Emmanuel Macron, ou le délire de l’anglomanie des élites françaises

Défendre la langue française

Vouloir être moderne en sacrifiant la langue française !

Figure de la vie intellectuelle québécoise, l’universitaire Mathieu Bock-Côté* juge très inquiétant le choix d’Emmanuel Macron de s’exprimer en anglais à Berlin.
* Sociologue et chargé de cours à HEC Montréal, Mathieu Bock-Côté est chroniqueur au « Journal de Montréal» et collaborateur régulier du site FigaroVox. Son dernier ouvrage, Le Multiculturalisme comme religion politique (Éditions du Cerf, 2016), a été salué par la critique.

La fascination pour Emmanuel Macron d’une bonne partie du système médiatique français a quelque chose d’indécent. Ceux qui normalement se défient de la tentation bonapartiste ou d’une personnalisation à outrance de la vie politique le présentent soudainement comme un homme providentiel admirable, car il représenterait une gauche désormais capable de vaincre la droite et le Front national lors de la prochaine présidentielle.

Plus encore, Macron incarnerait la gauche moderne, européenne, mondialisée, affranchie des traditions politiques françaises : ceux qui rêvent du postnational l’adulent. D’un coup, n’importe quelle occasion semble bonne pour lui tresser des lauriers. La dernière en date, c’est ce discours en anglais, prononcé en Allemagne, qui selon l’expression employée par certains journalistes, aurait « ringardisé » la majorité de la classe politique française, incapable de faire de même.

La chose avait pourtant quelque chose de loufoque. Qu’un homme politique français s’adresse en anglais aux Britanniques ou aux Américains peut avoir du sens, bien que la chose ne soit pas nécessaire. Mais pour quelle étrange raison devrait-il, lors d’une conférence à l’université Humboldt de Berlin, s’adresser en anglais aux Allemands ? À notre connaissance, l’anglais n’est pas encore la langue nationale en Allemagne.

« Cet européiste croit manifestement que c’est en anglais que se construira l’Europe. L’anglais transcenderait les nations et rendrait un jour possible une citoyenneté globale »

Derrière ce choix, il y a peut-être une mode, mais surtout une malheureuse démission culturelle : Emmanuel Macron ne concède-t-il pas ainsi que l’anglais est désormais la langue commune des Européens? Cet européiste croit manifestement que c’est en anglais que se construira l’Europe. L’anglais transcenderait les nations et rendrait un jour possible une citoyenneté globale. Faut-il aussi comprendre que la maîtrise de l’anglais est désormais un signe indiscutable de modernité, et qu’il s’agit d’une compétence indispensable pour accéder à l’Élysée, peut-être même la plus importante ?

« Dante, Goethe, Chateaubriand n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé et écrit en quelque espéranto ou volapük intégré » Charles de Gaulle

Le génie de la civilisation européenne vient pourtant justement de la diversité des nations qui s’y expriment. On se rappellera la fameuse déclaration du général de Gaulle : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé et écrit en quelque espéranto ou volapük intégré. »

L’Européen n’est pas immédiatement européen : il l’est par la médiation d’une nation dans laquelle il s’enracine et à laquelle il appartient politiquement. Sans cela, le concept d’Europe est vide de toute réalité, de toute substance, et ne désigne plus qu’une étape dans l’histoire de la mondialisation. Si l’Europe en vient à effacer ses nations, elle se condamnera aussi à l’effacement historique.

« La France est moins soumise à l’impérialisme américain qu’elle ne semble hypnotisée par lui »

Le mal est peut-être d’ailleurs encore plus profond : il y a dans les élites françaises une agaçante fascination pour l’anglais, et même une délirante anglomanie. À la télévision comme au quotidien, on parlera des news, de son smartphone, de la battle de France, de la society, duCoca light, des mails, des guests, comme si ces termes ne trouvaient aucune correspondance en français. Qu’on me pardonne cette référence personnelle : on peut comprendre les Québécois d’intégrer plus de mots anglais qu’ils ne le devraient dans leur vocabulaire courant : ils vivent aux marches de l’empire américain, et, dans la mesure du possible, ils y résistent, même si la tentation est forte de s’y laisser dissoudre. Mais la France est moins soumise à l’impérialisme américain qu’elle ne semble hypnotisée par lui. Comment ne pas voir dans l’anglomanie des élites françaises une forme de dévalorisation de soi, comme si le français était la langue d’un monde déclassé ?

Reprendre le flambeau du gaullisme

On s’inquiète aujourd’hui avec raison pour la diversité du monde, compromise par une culture globale imposant ses codes dans toutes les capitales. N’est-ce pas justement la vocation singulière de la France d’incarner une résistance à cet impérialisme qui ne dit pas son nom ? Non pas en proposant un impérialisme contraire, mais en prenant la tête, à sa manière, d’une internationale de la diversité des peuples, la France ayant seule vraiment les moyens de tenir tête à ce qu’on appelle communément le rouleau compresseur de la mondialisation.

« Ce n’est pas en reniant sa culture ou en s’oubliant qu’un peuple se grandit mais en l’universalisant, en la projetant dans le monde »

Ne serait-ce pas une manière aussi de reprendre le flambeau du gaullisme ? On aurait pu parler d’une internationale des petites nations, si le terme n’était pas impropre pour décrire la condition de la France. Ce serait une perte atroce pour l’humanité si, d’une petite capitulation à l’autre, de la langue aux mœurs en allant jusqu’à la politique étrangère, la France renonçait peu à peu à ce qui la distingue comme civilisation.

Qu’Emmanuel Macron parle en allemand aux Allemands, ou qu’il leur parle en français, il serait dans son rôle. Qu’il leur parle en anglais et l’ancien ministre témoigne implicitement de son adhésion à une vision de la mondialisation où la France ne peut qu’être soumise et condamnée au rapetissement. Ce n’est pas en reniant sa culture ou en s’oubliant qu’un peuple se grandit mais en l’universalisant, en la projetant dans le monde, en en faisant une référence pour le genre humain dans son ensemble.

La France demeure, à travers le monde, un pôle de civilisation irremplaçable, et les hommes de partout ont à son endroit des attentes immenses. Hélas, en renonçant à incarner la France à l’étranger, en réservant finalement la langue française aux nationaux, désormais traités comme des provinciaux inadaptés aux exigences de la mondialisation, Emmanuel Macron révèle l’idée assez pauvre qu’il se fait du pays dont il veut être président.

16 commentaires sur Emmanuel Macron, ou le délire de l’anglomanie des élites françaises

  1. Thierry Theller // 25 janvier 2017 à 15 h 59 min //

    MACRON

    Alain Kerhervé // 18 janvier 2017 à 10 h 36 min // : « J’approuve totalement ce commentaire. La candidature Macro est une « fumisterie » politique. Pauvre France ! ».

    Tout à fait d’accord avec vous. Mais pas de panique. Déjà, sur un site du web, on peut lire cette phrase pleine de bon sens : « Un coup d’aiguille peut réellement dégonfler la baudruche Macron, gonflée derrière la scène par Hollande et sa clique …. »
    Ce qui, en effet, est tout à fait envisageable. D’autant que la baudruche en question vient de se prendre un sacré coup d’aiguille, mais aussi de faire son vrai premier faux pas. Or, un pas de cette nature, comme vous pourrez le constater dans la vidéo ci-dessous, ressemble étonnamment à une authentique botte de sept lieues pour nulle part.

    À cette allure, son train de rêves mondialistes, qui révèle des images truquées en cascades, toutes bourrées de grossiers mensonges, comme chacun pourra le voir ci-dessous (son « Clip » publicitaire en est complètement truffé), risque fort, cap collision oblige, de s’arrêter net.
    Du coup, avec ou sans le « fric » d’un Soros, son avenir politique semble quelque peu compromis. Sinon déjà scellé. Et c’est tant mieux !
    http://www.finalscape.com/macron-discredite-par-le-petit-journal-de-canal-et-francois-asselineau/

  2. L’université de Humboldt a sûrement d’excellents linguistes qui auraient été capables de servir de traducteurs.Les Allemands sont doués pour le langues et font les efforts nécessaires, ils ne sont pas doués que pour l’Anglais, mais aussi, traditionnellement, pour le Français, qu’ils parlent souvent plus correctement que les guignols qui se produisent à nos télévisions françaises, et sans le truffer d’anglicismes, dont Emmanuel Macron serait incapable de s’abstenir. Veut-il imiter madame Lagarde, pour finir comme elle à la direction du FMI et en Haute Cour de Justice?
    Personnellement, je suis francophone, anglophone et dans un moindre mesure germanophone (avec de bons accents) mais pas ancien ministre.

  3. A Alain Kerhervé…nous sommes donc au moins deux à penser la même chose de ce bonimenteur diplômé….mais gardons espoir, car le car Macron casse déjà et finira ailleurs dans le fossé des accidentés du pouvoir des balivernes!

  4. J’approuve totalement ce commentaire. La candidature Macro est une « fumisterie » politique. Pauvre France !

  5. Jean-Dominique GLADIEU // 18 janvier 2017 à 9 h 47 min //

    Bizarre pour un « europomane » comme EM de parler anglais dans un pays de l’UE alors que la GB quitte l’Europe !

  6. Edmond Romano // 17 janvier 2017 à 17 h 32 min //

    A mon sens, la candidature de Macron n’est rien d’autre que celle d’un solitaire ambitieux. Il n’a aucune épaisseur pour Présider la République. Il profite de la déconfiture de la gauche dite « de gouvernement » et du quinquennat catastrophique de François Hollande dont ne l’oublions pas il fut un des artisans comme Secrétaire Général adjoint de l’Elysée chargé de l’économie puis comme ministre. Macron qui se dit ni de droite ni de gauche est en fait un pur produit bobo de gauche. Mais quelle est sa vision de la politique étrangère? Je ne trouve aucune réponse. Quelle société pour la France? Là aussi aucune réponse! Présider aux destinées de notre Nation ce n’est pas seulement avoir une connaissance des marchés financiers. Macron est un imposteur!

  7. Ne pas avoir honte de parler Français au delà de nos frontière est un acte d’amour envers la France. Ne l’ayant pas fait, Macron se positionne hors sol France. Définitivement, mais pas seulement pour çà, sa candidature à la présidentielle me semble néfaste pour la France et les Français. Un homme de pouvoir, d’argent, sans aucune ligne politique de fond, contre le système tout en étant l’enfant du système et des médias… NON.

  8. Sylvain Auclair // 17 janvier 2017 à 5 h 56 min //

    Si au moins il parlait espéranto, il ne se ferait pas l’apôtre d’une langue nationale devenue presque hégémonique.

  9. DE LA DIGNITÉ FORMAT-POCHE

    « […] Emmanuel Macron révèle l’idée assez pauvre qu’il se fait du pays dont il veut être président. »

    Très beau texte.
    Hélas.

    La chute de celui-ci, et tout spécialement l’ultime segment du dernier alinéa rappelé ici en exergue, incarne par le verbe, et comme en précipité, cette espèce de volonté « déterminée » (!) de la France à n’être plus. Ou si peu.

    Ce qui aura tôt fait, et ce depuis déjà de nombreuses années, de contaminer (i.e. démobiliser -> déstabiliser, avant que de discréditer en bonne et due forme) tout l’espace francien de la Planète. À commencer par la Belgique et la Suisse, puis le Maghreb (la Tunisie au premier chef), l’Afrique subsaharienne ensuite.

    Puis le Québec enfin !
    Ce noble Résistant littéralement épuisé.
    De lutter seul. Contre tous.
    À la manière héroïque de l’un des… héros de Dostoïevski.

    La France même : le plus puissant fossoyeur de la Francité que la Francité n’aura jamais rencontré sur sa Voie, dans sa voix et dans son Histoire… millénaire.

    J’en suis affligé. Car je voyais en M. Micron, sincèrement, un homme de promesse. C’est-à-dire : d’à-venir.

    Je ne puis plus y croire désormais.

    Cet acte on ne peut plus « officiel » de reniement de Soi ne passe pas.

    C’est tout ce que l’on veut.
    Sauf de gaullienne grandeur.

    Et c’est rien moins que tragique.

    France, de grâce, re-branche-Toi sur tes racines.
    Riches et puissantes comme des séquoias tout entiers.

    Jean-Luc Gouin,
    du pays de Maria Chapdelaine
    http://vigile.quebec/Les-Bilinguistes-Grands-sorciers-3679

  10. vous êtes sûr que vous êtes un universitaire pour écrire ce genre de choses? Parler français dans une université allemande c’est sur que c’est beaucoup mieux! L’anglais est la langue des échanges internationaux que ça nous plaise ou non. Et les allemands sont bien meilleurs que nous en anglais, soit dit en passant. Si vous voulez casser du sucre sur macron, trouvez un argumentaire plus solide ! Je suis sûre que vous trouverez!

  11. Daniel ouellette // 16 janvier 2017 à 17 h 54 min //

    Simplement pour reprendre une de vos phrases…qui inspirent…
     » Ce n’est pas en reniant sa culture ou en s’oubliant qu’un peuple se grandit mais en l’universalisant, en la projetant dans le monde, en en faisant une référence pour le genre humain dans son ensemble. »
    Merci, de Montréal

  12. le JUNCKER de la FRANCE !!!!

  13. Macron…ou l’arrogance du bon chic bon genre du politicard qui se la joue à l’international à défaut d’avoir fait des miracles lorsqu’il tenait l’économie de son pays entre ses mains ?
    La France est peut être ce pays merveilleux qui produit des élites qui parlent une autre langue incompréhensible dans le quotidien de la majorité de Ses sujets et donne des leçons politico-économiques à l’extérieur à défaut de produire ses propres Lois de progrès. La France est assurément un grand pays capable de fabriquer des profiteurs de la République pour le bien du monde entier. Qui sait le FMI attend peut être un successeur à DSK ou Christine Lagarde ?

  14. « Accusé Macron, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »

    « Que les classiques m’excusent (…). J’ai pris le parti de vous parler en anglais par facilité et pour que nous puissions toutes et tous nous comprendre (… ) et parce que mon accent allemand est « médiocre ».

    Voilà pour sa justification de l’emploi de la langue de Shakespeare à l’université d’Humboldt de Berlin.

    Vraiment pas la peine d’ engager un procès en sorcellerie pour si peu !

    Même le Procureur du Roi renonce à faire appel !

    RF 14.01.2017

  15. La bourgeoisie possédante, mondialiste, européiste, auto-reproductible, a bien choisi son candidat, en la personne de M.Macron : énarque, issu de la banque, ayant un vernis socialiste, « sociétal bon chic – bon gendre », pratiquant parfaitement la langue des Maîtres, les vrais : ceux de Wall Street et de la City.

    Rien à dire. Le coup est bien joué. Juppé aurait été son élu par défaut. Macron le serait (le sera ?) par adhésion. Sous les applaudissements (discrets) du Centre, que dis-je, de tous les innombrables « centres » que compte notre pays !

    Face à ce candidat qu’on aurait tort de prendre à la légère, et à la probable réticence qu’auront beaucoup d’électeurs issus des classes populaires à voter pour F.Fillon, il est encore temps de promouvoir un candidat, intellectuellement armé et apte à démasquer les impostures de M.Macron.

    En dehors d’Henri Guaino, ils ne sont guère nombreux, parmi les gaullistes, à posséder une vraie capacité d’homme d’Etat.

  16. L’anglomanie n’est pas neuve, elle a commencé avec Voltaire fasciné par le modèle politique et les moeurs anglaises ce qui lui permettait une critique implicite de la monarchie française et de ses moeurs.
    Il faut constater qu’Emmanuel Macron est loin d’être de toute notre classe dirigeante qui se complait à dénoncer les archaïsmes français lion de la modernité néolibérale et anglosaxonne. Rappelons, pour mémoire, que Nicolas Sarkozy a fait allégeance à G W Bush en juillet 2007 au domicile de ce dernier.

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