Justice : l’impartialité ne se proclame pas, elle se prouve

causeur.fr

Bruno Le Roux et Emmanuel Macron discutent à l'Assemblée nationale, janvier 2015. SIPA. 00703006_000015

Le Roux, Fillon… à quand l’affaire Macron ?
Par Régis de Castelnau, avocat.

 

Bruno Le Roux vient de se faire épingler pour des faits qu’au groupe socialiste à l’Assemblée tout le monde connaissait parce que droite ou gauche, beaucoup de parlementaires faisaient à peu près la même chose. Démission express du ministre de l’Intérieur et ouverture au bout de 24 heures d’une enquête préliminaire par le Parquet national financier (PNF).

Le Roux tombe, Fillon prend

« Coup dur pour Fillon » proclament alors sans barguigner les gazettes, parce que l’attitude « exemplaire » de Bruno Le Roux démissionnant, et l’ouverture d’une enquête préliminaire du PNF démontreraient que la gauche « fait le ménage chez elle » et que le PNF est magnifiquement impartial. On se permettra de remarquer que le PNF a quand même attendu 24 heures pour ouvrir une enquête préliminaire pour les emplois des enfants Le Roux, sachant qu’il ne pouvait pas faire autrement sans se déshonorer.  Et l’après-midi même, histoire de revenir aux bonnes habitudes, violation du secret de l’instruction, pour annoncer à grand son de trompe « l’élargissement » de l’instruction Fillon à des incriminations ronflantes.

C’est qu’il y avait eu en début de semaine le débat télévisé des cinq « principaux candidats » à l’élection présidentielle. Duquel émergent deux constats : tout d’abord François Fillon connaît son affaire et donne l’impression de la stature, Emmanuel Macron ensuite, nous a fait une interprétation d’Agnan, le premier de classe à lunettes du Petit Nicolas. Ce qui n’a pas échappé à la presse étrangère qui fait des lanières de notre télévangéliste. Le combat pour la deuxième place, seule disponible, faisant rage, la presse française qui elle soutient Macron bec et ongles, a vu le danger et relancé l’offensive. À base de révélations métronomiques et d’incantations sur l’indépendance de la justice. Indépendante, peut-être, mais impartiale c’est quand même une autre histoire.

Concernant Fillon, il faut rappeler que l’enquête préliminaire a été ouverte à 11 heures le mercredi de la sortie du Canard enchaîné faisant état des emplois de Pénélope Fillon. Ce qui veut dire environ une heure après la prise de connaissance de l’information, compte tenu des horaires de travail généralement pratiqués. Premières perquisitions le lendemain, à l’Assemblée nationale, séparation des pouvoirs, connait pas. Premières auditions le vendredi, poursuivies au début de la semaine et transmission toutes affaires cessantes au journal Le Monde des procès-verbaux soumis au secret de l’enquête. Toutes choses qui établissent que le dossier était prêt déjà depuis un moment. Il y a semble-t-il quelques horreurs procédurales dans le dossier, la Cour de cassation aura à l’apprécier d’ici deux ou trois ans…

Ce talentueux Monsieur Macron…

Autre aspect judiciaire de la contre-offensive de la semaine, « l’élargissement de l’instruction » Fillon à tout un tas d’incriminations épouvantables. « Escroquerie aggravée, faux et usage de faux ». Aggravée hein, l’escroquerie, faut pas croire, en attendant « la bande organisée ». Pour le buzz c’est excellent. On se rappelle celles qui avaient concerné DSK et Éric Woerth, tout aussi ronflantes avec pourtant le résultat final que l’on connaît. Il existe une évidente connivence entre le PNF et certains magistrats du pôle financier qui peuvent ainsi solliciter des réquisitoires supplétifs qui leurs sont accordés dans les 10 minutes. L’information arrivant dans les rédactions amies dans le même temps.

Alors que jusqu’à présent le même PNF refuse obstinément d’enquêter sur une collection de faits troublants concernant Emmanuel Macron. Sur la question du délit de favoritisme commis par Business France, reconnu par l’agence, et signalé comme tel par l’Inspection générale des Finances (!), il aurait peut-être été intéressant de savoir quel avait été le rôle de la hiérarchie et en particulier de Macron dans le choix de ne pas soumettre l’achat de la prestation de 400 000 € à une mise en concurrence. Il y a pire, il faudrait peut-être enquêter aussi pour savoir si cette dépense relevait bien des attributions du ministre, ou si c’était plutôt une opération de promotion du futur candidat. Dans ce cas-là, non seulement délit de favoritisme, mais également ce que l’on appelle un « don interdit » de personnes publiques. Il a fallu une rébellion du parquet du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris qui lui, a décidé de lancer une enquête. Cela fait un peu désordre non ?

Il y a ensuite toutes les histoires de patrimoine évaporé, de déclarations approximatives à la Haute autorité pour la transparence et au fisc pour l’ISF, d’utilisation abusive de frais de bouche au ministère, de financement obscur de la campagne, toutes choses qu’il serait pourtant intéressant d’éclaircir. Peut-être d’ailleurs pour mettre Emmanuel Macron hors de cause. Mais là aussi silence obstiné du PNF, pour lequel la célérité n’est applicable qu’à François Fillon.

Trois affaires étranges…

Mais, hors de la mansuétude pour le télévangéliste, il y a d’autres choses qui amènent à légèrement lever les sourcils lorsqu’on parle de l’impartialité du parquet en général et du PNF en particulier, ce sont trois affaires étranges :

– L’affaire Lamdaoui, factotum de François Hollande pendant sa traversée du désert et après, impliqué dans d’obscures affaires d’escroqueries. Celles-ci auraient justifié une instruction, mais le parquet l’a jugée inutile. Citation directe en correctionnelle sous la seule responsabilité de celui-ci, ou le tribunal n’a pu que constater que la procédure était complètement vérolée et l’a donc annulée. Quelle surprise ! Et depuis, ça continue… même Libération trouve ça curieux.

– L’affaire Arif ensuite. Kader Arif, alors ministre des anciens combattants, a été mis en examen il y a bientôt trois ans. Flottait autour de lui et de ses frères un parfum d’arrangements à propos du financement de la campagne électorale de 2012 de François Hollande. Pas comme pour Bygmalion quand même ? On ne saura pas, pour l’instant c’est le château de la Belle au bois dormant.

– L’affaire Plenel, enfin. Le Canard enchaîné toujours lui, avait raconté dans une de ses éditions, les démarches entreprises par des membres du cabinet de François Hollande à l’Élysée auprès du ministère du Budget pour faire sauter le redressement 4 millions d’euros infligé à Mediapart. Ces pressions stupéfiantes caractérisaient un « trafic d’influence » et une tentative de « concussion », infractions graves issues du chapitre des « atteintes à la probité » du Code Pénal. Il fallut circuler, il n’y avait rien à voir.

Emmanuel Macron, produit lancé comme une lessive a repris à son compte la publicité OMO brocardée en son temps par Coluche : « OMO lave plus blanc que blanc ». Au débat sur TF1 le télévangéliste nous a asséné qu’avec lui « la justice serait plus indépendante qu’indépendante ». Cela n’est pas très rassurant lorsque l’on voit les largesses dont il semble bénéficier alors que ses adversaires font l’objet de bombardements incessants. Indépendance, indépendance, indépendance l’invocation permanente de ce mantra ne rime à rien. Ce qui compte c’est que la justice soit impartiale. C’est son devoir essentiel. Et cette impartialité, elle ne s’affirme pas, elle se prouve. Pour l’instant, désolé mais on est loin du compte.

12 commentaires sur Justice : l’impartialité ne se proclame pas, elle se prouve

  1. Jean-Dominique GLADIEU // 3 avril 2017 à 15 h 07 min //

    Cher Edmond Romano,

    Il ne s’agit pas de remettre des hommes en cause mais des logiques de système.
    Quelle est la logique autour de laquelle s’articule le système judiciaire actuel ? C’est celle de la nomination des juges et non celle de l’élection.
    Dès lors, les juges sont des fonctionnaires du Ministère de la Justice. Ils ne peuvent donc pas être indépendants du pouvoir exécutif. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont incompétents ou malhonnêtes. C’est le système qui est à revoir (enfin, à mon humble petit avis).

  2. Edmond Romano // 1 avril 2017 à 12 h 27 min //

    La Justice est-elle fiable? Oui Est-elle indépendante? Oui dans la grande majorité des cas et heureusement. Que quelques juges se mettent à la disposition du pouvoir en place et soient des partisans cela ne fait aucun doute. Pour autant, a-t-on le droit d’en faire une généralité et de discréditer l’ensemble d’une profession? Il y a des enseignants, des médecins, des prêtres pédophiles sont-ils pour autant tous condamnables? A force de généraliser nous ne rendons service qu’à Marine Le Pen! Est-ce notre but?

  3. Jean-Dominique GLADIEU // 29 mars 2017 à 15 h 55 min //

    1) A René Floureux :
    S’ils étaient élus, les juges n’auraient des comptes à rendre qu’au Peuple. Et ils pourraient légitimement affirmer qu’ils rendent la justice au nom de ce peuple qui leur aura donné un mandat pour cela. Alors qu’actuellement ce n’est pas le cas.
    Quant à Danton, je ne sache pas qu’il ait été condamné par un tribunal composé de juges élus.

    2) A Baertjc :
    Entièrement d’accord sur le fait que les juges sont des êtres faillibles élus ou non. Mais entre un juge faillible nommé et un juge faillible élu, le second possède au moins la légitimité d’avoir été désigné par ses concitoyens.

    3) A tous les deux :
    Rien n’empêcherait que les citoyens élisent les juges parmi un panel de candidats titulaires d’un diplôme en droit pénal « garantissant » leurs compétences ?

  4. A Jean Dominique Gladieu…depuis que le monde est monde la corruption, la fourberie et les traitrises existent entre les hommes et ,ce, quelque soient les organisations humaines. Elu ou pas élu les juges sont aussi des hommes. Quant à l’impartialité…dans un pays où il est interdit d’interdire…et ou les indignations sont le plus souvent TRES sélectives….cherchons encore à améliorer le comportement des individus et en cela on fera progresser la justice l’encombrement dans les prétoires et limiter le nombre des prisons ou autres lieux d’exclusions d’indépendance

  5. Est-ce que l’indépendance des juges serait moins, autant ou mieux garantie si elle était l’œuvre de juges élus ?
    Ces mêmes juges, seraient-ils moins, autant ou plus impartiaux que des juges nommés à compétence égale ?
    Le révolutionnaire Danton dira « (…) organisons un tribunal (criminel extraordinaire sous la Convention en 1793) non pas bien, c’est impossible, mais le moins mal qu’il se pourra ». Il sera guillotiné en 1794. « Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être » disait-il. Il a pu en juger par lui-même.
    RF 28.3.2017

  6. A moins d’un mois du premier tour, aucun commentaire sur le programme de NDA… Existe-t-il ?

  7. Jean-Dominique GLADIEU // 27 mars 2017 à 11 h 34 min //

    A BAERTJC :
    Je veux bien qu’on n’élise pas les juges mais alors qu’on ne parle pas « d’indépendance » de la justice ni de justice rendue au nom du peuple français !
    Car si les juges ne sont pas élus, ils continueront donc d’être des fonctionnaires du ministère de la Justice. Et les fonctionnaires ne sont pas indépendants mais sous l’autorité de leur ministère ou de leur collectivité de tutelle (ce qui est d’ailleurs normal).
    Donc, il ne faut pas ensuite se plaindre qu’ils soient utilisés par le pouvoir politique.
    Eh, oui, la démocratie n’est pas une chose simple !

  8. Je partage votre avis.

  9. A Jean Dominique GLADIEU.;;Elire les juges….NON MERCI vu comment cela marche aux Prud’hommes et par extension dans la vie parlementaire ne choisissons pas la peste à la place du choléra mais attachons plutôt à doter la machine judiciaire d’outils d’aide à la décision de qualité !

  10. Jean-Dominique GLADIEU // 24 mars 2017 à 10 h 07 min //

    Et si on élisait les juges, leur légitimité serait peut-être un peu moins mise à mal ?

  11. Le monde à l’envers

    Lorsqu’un avocat de la défense obtient gain de cause pour son client dira-t-il ensuite que la justice n’était pas impartiale ? Il ne va tout de même pas faire appel du jugement ? Il va ensuite encaisser ses honoraires et bonus !
    Avant de faire le procès de la justice faisons déjà le procès des voyous en distinguant ce qui relève du rôle de la magistrature debout comme le parquet, chargé de défendre les intérêts de la société et de la magistrature assise qui elle rendra la justice.
    Lorsqu’on n’est pas d’accord ensuite avec sa décision il y a les voies de recours habituels.
    Lorsqu’une affaire termine sa course devant la Cour de Cassation ou le Conseil d’ Etat, il arrive un moment où les professionnels de la justice ne peuvent plus être continuellement mis au banc des accusés pour manque d’impartialité.
    Et comment serait-il possible de prouver la partialité à moins d’être dans le secret des délibérations et encore !
    Il est difficile de prouver l’improuvable.

    RF 23.3.2017

  12. Ceci S’appelle de la dictature non ?????
    La justice devrait être impartial ,mais depuis le mur des cons ?????

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*