Natacha Polony : « Tout change parce que rien ne change »

Par Natacha Polony (Le Figaro)

Sans doute Macron était-il trop occupé au lancement de son mouvement politique pour s’intéresser aux grands équilibres budgétaires prévus pour l’année suivante.

Insincère. Le terme est joliment euphémistique. L’insincérité ressemblerait à de la bonne vieille filouterie. Nous parlons bien d’un président de la République et d’un ministre des Finances qui produisent un budget de la Nation qu’ils ont volontairement rendu non conforme à la réalité des comptes. Nous parlons de ce qui va déterminer la possibilité pour l’État de financer des équipements, de baisser ou non des impôts, d’aider ou non les citoyens et les entreprises, de questions qui touchent à la vie de chacun.

À l’époque où ce budget était élaboré au 5e étage de Bercy, le ministre du 6e faisait ses valises.

Tout cela a été « bidouillé » comme, dans une arrière-cuisine, on glisse un somnifère dans le plat principal pour endormir les convives. Nous parlons surtout de gens qui, au moment où ils concoctaient cette potion, craignaient que la droite n’emporte facilement l’élection présidentielle. Il s’agissait donc de laisser ce cadeau de bienvenue. Et puis, on pouvait se permettre d’accorder quelques largesses aux fonctionnaires : au pire, le successeur paierait, au mieux, on aurait le pouvoir pour cinq ans encore, et toute autre considération s’efface devant pareille félicité.

À l’époque où ce budget était élaboré au 5e étage de Bercy, le ministre du 6e faisait ses valises. Sans doute Emmanuel Macron était-il trop occupé au lancement de son mouvement politique pour s’intéresser aux grands équilibres budgétaires prévus pour l’année suivante, et même pour lire la presse, tant il est vrai que des journaux n’eurent de cesse d’alerter sur la fausseté de ces comptes. Mais il est pardonné. Pierre Moscovici, chargé, en tant que commissaire européen aux Affaires économiques, de valider lesdits comptes, les a trouvés « globalement positifs », soulignant les progrès réalisés par la France. Nous étions à l’automne. La droite faisait toujours la course en tête.

La pantomime politique qui consiste, pour les sortants, à maquiller les comptes et, pour les entrants, à découvrir avec effroi l’ampleur du maquillage et la gravité d’une situation financière qui met à mal les promesses de campagne, aura visiblement résisté à la révolution jupitérienne. Pourquoi ? Parce que c’est ailleurs que dans les bureaux feutrés de Bercy que se joue le destin de nos bas de laine.

Pour tenir l’objectif des 3% de déficit imposé par les traités européens, il faudra renoncer à certaines promesses.

Les déclarations du premier ministre sont, en l’occurrence, parfaitement claires. Pour tenir l’objectif des 3% de déficit imposé par les traités européens, il faudra renoncer à certaines promesses. Question de « crédibilité », nous dit-on. La crédibilité du discours politique vis-à-vis des citoyens ne semble pas s’imposer. Mais il faut « parler d’égal à égal » avec l’Allemagne. Et pour ce faire, il faut tenir les déficits et réformer le Code du travail. Les deux objectifs peuvent s’entendre, même s’il serait utile de se demander pourquoi tout a été fait pour mettre la dette française dans les mains des marchés financiers et en quoi l’assouplissement du Code du travail créera le moindre emploi quand les carnets de commandes sont vides. Mais la question première est la suivante : quel modèle d’action publique nous racontent ces épisodes grotesques ?

Une étude publiée par trois économistes, dont Thomas Piketty, démontre qu’entre 1978 et 2015, les inégalités se sont accrues aux États-Unis, la part du revenu des plus pauvres dans le PIB s’étant effondrée. Sur la même période, les inégalités explosaient en Chine, pour rejoindre les États-Unis. En France au contraire, la répartition des revenus est restée stable. Ajoutons à ces chiffres ceux-ci encore : en France aujourd’hui, 8,8 % de travailleurs pauvres. Au Royaume-Uni, 21,3 %. En Allemagne, 22,5 %. Quelle conception des sociétés humaines nourrissent ceux qui réclament à la France d’en finir avec son modèle de protection au nom d’une organisation économique mondiale qui renforce toujours davantage les inégalités ?

Le volontaire abandon par les politiques de leurs marges de manœuvre budgétaires en laissant filer la dette alors qu’ils communiaient dans la règle des 3 % les rend responsables devant les Français.

Le volontaire abandon par les politiques de leurs marges de manœuvre budgétaires – en laissant filer la dette alors qu’ils communiaient dans la règle des 3 % – les rend responsables devant les Français. On peut se contenter de fustiger François Hollande, le maquilleur en chef ; on peut s’amuser de l’arroseur arrosé, Emmanuel Macron, victime des filouteries de celui qui croyait plomber un quinquennat du camp adverse. Mais il faut avant tout expliquer aux Français que c’est la désindustrialisation de masse qui creuse les comptes de l’État. La baisse des rentrées fiscales impose de baisser les dépenses publiques, mais « en même temps », il a fallu embaucher un million de fonctionnaires territoriaux en 15 ans pour compenser la disparition des emplois marchands.

Cette fois, nous dit-on, détruire le peu de croissance pour sauver les 3 % permettra de négocier la réécriture de la directive travailleurs détachés, la préférence communautaire, la protection contre les investissements chinois, la fin du dumping fiscal en Europe… Du moins on l’espère. Même si le dernier sommet européen n’en a pas ébauché le commencement. Alors, comme prévu, on continue avec le nouveau président comme avec les précédents.

 

8 commentaires sur Natacha Polony : « Tout change parce que rien ne change »

  1. Parler de politique sociale…mais à l’adresse de qui ? Le ‘chérubin du palais » s’en « contre fout » pourvu qu’il ait les applaudissements des estrades et des parades et que sa ministre du Travail ne craque pas trop vite devant les questions des juges !

  2. madame
    ne baissez pas les bras devant ces chacals;
    vous avez mon admiration et mon soutien.Nous avons tellement besoin de personnes telles que vous.MERCI

  3. Il faut pour être complet, ajouter la politique sociale basée, notamment, mais pas seulement, sur la troisième voie : la participation.

  4. Natacha Polony a parfaitement raison. Les problèmes de déficit,retraites et chômage ont
    une seule et unique cause, à savoir la désindustrialisation de masse, en particulier vers la Chine.On veut faire porter le chapeau aux travailleurs avec l’excuse du code du travail.On veut surtout se payer sur les retraités dont on a bloqué les pensions pendant 5 ans, en les déclarent « aisés » au dessus de 1200 € par mois.On utilise la bonne vielle « vache à lait » que constitue la classe de « moins en moins moyenne » On ne veut surtout pas s’occuper des fonds des financiers et fonds de pension qui organisent les délocalisations et à tout les gaspillages de l’état.Le « peuple » qui n’a rien obtenu par les urnes, va se réveiller à l’automne en allant dans la rue après le diktat de la loi travail.

  5. Ah chère Natacha Polony vous oubliez qu’en politique politicarde faire et défaire c’est toujours faire quelque chose. Et puis rendre les Ministres et leurs suppôts responsables de leurs manœuvres budgétaires…mais la seule sanction serait qu’ils remboursent le peuple de leurs indemnités parlementaires perçues pour des « nèfles » voire pour des échecs ! A méditer !

  6. Jacques Payen // 1 juillet 2017 à 17 h 05 min //

    Madame Polony ignore sans doute qu’elle est gaulliste. Et c’est tant mieux. Surtout qu’elle ne se donne pas d’étiquette et qu’on ne l’en affuble pas !

    Mais elle l’est, parce qu’imprégnée de ce qui est le legs de de Gaulle : le credo de l’indépendance, le patriotisme, l’amour de notre langue et de la singularité de notre pays. Sans oublier ce regard porté au Monde, et aux les autres : la fraternité.

    Elle y ajoute la distinction et l’élégance, en ce siècle où tant de femmes s’imaginent d’autant plus libres qu’elles s’abandonnent à la vulgarité.

    On rêverait de pouvoir apporter son soutien à une dirigeante politique ayant cette classe, et des convictions aussi fermes et affirmées !

  7. Natacha Polony,une Journaliste qui frise l’excellence d’analyse es politico-économie !
    Un art inné de la res-publica et un discernement hors-pair pour définir le vrai du faux dans le marigot puant des tenants de la bien-pensance de ce début de siécle pro-mondialisation !
    La jeune femme de par son talent et de par sa clairvoyance nous redonne le goût de la France et de son peuple oppressé et voué aux gémonies du totalitarisme « soft ». Mais sa réaction une fois encore retardée par enfumage médiatique outrancier ne pourrait en étre un jour que plus imprévisible !?

  8. Delaisse Jean-Paul // 1 juillet 2017 à 14 h 31 min //

    Merci Madame, comme toujours, très finement observé, et oh combien exact !!
    Entre d’autres, particulièrement la dernière phrase.

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