Général Desportes : l’armée française n’a pas les moyens des missions qu’on lui confie

Soldats français à Bangui, décembre 2013

FIGAROVOX/ENTRETIEN – En ce jour de fête nationale et de célébration de l’armée française, le général Vincent Desportes nous livre son analyse sur les opérations extérieures et la stratégie militaire de la France. Saint-cyrien, ingénieur, docteur en Histoire et ancien directeur de l’École de guerre, le général de division Vincent Desportes est aujourd’hui professeur associé à Sciences Po Paris et enseigne la stratégie à HEC.

 

L’armée française est partagée entre des opérations extérieures et une opération de sécurité renforcée sur le territoire français (gares, synagogues, écoles…). L’emploi de l’armée française est-il optimal ?

L’armée française est sur-engagée par rapport à ses capacités. Elle n’est donc pas capable de déployer sur chacune de ses opérations les effectifs et les moyens nécessaires. Ce faisant, elle a du mal à parvenir à des résultats rapides et convaincants. On l’a vu au Mali et en Centrafrique, on le voit aujourd’hui dans les opérations Barkhane et Sentinelle. Ce qui s’impose serait soit de renforcer les moyens, soit de faire des choix dans les opérations dans lesquelles la France décide de prendre part.

Quelle est l’efficacité des opérations Barkhane dans la bande sahélo-saharienne (3000 soldats) et Sangaris en Centrafrique (1700 soldats)? Comment qualifier la stratégie française dans la région ?

L’opération Barkhane est nécessaire. La France n’a pas d’autre choix que d’aller détruire ses adversaires là où ils résident. Ce sont aujourd’hui des terroristes djihadistes dans la bande sahélo-saharienne. La France est responsable du chaos actuel dans la région, conséquence de notre expédition en Libye en 2011. La difficulté de l’opération Barkhane est que nous avons 3500 personnels dans une zone qui est plus vaste que l’Europe ; sur un tel espace avec des moyens si restreints, des dizaines d’années seraient nécessaires pour aboutir aux résultats recherchés.

En ce qui concerne l’opération Sangaris, la France n’a jamais été capable de déployer les moyens nécessaires. Elle n’a pas pu empêcher l’épuration religieuse et la partition du pays en deux, entre le Nord et le Sud. On discerne là une inadéquation profonde entre la mission et les moyens.

La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN a-t-elle été une décision appropriée ? N’en a-t-elle pas fait une force supplétive des États-Unis ? Quel est l’impact de l’OTAN sur la stratégie militaire française ?

Il n’était pas du tout nécessaire de réintégrer le commandement intégré de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Le problème se pose aujourd’hui différemment. A partir du moment où nous y sommes, il est extrêmement difficile d’en sortir sans créer une crise politique majeure avec nos alliés essentiels qui sont, qu’on le veuille ou non aujourd’hui, les États-Unis.

La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN avait été justifiée par la nécessité de faire avancer l’Europe de la défense. C’est un échec profond.

La réintégration avait été justifiée par la nécessité de faire avancer l’Europe de la défense. Hélas, c’est un échec profond : celle-ci n’en a pas du tout tiré parti. Il est aujourd’hui indispensable de se lancer dans la construction de l’Europe de la défense, en étant réaliste: tout ce qui s’est fait jusqu’à présent n’a produit que des résultats extrêmement limités. L’OTAN est un frein à la construction de l’Europe de la défense. Les Etats-Unis doivent progressivement laisser les Européens traiter eux-mêmes leurs propres problèmes sécuritaires*.

Cependant le slogan de l’Eurocorps, embryon d’une armée européenne, est «une force pour l’Union européenne et l’OTAN». De ce fait, comment imaginer que la future armée européenne se détache de l’OTAN ?

L’OTAN doit progressivement se transformer en pilier européen autonome et indépendant des États-Unis, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La majorité des États européens se sentent protégés par leur seule appartenance à l’OTAN alors même que les États-Unis se désengagent des problèmes européens (sauf sursaut comme ce fut le cas en Ukraine), avec leur pivot vers le Pacifique. L’OTAN empêche aujourd’hui la majorité des États européens de se sentir concernés par leur défense. Il doit y avoir une prise de conscience rapide : la défense en Europe devra être le fait exclusif des Européens.

Vous avez récemment rappelé plusieurs principes stratégiques essentiels devant la Commission des affaires étrangères et de la Défense du Sénat dont celui-ci, énoncé par Clausewitz : «il ne faut pas faire le premier pas sans envisager le dernier.» Quelle stratégie de sortie est envisageable pour les opex africaines ? En quoi sont-elles marquées par le syndrome de «Sisyphe guerrier» ?

Nous n’arrivons pas à sortir des opérations extérieures en Afrique parce qu’il y a rarement des forces africaines – qu’elles soient nationales ou panafricaines – pour prendre le relais. Il est nécessaire pendant encore de nombreuses années de participer directement à la défense de la sécurité des pays africains tout en prenant part à la reconstruction des forces africaines dont on connaît, hélas, le peu d’efficacité opérationnelle sur le terrain.

Un des problèmes de l’armée française est qu’elle manque de profondeur stratégique.

La France ne peut pas échapper à ses responsabilités, elle ne peut pas abandonner l’Afrique. Si elle ne veut pas avoir à se réengager régulièrement sur des crises récurrentes et successives, elle doit s’engager fermement dans cette zone dont la sécurité relève pour une part importante de sa propre responsabilité.

Un des problèmes de l’armée française est qu’elle manque de profondeur stratégique.

Les armées françaises ne sont jamais capables d’engager pour suffisamment longtemps des effectifs qui dépassent le cap de la bataille pour gagner la guerre elle-même.

Parce qu’elle n’a pas les moyens des missions qu’on lui donne, l’armée française, qui est une armée d’excellence, ne parvient qu’à des résultats tactiques trop ponctuels pour réaliser sur le long terme un résultat stratégique performant.

Elles sont donc amenées de façon récurrente à s’engager, combattre, revenir car l’action n’est jamais menée complètement, jusqu’à son terme. L’exemple du Mali, de la Centrafrique et de Barkhane est net : il a fallu diminuer les effectifs de l’opération au Mali pour armer l’opération Sangaris, puis désarmer Sangaris pour projeter des forces dans le Sahel, les djihadistes venant se ré-emparer immédiatement d’Adrar des Ifoghas libéré par l’armée française en 2013. Parce qu’elle n’a pas les moyens des missions qu’on lui donne, l’armée française, qui est une armée d’excellence, ne parvient qu’à des résultats tactiques trop ponctuels pour réaliser sur le long terme un résultat stratégique performant. L’effort fait par le président de la République le 29 avril pour renforcer le budget des armées est significatif mais très largement insuffisant.


* Voir sur gaullisme.fr : De Gaulle et la CED


 

3 commentaires sur Général Desportes : l’armée française n’a pas les moyens des missions qu’on lui confie

  1. Denis Jaisson // 8 septembre 2015 à 21 h 55 min //

    Desportes oublie de rappeler que (i): «le ministre tchadien de la Communication, Hassan Sylla Ben Bakari, a indiqué qu’autour de «40% des armes saisies par les forces armées du Tchad aux combattants de Boko Haram sont de fabrication française»… Sachant que
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    1) il est plus difficile de voler un FAMAS que le pain au chocolat de Jean-Francois Copé,
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    2) un ministre soumis au bonnes volontés de la France-Afrique ne peut dire une chose pareille, que pour exprimer son ras-le-bol, en toute franchise…
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    Desportes: «Il n’était pas du tout nécessaire de réintégrer le commandement intégré de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord» ; que ce courageux général à la RETRAITE n’exprima-t-il pas son opposition, quand il était dans l’Active ou en 2ème Section. Ces Chevaliers-Bayard de la dernière heure ont comme un parfum de veulerie qui ne s’assume pas.
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    Desportes: «nos alliés essentiels sont les États-Unis»… Non, Desportes, ce sont nos COLONISATEURS; Sarkollande et Sarkollande sont leurs larbins.
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    Desportes: «la réintégration avait été justifiée par la nécessité de faire avancer l’Europe de la défense. Hélas, c’est un échec profond» et Desportes SAVAIT qu’il ne pouvait pas en être autrement!
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    Desportes: «les Etats-Unis doivent progressivement laisser les Européens traiter eux-mêmes leurs propres problèmes sécuritaires»; comme ce serait bien, si les chats ne mangeaient plus les souris, et les maîtres laissaient tomber la bride sur le col de leurs larbins!
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    Desportes: «l’OTAN doit progressivement se transformer en pilier européen autonome et indépendant des États-Unis», et le violeur faire preuve de plus d’humanité ; non mais quelle jobardise, ce type ! Et c’est ca qui avait la charge de notre Défense…?!
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    (i) 5/3/2015, http://www.afrik.com/boko-haram-40-des-armes-saisies-sont-de-fabrication-francaise

  2. Gilles Le Dorner (Bourges) // 6 septembre 2015 à 8 h 22 min //

    Autarcie , non , autonomie comme indépendance ou souveraineté nationale et du libre droit (à garantir) depuis notre Constitution de choisir et se gouverner , oui , au sein de frontières qui sont des frontières , oui ; quant aux frappes des forces armées en-dehors de nos frontières , elles ne relèvent pas du seul bon vouloir de quelque être suprême et ramènent à la relecture non pas de l’ ambigüité mais des pièges , et dans la régularisation du fait accompli , de l’ article 35 révisé .

  3. le Gl Desportes connaît bien les soucis de l’Armée française mais il ne connaît manifestement pas les pensées politiques de nos actuels dirigeants. Or l’armée va où les politiques l’entrainent ,ce que le Gl Desportes ne devrait pas ignorer puisqu’il reconnaît que « La France est responsable du chaos actuel dans la région, conséquence de notre expédition en Libye en 2011. ». Or ce ne sont pas les Rouge, Rose, Vert qui nous gouvernent qui vont en dehors des beaux défilés et cérémonies devant les monuments aux morts, donner aux Armées les points de PIB et ainsi afficher clairement une ambition stratégique pour notre Défense.
    Le Gl de Gaulle fût de ce point de vue à la hauteur des enjeux stratégiques pour la France , mais ce qu’il a su bâtir contre vents et marées ,ses successeurs n’y attachent plus la même importance.

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