La Cité laïque (essai sur la laïcité)

Un jour la peste réveillera ses rats et les enverra mourir dans un cité heureuse (A. camus)

Les députés en 1905 ont décidé que la laïcité serait avant tout un mode politique de fonctionnement de la société, et que la loi lui donnerait une forme, une existence concrète, des limites et un avenir. Quoi de mieux pour émanciper le citoyen, que de lui donner une absolue liberté de conscience, et partant de rompre avec les églises. Ceci étant admis la laïcité est inclusive. Elle n’est pas l’ennemi des religions, elle a apporté la paix civile depuis 110 ans. Il n’y a rien à expliquer d’autre que ces données de base. Philosophiquement la laïcité n’est que la séparation du spirituel et du religieux, l’homme a le droit de penser par lui-même. Ce n’est nullement un antagonisme.

Il faut séparer le concept et la loi (du 9/12/1905) qui le définit et le traduit. La laïcité est un concept. La loi ne cite jamais le mot. On peut débattre à l’infini sur le concept, sujet sensible et qui fait aujourd’hui grand bruit. Chacun l’exprime de la façon dont il le comprend. Tandis que tous doivent appliquer la loi, qui est égalitaire, et la même pour tous. Nul ne peut y échapper.

Le Concept est celui d’un espace qui a permis une paix civile depuis plus d’un siècle. Elle peut être comparée à un refuge ou chacun peut et doit vivre en paix avec les autres, dialoguer librement, exprimer ses convictions, pratiquer sa religion sans offenser personne. Un espace ou toutes les religions ont le droit d’exister. C’est pour l’individu, la liberté de croire ou de ne pas croire, de manifester et de témoigner de ses convictions dans l’espace public, de ne pas se découvrir au passage d’une procession, de blasphémer sur des personnages de la Religion, à son corps défendant, mais pas celle d’insulter l’imam, le rabbin, le curé, le pasteur ou le croyant, ni non plus d’agresser ceux qui ne partagent ni ses croyances, ni ses idées. C’est aussi un espace qui inclut ceux qui sont contre la laïcité. L’Etat laïque reste neutre. La neutralité, ne s’impose qu’à lui, et à ses agents dans l’espace public (espace de l’autorité de l’État). Sauf que puis 2004, la loi a aussi imposé la neutralité aux élèves des écoles, collèges et lycées et que depuis 2011, le port de la burqa (qui couvre entièrement le visage) est interdit dans l’espace public. Il vient de paraitre une charte dans les universités, qui est à suivre et ne serait qu’un début ?

Si on parle beaucoup de laïcité aujourd’hui c’est en raison d’un regain de sensibilité qui ne s’est pas éteinte depuis 1905.

Nous n’évoquerons pas les flux migratoires importants d’aujourd’hui, qui parmi d’autres difficultés peuvent céder à l’entrainement des milieux très prosélytes sur des individus en situation sociale difficile. Les assauts de la religion ne sont pas seuls en cause, mais l‘absence d’intégration, ou d’assimilation est également responsable. Rien de sérieux n’est fait dans un pays d’accueil traditionnel tel que le nôtre, où l’intégration fait partie de sa politique traditionnelle. Aujourd’hui le pouvoir est débordé. C’est dommage pour les réfugiés, parce que l’intégration doit être proposée au choix des individus qui souhaitent rester en France. Il est hautement souhaitable, qu’on commence leur intégration, non pas rapidement, mais immédiatement, mais ce n’est pas fait. La langue, le logement, l’école pour les enfants. Il faut cependant qu’on les prévienne que le travail se fait rare. De ce côté on ne peut rien faire pour eux, sauf quelques aides. Par contre intégrons les, assimilons les, ils resteront chacun avec sa religion, mais la République en fera de bons citoyens laïques. Ce choix est une affaire de conscience individuelle, où le désir de Citoyenneté[1] est primordial pour que tout se passe bien. L’intégration est l’affaire de l’Etat, à charge pour lui de la mener rondement.

La laïcité n’est pas hostile aux religions, pas plus à l’une qu’à une autre. La République les accepte toutes, le christianisme, l’Islam le Judaïsme, etc.  À condition de rester un culte, et que chaque chrétien, juif, ou musulman, etc…ne veuille rien imposer aux autres, ni sa foi qui doit rester privée, ni sa loi. La loi de 1905 règle aisément ces questions. Ce n’est pas en discutant sur le concept qu’on aura la paix, mais en respectant la loi. Appliquer la loi est même notre seule solution, sinon c’est la guerre. La laïcité est source de paix, que la loi garantit, tandis que l’expression de convictions poussées trop loin ne garantit rien. La guerre civile est une source intarissable de sang humain. La laïcité est donc un équilibre. Aujourd’hui le pouvoir se couche, ce qui nous oblige à critiquer ses faiblesses. Faire respecter la loi n’est que du ressort du ministre de l’intérieur, un simple problème politique, et de fermeté. Mais tout le monde n’est pas Clémenceau.

Dire que la république a inventé le concept est inexact. Elle l’a gravé dans le marbre, c’est vrai, mais la laïcité est très antérieure. Le concept est né de l’histoire de la France. Les relations entre l’église catholique et le pouvoir royal en France ont souvent été tumultueuses. Philippe le bel, la bulle Unam Sanctam de Boniface VIII, l’attentat d’Anagni sont l’exemple de cette lutte. Un autre est celui de l’église catholique française, qui fut longtemps gallicane, et très contestataire. Mais surtout des guerres de religion, Les violences entre catholiques et protestants de 1525 à 1610 ont atteint des sommets avec la saint Barthélémy en aout 1572, qui fit couler le sang à flots. Les violences ont d’abord fait comprendre aux intellectuels et aux politiques que poursuivre la guerre civile ce serait la mort de l’Etat. Ainsi un tiers-parti des politiques se créera et s’interposera, devant la persistance de ces guerres.  L’Etat avait fini par comprendre que s’il n’y mettait pas fin il disparaitrait. La paix civile, est une affaire politique qui regarde l’état, non les religions et leurs ministres. Henri IV en 1598 promulgue l’Édit de Nantes qui affirme déjà la liberté de conscience. Ce n’est pas un édit de tolérance, mais un ordre du roi. Ce n’est qu’en 1609 que le parlement de Rouen le ratifie, un an avant la mort d’Henri IV. Enfin arrive la constitution civile du clergé de 1790, entreprise par la première République, et la lente pénétration de l’idée par les réformes de l’enseignement et enfin la loi de 1905

Quand chacun la voit différemment, peut-on aller plus loin dans la définition de la laïcité ? Celle-ci n’est pas définie par la Constitution, qui la cite seulement mais par les articles 1 et 2 de la loi, qui comportent la liberté absolue de conscience, et la séparation des églises et de l’Etat. Cette notion a été constitutionnalisée. La définir comme le fait la constitution est peut-être un peu court, et on peut en débattre, en partant du fait que c’est un mode de fonctionnement politique de la société, et n’est que cela. Mais un mode de fonctionnement érigé en principe, qui se fonde sur une conception à la fois philosophique, juridique, sociale et politique, dont l’objectif est une existence collective pacifique et durable pour le bien commun de la société

    La Laïcité repose en effet sur quatre bases très solides.

  • Un principe philosophique constitutionnel. La liberté absolue de conscience, qui permet d’avoir et de pratiquer la religion de son choix, de ne pas en avoir et d’en changer.
  • Un texte juridique, la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. « L’Église chez elle l’État chez lui » avait résumé Victor Hugo. L’Église n’a d’action que sur le spirituel, le temporel revient de droit à l’État.
  • Un principe de fonctionnement social. La sécularisation[2]. Grâce à la séparation d’avec les églises, l’État prend en charge l’instruction, la santé, des événements de la vie (état civil, mariages, etc.)
  • Une posture de principe. La neutralité de l’État face aux religions, à charge pour lui d’assurer l’ordre et de faire respecter les libertés individuelles

L’état reste neutre, mais de même qu’il y a eu des accommodements depuis 1905, c’est le cas aujourd’hui. L’État entre alors en contradiction avec lui-même. La neutralité par principe n’autorise pas la bienveillance, ni à favoriser une religion. C’est une question non résolue faute de règles nettes et précises, où il n’est pas nécessaire d’invoquer toujours la laïcité, mais la loi.

Qu’est-ce que la laïcité apporte à la Cité ? C’est un espace inclusif pour tous, où chacun a la liberté de pensée, où la paix est obtenue par la loi et le droit. C’est un espace d’émancipation pour l’individu et de libération des esprits, qui rend le débat possible. Loin de prendre les religions pour ennemi, elle leur donne un droit, celui d’exister et de pratiquer au grand jour, mais pas d’être exclusives, dominatrices et troubler l’ordre public.

Des questions se posent. La laïcité est-elle un dogme ? Non ! C’est un mode de fonctionnement, donc en théorie les accommodements sont possibles, d’autant que les accommodements dits « raisonnables » (expression québécoise) peuvent être résolus autrement qu’avec la laïcité. Voile à l’Université, et menus à la cantine par le règlement intérieur, tandis qu’abattage rituel et hygiène, etc. sont-ils affaire de laïcité ou de normes sociales ? (Emile Poulat)

Des difficultés subsistent et demandent à être éclaircies. la construction des lieux de culte, malgré l’interdiction de financer une association cultuelle, sur des fonds publics, est contournée par la loi des associations de 1901 qui l’autorise pour une association culturelle. Ce financement ne peut pas être légalement refusé si l’association culturelle reste non lucrative. La laïcité dans les services privés l’habillement dans la rue, les absences dans l’entreprise ou l’enseignement pour fêtes religieuses, les programmes amputés, etc. sont de nature différente, mais peuvent ne pas être traités en fonction de leur caractère « anti laïque ».

La définition des espaces publics (ceux de l’État) et prives (personnels). D’aucuns disent « est public ce qui n’est pas privé ». Un peu léger ! C’est faire fi des travaux d’Habermas, et de nombreux autres. Dans la rue où la laïcité s’exerce, les processions demandent l’accord de la préfecture. Les rassemblements aussi. L’article X de la déclaration des droits de l’homme (constitutionnel) précise que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».

Les attributs de la laïcité n’autorisent pas la soumission clientéliste des rouages de l’État à favoriser ou abriter des manifestations religieuses, ni à les défavoriser

Les normes sociales. Est-ce que les accommodements alimentaires, vestimentaires, sont anti laïques ou simplement de l’ordre de normes sociales, et à traiter comme telles.

On a soulevé une possible ambiguïté dans la constitution. La laïcité n’y est pas définie. Or c’est la loi qui le fait, en énonçant le principe de la liberté de conscience et le principe de séparation, contenu dans la loi de 1905. Mais celle-ci est reprise comme loi de la République à laquelle la jurisprudence du Conseil constitutionnel se réfère constamment. A-t-on intérêt aujourd’hui à peaufiner et mettre la définition dans la constitution ? Dans l’Etat actuel de la société française, ne vaut-il pas mieux éviter toucher à la loi. Il faudrait déjà que le problème d’Alsace–Moselle toujours sous le régime du Concordat de Bonaparte soit résolu, sans omettre la Guyane, encore sous le régime de l’ordonnance royale de Charles X d’août 1828. Cette situation n’a pas changé quand la Guyane est devenue un département. Les décrets lois Mandel s’appliquent dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution (Polynésie française, Wallis et Futuna, Saint Pierre et Miquelon) à l’exception de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et aussi en Nouvelle Calédonie et à Mayotte devenu département français.

La question du vivre ensemble est ambiguë, mais la réponse ne doit pas l’être Depuis le rapport Machelon, les écrits de J. Baubérot, et un appel des intellectuels de 2005 on a voulu donner une autre base à la laïcité qui serait résumée ainsi « la laïcité est un mode de fonctionnement, qui permet aux pratiques des différentes religions de cohabiter en paix » Autrement dit la laïcité ne serait plus qu’une affaire de relations entre l’État et les églises. Tout en gardant la liberté de conscience, la séparation deviendrait seconde par rapport au vivre ensemble. La loi serait de facto modifiée. L’union européenne adopterait volontiers cette position qui va dans le sens d’un fédéralisme européen, et se retrouve dans la Convention européenne des droits de l’Homme. Aujourd’hui voilà que l’intelligentsia propose de suspendre la loi de 1905 pour 5 ans ! Prenons garde. Vivre ensemble n’est pas vouloir vivre ensemble. La tolérance peut être vite dépassée. Seule la loi de 1905 permet de vivre ensemble à ceux qui le veulent. Sous condition que la violence légitime s’exerce contre une violence illégitime. La loi doit rester la base absolue et la tolérance un arbre aux mille branches posé sur elle. L’État doit faire son travail.

En conclusion la laïcité est-elle l’alternative à la guerre civile ? Oui sans hésitation. N’oublions pas que la laïcité n’est pas le vivre ensemble aujourd’hui, mais sa condition première. Il ne faut pas la combattre, la modifier, ou la suspendre en ce début du 21ème siècle, mais la défendre en oubliant les blessures du passé. Aujourd’hui la plupart des fidèles des religions du livre suivent leur église, qui a accepté la laïcité et s’est intégrée au paysage français. Des franges intégristes s’en séparent. Dès lors il faut exhorter le croyant, et l’incroyant à s’unir dans une même défense, pour que la Cité vive en paix. Ne touchez pas à la loi de 1905, mais expliquez là, faites-là comprendre, diffusez là, et si tous la comprennent et l’admettent on aura la paix pendant un siècle encore.

Jack Petroussenko – 12/10/2015


[1] Se définir comme citoyen

[2] Passage de personnes valeurs ou biens de l’église au monde profane


 

1 commentaire sur La Cité laïque (essai sur la laïcité)

  1. L’excellent article de Mr Petroussenko met en lumière la confusion des genres qui s’est installée dans l’application de la Loi de 1905,dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat, tout comme la confusion qui sévit dans le vivre ensemble de nos « sociétés locales d’économie mixte » qui mêlent puissance publique et décideurs privés, argent publique et argent privé avec les dérapages nombreux que l’on connaît. Si le citoyen doit être au centre de ces dispositifs afin qu’il se sente à la fois pleinement libre et pleinement intégré évitons lui d’emprunter les passerelles de la confusion des genres par des dispositifs juridiques alambiqués qui détruisent l’étanchéité des appartenances. Un état laïc est de mon point de vue un état neutre garant de ces principes d’étanchéité et non un état pourvoyeur de passerelles communautaires. Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu…et les moutons seront bien gardés.

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