Crise migratoire : l’Union européenne va-t-elle être remise sous la tutelle de l’OTAN ?

FIGAROVOX/ENTRETIENL’OTAN a été appelée à la rescousse pour régler la question migratoire en Europe, sur fond de négociations avec la Turquie. Hadrien Desuin y voit le signe de l’échec de l’Union européenne.

Ancien élève de l’École spéciale militaire de St-Cyr puis de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale, Hadrien Desuin est titulaire d’un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d’Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l’Égypte, réalisé au Centre d’Études et de Documentation Économique Juridique et social (CNRS/MAE) au Caire en 2005. Il a dirigé le site Les Conversations françaises de 2010 à 2012. Aujourd’hui il collabore à Causeur et Conflits où il suit l’actualité de la diplomatie française dans le monde.


LE FIGARO. – Après un déplacement lundi d’Angela Merkel à Ankara, l’Allemagne et la Turquie ont demandé conjointement cette semaine l’aide de l’OTAN pour lutter contre l’immigration illégale et les passeurs…

Hadrien DESUIN. – Angela Merkel est aux abois. Elle multiplie les visites en Turquie et les rencontres avec les dignitaires du régime AKP. Il y a quelques mois, elle annonçait fièrement un accord qui conditionnait des milliards d’euros et la relance des négociations d’adhésion à l’UE à l’arrêt du flux migratoire. En pure perte. La Turquie a pu ouvrir la porte de l’Europe sans rien faire. Le flux migratoire continue malgré l’hiver, avec son lot de naufragés. Pendant ce temps la cote de popularité de la chancelière s’effondre et sa majorité se disloque. Si la crise n’est pas résolue, Angela Merkel devra quitter le pouvoir. C’est de plus en plus net pour une majorité d’Allemands. Après le drame de Cologne, Angela Merkel est pointée du doigt pour sa politique des bons sentiments à courte vue. A juste titre.

L’appel aux forces de l’OTAN est un moyen de les entraîner dans son conflit avec la Russie et les kurdes en Syrie.

La Turquie de son côté ne cesse pas de relier le dossier migratoire à la conduite de la guerre en Syrie. Elle n’a pas tout à fait tort ; à ceci près qu’elle alimente toujours le conflit en soutenant la rébellion djihadiste contre Damas. Elle est donc responsable de la catastrophe migratoire. Ces derniers jours les troupes loyalistes syriennes appuyées par l’armée russe ont coupé la route qui ravitaillait la rébellion depuis la Turquie. D’où le nouveau mouvement migratoire. La Turquie, depuis le début de la crise, veut monnayer son aide aux réfugiés contre un soutien accru dans sa guerre contre Damas. L’appel aux forces de l’OTAN est un moyen de les entraîner dans son conflit avec la Russie et les Kurdes en Syrie.

En réalité, donner comme mission à l’OTAN de s’occuper des flux migratoires relève de l’effet d’annonce. Le but est strictement politicien. Il est de montrer que la situation est encore sous contrôle et qu’on sort de la crise. Or il n’en est rien et l’OTAN se bornera dans le meilleur des cas à renseigner sur les flux migratoires. Au sol ce sont les forces de l’ordre turques qui sont aux commandes, avec l’entrain et les résultats qu’on leur connaît…

30000 réfugiés syriens restent bloqués à la frontière turque. Quelle solution est envisagée par Ankara ?

L’intention de la Turquie est clairement de maintenir un corridor d’accès à Alep.

Les 30 000 réfugiés dont on parle sont en réalité une bonne partie de l’armée rebelle en déroute qui cherche refuge en Turquie, comme ils l’ont fait à chaque revers. Cette fois-ci la défaite militaire semble si importante que la retraite pourrait être définitive. Les rebelles de Jaich al Islam ont perdu leur chef récemment, ils sont pris en étau entre les Kurdes à l’ouest, Daech à l’est et la coalition syro-russe au sud. Ils tentent, avec leurs alliés d’Al Qaeda en Syrie, une sortie en Turquie pour échapper à l’encerclement dans les quartiers d’Alep qui leur restent. L’intention de la Turquie est clairement de maintenir un corridor d’accès à Alep. Sans lui la bataille est perdue. Car malgré ses mouvements de troupes à la frontière, la Turquie n’osera jamais une confrontation ouverte avec la Russie. Laquelle peut la prendre sur deux fronts nord et sud. Surtout les États-Unis ne soutiendraient pas la Turquie dans cette voie et ce serait l’humiliation assurée pour Ankara.

Que penser des multiples revirements concernant la gestion conjointe des migrants entre l’UE et la Turquie? Que cela traduit-il du fonctionnement de Frontex ?

L’Union européenne marche sur la tête depuis cet été, dans le sillage de la chancelière allemande. Il faut absolument sortir de la logique manichéenne pseudo-humanitaire. On ne peut pas sommer la Turquie d’ouvrir grandes ses portes aux «réfugiés» dont une part sont des djihadistes et de l’autre exiger d’elle de les garder sur leur sol.

Personne ne fait confiance à l’UE et son agence microscopique Frontex. Les États membres constatent tous les jours son impuissance et la Turquie préfère l’OTAN dont elle est membre à part entière. Frontex est impuissante parce que la convention de Genève sur les droits des réfugiés est détournée par le trafic de passeports et les demandes d’asile farfelues qui confinent au détournement de procédure. Les djihadistes se battent en civil, il est quasiment impossible de les distinguer de la population. C’est à se demander si Bruxelles et Berlin n’ont rien compris aux conséquences de leur appel d’air de l’été dernier. Les européens voudraient aggraver la crise migratoire qu’ils ne s’y prendraient pas autrement.

Les attentats du 13 novembre ont tout de même révélé les failles béantes du dispositif européen et l’obsolescence de notre droit international. Dès qu’un problème surgit, on se drape dans les grands principes et on se défausse sur l’Europe fédérale en appelant à la création d’un corps de gardes-frontières

L’Europe doit s’appuyer sur les nations qui la composent plutôt que de saper ses fondements.

européens. L’expérience des opérations européennes a pourtant montré que la fédéralisation des moyens n’était pas une solution mais au contraire une partie du problème. L’Europe doit s’appuyer sur les nations qui la composent plutôt que de saper ses fondements. La fuite en avant fédérale n’est que le paravent du manque de courage des dirigeants européens.

Cette situation traduit-elle l’impuissance de l’UE? L’UE est-elle indépendante ?

Un pays qui perd le contrôle de ses frontières, c’est la définition d’un État failli qui a perdu sa souveraineté. Le risque de tutelle otanienne sur la gestion migratoire est révélateur de la faillite de Schengen. Cela étant c’est un projet germano-turc dont on a vu l’objectif en terme de communication à destination des opinions publiques respectives. Il n’est pas dit que les autres nations européennes l’acceptent ni que l’OTAN le valide elle-même. Dans tous les cas, le projet européen d’espace commun et souverain est bel et bien mort.

Aujourd’hui les nations européennes sont complètement écartées du dossier syrien ; dont Bruxelles n’a jamais été partie prenante fort heureusement. La Russie a pris la main en Syrie. Les négociations sur la transition politique syrienne ont seulement amené saoudiens et turcs à lever le voile sur la vraie nature de leurs mercenaires salafistes. Désormais la situation est claire, il faut choisir entre Bachar Al Assad et Daech. La seule solution à la crise migratoire repose sur ce choix.

Eléonore de Vulpillières

12 commentaires sur Crise migratoire : l’Union européenne va-t-elle être remise sous la tutelle de l’OTAN ?

  1. Je signale ce débat entre NDA et Moscovici où il est beaucoup question de la Turquie et des réfugiés.
    http://www.les-crises.fr/video-nicolas-dupont-aignan-debat-face-a-pierre-moscovici-sur-bfmtv/

  2. Edmond Romano,

    L’article 42 du TUE qui soumet la France à l’OTAN existait déjà à l’identique dans le traité de Maastricht que Mitterand a ratifié…

    Maastricht : Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune

    Titre V – Article J.4

    « 4. La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant pour certains États membres du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre »

  3. Maastricht : Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune
    Edmond Romano,

    Vous écrivez, à propos de Nicolas Sarkozy :  » il a renié la politique initiée par le Général que même François Mitterrand n’avait pas remise en cause. »

    Cette allégation est contraire à la vérité car si l’article 42 du TUE qui nous soumet à l’OTAN fait bien partie du traité de Lisbonne, il n’est que l’exacte copie de l’article J.4 du titre V du Traité de Maastricht que Mitterand avait ratifié.

    Maastricht : Dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune

    Titre V – Article J.4

    « 4. La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant pour certains États membres du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. »

  4. « L’OTAN devient le bras armé d’un bloc occidental dont la mission principale est de défendre partout ses valeurs. Une sorte de substitut à l’ONU permettant aux Etats-Unis de ne pas agir seuls. Cette dérive avait été, jusque-là, rejetée par la France hostile à l’idée d’un gendarme d’un monde occidental bien pensant. Elle est acceptée aujourd’hui par le chef de l’Etat lorsqu’il lie, dans son discours de Washington, l’avenir de nos valeurs à celui de l’Alliance. Or la France est bien plus qu’un pays occidental. C’est un pays européen et original. Et si notre pays reste l’allié et l’ami des Etats-Unis, ami ne veut pas dire soumis, et allié ne veut pas dire aligné ». Il s’agit bien, ajoutait François Hollande, d’une « rupture dans le consensus sur l’OTAN établi dans notre pays depuis 1966 ».
    Or, « dans toute démocratie digne de ce nom, de tels arbitrages auraient été rendus après un vaste débat public et un vote solennel du Parlement ».

    http://lucien-pons.over-blog.com/2016/04/la-trahison-supreme-l-otan-des-bases-en-france-voire-plus-par-helene-nouaille-le-16-avril-2016.html

    On peut certes, apprécier le retournement d’opinion de Francois Hollande, mais il faut aussi expliquer l’attitude de Nicolas Sarkozy, qui ne faisait que mettre « en conformité » la diplomatie française avec l’article 42 du Traité d’Union Européenne ( TUE…Lisbonne ) récemment adopté par le congrès… Francois Hollande, qui avait pourtant soutenu cette adoption « dans le dos » du référendum de 2005, ne l’avait sans doute pas lu…!

    Art42 du TUE

    « La politique de l’Union […] est COMPATIBLE avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. »*

    *-le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)

    http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A12012M%2FTXT

  5. Edmond Romano // 17 avril 2016 à 14 h 51 min //

    Le retour de la France dans l’OTAN a été une faute majeure du Président Sarkozy! La pire de son mandat! Celle qui fait que jamais plus je ne lui accorderai ma voix. En faisant cela, il a renié la politique initiée par le Général que même François Mitterrand n’avait pas remise en cause. Après la perte de contrôle de notre monnaie et de nos frontières, nous avons perdu une partie du contrôle de notre Défense. Quels attributs de notre Souveraineté Nationale nous restent ils?

  6. Alain Kerhervé,
    Voici une vidéo récente dans laquelle Xavier Moreau décrit avec précision la situation concernant la crise ukrainienne et son contexte géopolitique.

    Je ne sais pas trop où la caser sur votre blog et laisse à votre appréciation l’opportunité d’en faire un article à part entière, de publier mon message tel quel ou bien de le supprimer.
    Si vous visionnez au moins les quelques dernières minutes de cette video, on y parle « souverainisme », mais aussi de CDG et de l’attente des Russes d’un homme politique de la même étoffe pour remplacer François Hollande…

  7. « Aujourd’hui les nations européennes sont complètement écartées du dossier syrien ; dont Bruxelles n’a jamais été partie prenante fort heureusement. »

    Cette allégation est totalement mensongère… Federica Mogherini a toujours souhaité le départ de Assad.

    « La Haut Représentant de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, a insisté sur l’importance de parvenir à une transition politique en Syrie par une solution pacifique GARANTISSANT LE DÉPART DE BACHAR EL ASSAD . »

    http://fr.etilaf.org/all-news/nouvelles-politiques/federica-mogherini-nous-sommes-pour-une-transition-politique-en-syrie-sans-assad.html

  8. Pour ceux qui s’étonnent de la discrétion du HCR dans le règlement du problème des réfugiés, il est bon de comprendre les relations entre les USA et l’ONU.

    http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/FD001402.pdf

    Le HCR semble manquer de moyens pour financer le secours aux réfugiés. Le Haut Commissaire, Filippo Grandi, demande à l’UE de mettre la main à la poche…
    De plus, il déclare :  » les règles humanitaires internationales ont été totalement violées en Syrie, sans grand empressement de toutes les parties d’y remédier. »

    https://m.youtube.com/watch?v=FpH0zaHmywM

    Nous héritons en Europe des conséquences des guerres illégales dans lesquelles nous entraînent notre inféodation à l’OTAN.

    Il est clair que la France joue contre ses propres intérêts en participant à la coalition au proche-Orient et qu’elle participe, en total respect de l’article 42 du TUE ainsi qu’en raison de sa réintégration dans l’OTAN, à la défense de la politique extérieure américaine.
    Pour ce qui concerne la politique extérieure de la France et la protection de ses intérêts à l’étranger, il n’y a donc pas d’autre solution que se sortir de l’UE et de l’OTAN.

  9. Une fois encore nos dirigeants confondent buts et moyens,conséquences et causes.
    En effet si des millions de Syriens, Irakiens, Afghans, et autres peuples en souffrance du monde entier se ruent par tous les moyens vers les pays développés pour échapper à la guerre, aux bombes et au désastre existentiel ,c’est bien par ce que chez eux les conditions de vie ne sont plus acceptables et que la Paix a été rayée de leur existence.
    La seule solution c’est de ramener chacun à bon port dans son pays d’ origine,dans son cadre de vie d’origine, ce serait cela l’ oeuvre de charité positive attendue comme il y plus de 2000 ans pour ce peuple sorti d’Egypte par l’ anéantissement de Pharaon de ses chars et ses guerriers.
    Mais voilà, couper le sourire aux empêcheurs des peuples de vivre en paix n’ est pas à la portée des dirigeants de la planète bleue d’aujourd’hui , plus enclins à prospérer sur la misère du monde.
    Alors les drames et les souffrances vont se poursuivre jusqu’au jour ou il faudra bien sortir de cette impasse de gouvernance et frapper fort les causes et non disserter sur la manière d’ en traiter les conséquences.
    Bien cordialement à vous dans la tourmente.

  10. Dans l’OTAN, ce sont les États Unis qui commandent, comme d’ailleurs dans l’Union Européenne… Cette récente déclaration du sénateur Mac Cain en dit plus qu’un long discours sur la dépossession de nos pouvoirs politiques par Washington :

    Selon John McCain, c’est aux USA de décider la levée des sanctions (européennes) contre la Russie

    http://ilfattoquotidiano.fr/selon-john-mccain-cest-aux-usa-de-decider-la-levee-des-sanctions-europeennes-contre-la-russie/#.VsWMKPBPerU

  11. radoxalement la FRance qui a longtemps cultivé sa force Démocratique // 15 février 2016 à 12 h 35 min //

    « Dans tous les cas, le projet européen d’espace commun et souverain est bel et bien mort. »
    Exact, mais il ne faut pas s’en étonner, car, où est le Chef de l’Etat Europe, son Gouvernement, ses Ministres, sa Politique étrangère, son Armée commune ?
    Alors Berlin en appelle à l’Otan puisque Ankara est dans l’Otan bien qu’en dehors de l’Europe. Angela rime avec Ankara…..alors que Paris ne rime plus avec Turquie !
    Daech avait pourtant prévenu que des hordes de réfugiés allaient se presser aux frontières de l’Europe et pendant ce temps là de bla bla bla en bla bla bla l’Europe inconsciente a mis le carnet de chèques sur la table pour la Grèce et la Turquie pensant avoir réglé le problème.
    Sans chef dirigeant et une équipe solide à la tête de l’Europe, les pays qui la composent font donc du chacun pour soi et ceci n’est pas étonnant mais va devenir bientôt détonnant !!!!

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