François Lenglet : avec Trump et le Brexit, c’est la mondialisation du protectionnisme.

« Chaque option, protectionnisme ou libre échange, a ses victimes et ses rentiers, aucun n’obtient de victoire définitive » dit François Lenglet, oui mais il n’y a pas que des intérêts individuels, il y a aussi des victimes et des rentiers parmi les nations ! Le libre-échange tous azimuts est le vestige d’un ancien monde, explique François Lenglet. Face aux conséquences de la crise de 2008, le protectionnisme soutenu par les « populistes » l’emporte partout, notamment dans le monde anglo-saxon.

François Lenglet est éditorialiste économique. Le 1er septembre 2016, il publiera Tant pis, nos enfants paieront ! chez Albin Michel.

 

FIGAROVOX. – Donald Trump multiplie les prises de position protectionnistes, que cela vous inspire-t-il ?

François LENGLET. – Il témoigne bien de l’esprit des temps qui est à l’œuvre. Derrière l’outrance et la caricature, c’est une puissante montée du protectionnisme qui est à l’œuvre. Je note qu’Hillary Clinton elle-même a pris ses distances avec le libre-échange et la négociation de grands accords commerciaux. Quant à Theresa May, le nouveau Premier ministre britannique, elle pointe elle aussi la nécessité de protéger l’industrie nationale, alors que c’est une conservatrice en principe héritière de Thatcher ! C’est une révolution idéologique considérable

Trump, c’est l’anti-Reagan, et May semble devoir être l’anti-Thatcher. Le besoin de protection s’est substitué au désir de liberté

qui se produit dans le monde anglo-saxon, un changement de logiciel qui rompt avec le libéralisme et le libre-échange. Trump, c’est l’anti-Reagan, et May semble devoir être l’anti-Thatcher. Le besoin de protection s’est substitué au désir de liberté, et encore une fois, le monde anglo-saxon est à la pointe de la mode idéologique. Exactement comme le libéralisme dans les années 1980, le protectionnisme est en train de se mondialiser.

Qu’est-ce qui explique ce retournement ?

La crise financière, qui a donné le sentiment que les règles de l’économie mondialisée n’étaient pas les mêmes pour les petits et les gros. Le besoin de frontières, après une longue période de forte mondialisation, qui a exacerbé les particularismes, qui a accru les inégalités entre ceux qui profitent de l’ouverture, les plus qualifiés et les plus mobiles, et les autres, qui en ont subi les conséquences en termes de revenu et d’emploi ; la critique des élites et de tout ce à quoi ils croient. Et enfin un tout bête effet de balancier, qui fait qu’on brûle les valeurs de l’ancien monde, celle de l’ancienne génération, les baby-boomers, au profit de nouvelles valeurs, celle de la génération montante.

Ce sont alors les populistes qui vont profiter de cette révolution idéologique ?

Ce sont toujours les populistes qui repèrent les premiers ces changements dans la demande politique, avant les partis traditionnels. C’était le cas dans les années 1930, et dans les années qui ont suivi le krach de 1873, dans

Ce sont toujours les populistes qui repèrent les premiers ces changements dans la demande politique.

la période dite de «Grande stagnation», consécutive elle aussi à un long cycle libéral, et elle aussi marquée par la réapparition des frontières. Mais en général, les partis traditionnels finissent par comprendre le message des électeurs, et ils se réapproprient le thème de la protection, avec leurs valeurs humanistes. C’est exactement ce qui se passe au Royaume-Uni, avec la nouvelle orientation des Conservateurs, depuis le Brexit. Ce n’est pas encore le cas en Europe continentale, où la droite et les sociaux-démocrates restent sur leurs options libérales et hostiles aux frontières. C’est pour cela que le populisme continue à marquer des points dans nos pays. Et ce n’est pas fini, en Allemagne particulièrement, où il a une forte marge de progression après les attentats récents.

Les différents traités de libre-échange comme le TAFTA, qui sont en cours de négociation, ont-ils une chance d’aboutir ?

Absolument aucune. Tout cela est mort, ce sont les vestiges de l’ancien monde, comme une ville engloutie. À supposer même que le traité soit signé, il faudrait le faire ratifier dans tous les pays concernés, c’est

Tout cela est mort, ce sont les vestiges de l’ancien monde, comme une ville engloutie.

impensable. L’OMC ne parvient plus à conclure ses grands cycles, et même les accords régionaux sont devenus problématiques : l’âge d’or du commerce mondial est derrière nous. J’observe que la part des échanges dans le PIB mondial n’augmente plus, elle diminue même légèrement. Et la Chine, qui était une machine à mondialiser, va être contrainte de recentrer son économie. Cet âge d’or reviendra sans aucun doute un jour, dans 20 ou 30 ans. Il réapparaît à intervalles réguliers depuis la première mondialisation, lors des Grandes Découvertes du 15ème siècle. Et à chaque fois il est éclipsé, à cause des inégalités et des désordres qu’il provoque.

Sur le fond, le libre-échange est-il meilleur pour l’économie que le protectionnisme ?

C’est très difficile à dire, chaque situation est particulière, tout comme chaque époque l’est. Lorsque les Britanniques abolissent les Corn Laws, en 1846, qui protégeaient le secteur agricole ce n’est ni par philanthropie ni par amour du libéralisme, c’est par pur intérêt : ils choisissent le libre-échange parce qu’il maximise leurs profits, et ils ont raison. A l’inverse, la Chine moderne s’est développée dans un cadre protectionniste à l’extrême, protégeant son marché intérieur. Elle aussi a choisi le système qui maximisait son avantage, qui était très différent de celui des Britanniques au même stade de développement, parce que le monde n’était pas le même qu’au 19ème. En économie, pour parodier une formule britannique célèbre, il n’y a pas de loi éternelle, mais rien que des intérêts éternels. Et des rapports de forces entre les groupes sociaux et lobbys, plus ou moins bien arbitrés par le politique. Chaque option, protectionnisme ou libre échange, a ses victimes et ses rentiers, aucun n’obtient de victoire définitive.

Par Alexandre Devecchi

4 commentaires sur François Lenglet : avec Trump et le Brexit, c’est la mondialisation du protectionnisme.

  1. Constat lucide de Mr Lenglet. La vie dans le monde depuis son origine est basée sur le troc, les échanges : échanges entre les hommes, échanges entre les pays, échanges entre les entreprises, dans la nature, échanges dans l’atmosphère…..tout fonctionne sur cette base et tout se grippe dès que les échanges ne se font plus. Nous en sommes là à tous les niveaux économique, social, politique, environmental ,culturel etc,etc. Et à cette étape du développement du monde (qui se ralentit comme souligné par Mr Lenglet)c’est bien la peur qui se faufile à tous les niveaux jusque dans les cerveaux des principaux responsables politiques de la planète. La contamination est en marche au travers de grandes messes internationales qui laminent les idées novatrices et imposent à chacun de penser et faire comme les autres.Une fois encore ne confondons pas buts et moyens, conséquences et causes qui nous feraient lutter contre ces peurs par les protectionnismes les plus destructeurs et le retour entre nos quatre murs !Le sursaut d’intelligence de nos responsables n’est pas encore à l’ordre du jour, mais comme Mr Lenglet, gageons que les peuples finiront par promouvoir les cerveaux qui font avancer et font progresser de nouveau la vie sur la planète.20 ans ,trente ans….le pronostic dépend donc des peuples à se ressaisir ; On ne subit pas l’avenir, on le fait !

  2. brandenburg // 30 juillet 2016 à 20 h 10 min //

    Conclusion un peu rapide et,finalement,impuissante,voire nihiliste,en tout cas,immorale et donc stérile.
    Or le nihilisme,il y en a suffisamment comme cela et si les foules,sans guide,y sombrent fatalement-voir sur « spiritualié,politique,économie.wordpress.com: »La révolution du nihilisme » d’après l’ouvrage au même titre d’Herman Braunscning (vers 1935 )-qui prétend à bon droit gouverner-« Criminelle est l’entreprise de ceux qui prétendent gouverner alors qu’ils en sont incapables (Chateaubriand )-doit seul trancher-et le dire.
    Certes aucune action économique ou autre comme aucun régime politique ne sont purs mais toujours composés ;encore faut-il être sûr de savoir faire la mayonnaise et en dire suffisamment sur celle-ci pour être compris et suivi au long cours.Or de cela personne n’est capable en Europe sauf Poutine.
    Donc,comme l’imaginait l’enfant Bonaparte ,juché au dessus d’une sorte de Conseil d’Etat: »Messieurs,recommencez-moi cela ».
    PS l’intendance finit toujours par suivre s’il y a un commandant à bord.

  3. Dixit :  » Qu’est-ce qui explique ce retournement ?

    – La crise financière, qui a donné le sentiment que les règles de l’économie mondialisée n’étaient pas les mêmes pour les petits et les gros.  »

    Seulement le sentiment, Mr Lenglet ? Le laminage des classes intermédiaires, aux Etats-Unis ou en Europe n’est pas un « sentiment », cher monsieur. C’est cette réalité qui va, dans les mois prochains emporter bien des digues, dont, disons le gentiment, vous avez longtemps veillé à la solidité, comme tant d’autres…

    Certes, je me réjouis que la vue revienne aux aveugles.

    Mais je ne peux m’empêcher de penser, dans votre cas, et dans celui de tant d’autres, à une forme de… disons le gentiment…de dédouanement.

  4. JEAN-PAUL DELAISSE // 30 juillet 2016 à 18 h 03 min //

    Je rejoins tout à fait cette analyse de M. Lenglet, toujours plein de clarté, et que je suis toujours avec beaucoup d’attention.
    C’est une réalité indéniable que la mondialisation n’a profité essentiellement, et somme toute assez peu de temps, qu’au monde financier (qui en est très certainement l’instigateur), et très peu aux individus.
    Ce très peu, les individus ont fini par le constater, isoler sa provenance, d’où la révolte sourde, révolte que les mouvements populistes ont su détecter, et bien évidemment, profiter.
    Bruxelles et les partis « traditionnels » continuent sur leur lancée, et sont, comme toujours, à la traîne, ne réagissant maintenant que dans l’intérêt propre de leur survie.
    Cette attitude affligeante ne convainc personne, d’où leur déchéance à terme, au grand dam de leur « dirigeants », toujours aussi incapables de « vision historique » (curieux…on retombe toujours dans le même constat désespérant…vraiment, l’E.N.A. n’enseigne pas tout, et surtout, pas ce qu’il faudrait !!).
    De ce fait, le risque existe bel et bien de la réussite des partis extrêmes.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*