, au pire une politique de triangulation qui consiste à s’emparer des thèmes politiques de ses adversaires pour soit les dénaturer et les vides de tout contenu réel, soit les discréditer. Il faut dire que depuis 1992 les partisans de l’UE et de la mondialisation néolibérales n’ont jamais eu d’adversaires sérieux pour les mettre vraiment en difficulté.

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